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CHAPITRE II : Le parcours littéraire de Jòrgi Reboul

B) UNE POÉSIE DU DÉSIR

A# travers cette projection de Reboul vers l’avenir, on retrouve une autre dimension essentielle à sa poésie, la place qu’y occupe le désir, moteur central de l’expérience humaine. Qualifiant la poésie de Reboul de « vèrses mascles e potents » {vers mâles et puissants}, Jean Fourié écrit ainsi67 :

Dins sa poëisa, l’òme carrejava una prodigiosa vitalitat ont s’entremèsclan las pulsions d’una anma assedada d’espaci e que jamai oblida pas que l’amor es un tot unic e

{Dans sa poésie, l’homme témoignait d’une prodigieuse vitalité où s’entremêlaient les pulsions d’une âme assoiffée d’espace et qui jamais n’oublie que l’amour est un tout

63 Andrée-Paule Lafont, op. cit., p. 6. 64 Ibidem, p. 7.

65 Ibidem, p. 10.

66 Jean-Marie Petit, « Préface », Pròsas geograficas, Valderiès, Vent Terral, 1985, p. 8

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preciós que condiciona cada bategament de vida.

unique et précieux qui conditionne chaque battement de vie.}

Yves Rouquette souligne lui aussi le rôle central que tiennent le désir et l’amour, dans tous les sens du terme, au sein de la poésie de Reboul68 :

Pour lui la poésie n’est pas un jeu de mots, c’est un engagement vital. Tout l’être doit s’y rassembler pour aller toujours plus loin, vers un monde de fraternité et de désir.

Ainsi devient-elle dialogue, incitation à vivre, à risquer sa vie hors des sentiers battus de la morale et de la résignation. Acte d’amour. L’équation-clé des surréalistes (l’amour – la poésie), Reboul la fait sienne dans la plus sereine ignorance des modes parisiennes. Il chante la femme libre, comme il chante l’homme libre : faiseurs d’avenir, rassembleurs et uniques. L’amour, pour lui, est commerce d’égaux, dépassement des limites, gage de paix, ascèse joyeuse, découverte enivrante qu’être un homme, c’est un bonheur.

Comme le note également Philippe Gardy, le dialogue poétique ininterrompu que Reboul entretient avec le monde qui l’entoure est « soutenu à tout instant par un engagement total du moi vers la réalisation de son désir. Un désir qui soulève et soutient le poème, qui lui donne forme et relief.69 » Philippe Gardy en donne deux exemples, tirés des poèmes « Anar luènh sèmpre » (1931)70 et « Art pouetique » (1932)71. Dans le premier, la citation « L’a que desirança », emprunté au poète Folco de Baroncelli# auquel Reboul dédie précisément son texte, est pour le moins explicite : « Il n’y a que le désir »72. La suite du poème vient encore confirmer cette première impression puisque la strophe qui ouvre et conclut l’œuvre « fournit l’image idéale et pourtant bien réelle de ce paysage du désir, exprimant à la fois une volonté, un rythme, et au bout du compte une prise de possession du monde »73 :

Anar luenh sèmpre sèmpre franquir la rega que barra aquesta arada e puei aquí durbir lei mans per derrabar çò que s’aubora

Aller loin toujours toujours franchir le sillon qui ferme ce labour et là ouvrir les mains pour saisir ce qui s’offre

Le second poème cité par Philippe Gardy, « Art pouetique », file la comparaison du berger guidant son troupeau avec la figure du poète. « Et le cheminement de l’un et de l’autre aboutit, au terme d’une avancée qui est aussi montée, dépassement de soi en direction du ciel étoilé, à la révélation finale »74 :

68 Yves Rouquette, En occitan. Une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013, p. 156.

69 Philippe Gardy, Paysages du poème : six poètes d’oc entre XXe et XXIe siècle : Léon Cordes, Robert Lafont,

Bernard Lesfargues, Georges Reboul, Max Rouquette et Jean-Calendal Vianès, Montpellier, Presses

universitaires de la Méditerranée, 2014, p. 20.

70 Pròsas geograficas, Valderiès, Vent Terral, 1985, p. 14-15.

71 D’abord paru en 1934 dans les revues Marsyas et Oc et dans le recueil Pouèmo, puis réédité en exergue du recueil Terraire nòu : pouèmo, Aigues-Vives, Marsyas, 1937, p. 9-13.

72 Philippe Gardy (op. cit., p. 21) précise que cette citation est extraite du poème « Ànci », tiré du recueil Blad

de Luno, le vers complet étant : « Cresiéu au plesi : i’a que desiranço » {Je croyais au plaisir : il n’y a que désir}.

73 Ibidem, p. 21. 74 Ibidem, p. 21.

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E lou pastre es iéu, emé la troupo que paisse à l’endavant de moun desi e s’espandisse o bèn s’agroupo à moun coumand jamai gausi

Et le pâtre c’est moi, avec le troupeau qui broute au devant de mon désir et se dépense ou se recueille

suivant ma volonté toujours intacte.

§4-

UNE POÉSIE DE LA MARCHE

Sur un plan plus formel, on s’accorde généralement à dire que la poésie de Reboul constitue une poésie de la marche. On sait effectivement la place qu’a tenue pour lui la randonnée pédestre depuis sa jeunesse, avec l’association des Excursionnistes marseillais. Andrée-Paule Lafont écrit à ce propos que « La vie se découvre comme on découvre une terre parcourue au rythme du pas. G. REBOUL est un marcheur. »75

Philippe Gardy souligne lui aussi les rapports étroits entre la poésie de Reboul et la marche76 :

[L]a voix du poète ne peut être que de cette faculté qui est la sienne de s’extraire de son for intérieur pour se mêler aux courbes de la terre contemplée et aux autres voix qui viennent à sa rencontre. Poésie-prose […] Car si la prose est discipline pédestre, proche de la terre, et c’est ce sentiment éminemment terrien de la marche, ce parcours du promeneur invétéré qui donne son rythme, son épaisseur, sa substance et jusqu’à sa force directe à la voix de Jòrgi Reboul. Le pied du marcheur et celui du vers, pour reprendre la vieille terminologie latine qui veut que le vers se scande — se marche, se monte et s’escalade —, se confonde[nt] dans un seul et unique mouvement.

Le pied, dans la double acception du terme, est bien ici « la mesure de toute chose » […] Il est le rythme même du marcheur de mots s’assimilant au pays, hommes et paysages, qui s’offre à lui.

Toutefois, cette poésie de la marche tient souvent plus de l’ascension que de la randonnée en terrain plat, ce qui correspond effectivement au goût de Reboul pour l’escalade des hauteurs provençales. Comme le note Andrée-Paule Lafont77 :

Il y a toujours quelque pente à gravir, mais au-delà de soi à connaître. La phrase est lancée comme un jet. Car la monté se fait dans la vaillance de l’effort. Elle n’est pas cette élévation voluptueuse, si aisée où se meut un poète de l’air.

Dans la préface de Chausida, elle écrit encore78 :

La phrase est lancée comme un jet, toujours plus près de l’injonction que de l’énonciation. Elle suit des rythmes de marche, de montée. Elle est gravissement. Car il y a toujours un chemin à conquérir, un au-delà de soi à connaître. À donner à connaître aussi.

75 Andrée-Paule Lafont, « L’œuvre du Provençal G. Reboul », XIIe stage pédagogique et culturel de l’IEO, La Ciotat, 25 août – 6 septembre 1963, archives personnelles de Claude Barsotti, non publié, p. 7.

76 Philippe Gardy, Jòrgi Reboul, le mouvement d’une poésie », Actes du colloque Jorgi Reboul, Septèmes-les-

Vallons, 9 avril 1994, Septèmes-les-Vallons, 1996, p. 20.

77 Andrée-Paule Lafont, op. cit., p. 10.

78 Andrée-Paule Lafont, préface de Chausida, Toulouse, Letras d’Oc. Revue des lettres occitanes, coll. Messatges, 1965, p. 6.

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La poésie de Reboul est donc une poésie de l’espace : « un espace dense, rugueux même, où tout accident, toute aspérité est bonne à prendre pour le poète marcheur qu’il s’est voulu depuis ses débuts »79.

Il n’est dès lors pas étonnant de trouver, dans les textes de Reboul, nombre de références aux montagnes, en particulier dans le recueil Pròsas geograficas80, même si, selon Philippe Gardy, cet attrait de Reboul pour les montagnes parcourt vraiment toute l’œuvre depuis ses origines jusqu’à son terme81. De fait, l’un des premiers poèmes de Reboul est consacré « Au pue de Bartagno », le Pic de Bertagne, contrefort calcaire de la Sainte-Baume, qui domine la commune de Gémenos82 :

Auturo espectaclouso, santo roco dei diéu ! Fugissi ma Ciéuta, son trafé, sei magagno, Pèr óublida vers tu l’amarum de mei lagno En cantan ta belour qu’encapèloun lei niéu.

Admirable montagne, sainte roche des dieux !]

Je fuis ma Cité, ses embarras, ses vices, Pour oublier auprès de toi l’amertume de mes chagrins]

En chantant ta beauté que coiffent les nuages.]

Quant au dernier grand recueil d’inédits de Reboul, Pròsas geograficas, il s’ouvre sur le poème « Salinhac 1930 », village alpin proche de Sisteron d’où est originaire la famille maternelle de Reboul.

§5-

UNE POÉSIE FORMELLEMENT VARIÉE

Sur un plan plus matériel, l’œuvre de Reboul se caractérise par une assez grande variété formelle que Philippe Gardy rattache à la volonté du poète de mettre chaque texte « le plus en accord possible avec le rythme dont il est porteur et qu’il s’agit de rendre perceptible »83. Il qualifie également volontiers cette poésie de matérialiste, au sens le plus strict du terme84 :

Jamais peut-être plus justement n’a pu être utilisé l’adjectif « matérialiste », dans l’acception la plus fondamentale et, partant, la plus charnelle du terme, qu’à propos de cette tranquille assurance, pour laquelle chaque construction poétique est une maison habitable, un chef- d’œuvre d’équilibre et de complétude.

79 Philippe Gardy, Une écriture en archipel. Cinquante ans de poésie occitane (1940-1990), Église Neuve d’Isaac, Fédérop, 1992, p. 29.

80 Pròsas geograficas, Valderiès, Vent Terral, 1985.

81 Philippe Gardy, Paysages du poème : six poètes d’oc entre XXe et XXIe siècle : Léon Cordes, Robert Lafont,

Bernard Lesfargues, Georges Reboul, Max Rouquette et Jean-Calendal Vianès, Montpellier, Presses

universitaires de la Méditerranée, 2014, p. 25.

82 « Au pue de Bartagno (1.043 m.) », Almanach occitan, 6ème année, 1928, p. 72. Traduction française : Philippe Gardy, op. cit., 2014, p. 25.

83 Philippe Gardy, op. cit., 2014, p. 22.

84 Philippe Gardy, Une écriture en archipel. Cinquante ans de poésie occitane (1940-1990), Église Neuve d’Isaac, Fédérop, 1992, p. 29.

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