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CHAPITRE II : Le parcours littéraire de Jòrgi Reboul

C) LA PUBLICATION DE ESCAPOLON (1930)

Le recueil Escapolon122 paraı̂t un an plus tard, toujours aux éditions de L’Amistanço

dei Joueine et avec la même esthétique artisanale que le précédent volume Calignàgi

(Figure 20). Ce recueil entame toutefois une nette rupture avec les deux précédents et ce pour plusieurs raisons.

Figure 20. Première de couverture du recueil Escapolon

Sur le plan strictement formel, Reboul abandonne la graphie mistralienne et le dialecte marseillais de ses deux précédents recueils pour une graphie classique pré- alibertine et une langue nettement languedocianisée, à peu de choses près similaires à 120 Graphie d’époque. « Calignagi, poèmes, per J. Reboul, (in- 8, 4 p.), Marselha, Ed. de “l’Amistanço dei Joueine” », Lo Gai Saber. Revista de l’ESCOLA OCCITANA, n°64, février 1930, p. 244-245.

121 Probable allusion à la place que tiennent l’amour et la sensualité charnelle dans la poésie d’Aubanel, comme dans le recueil La Mióugrano entreduberto ou le poème La Venus d’Arle (La Mióugrano entreduberto, Avignon, Aubanel, 1877, 319 p. ; rééd. Œuvres complètes de Théodore Aubanel, Avignon, Aubanel, 1973, 483 p.)

122 Calignàgi : tres trobo, Marseille, Amistanço dei Joueine, 1929, 4 p. ; Escapolon : 7 trobas en oc, Marseille, Amistanço dei Joueine, 1930, 6 p.

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

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celles qu’il avait précédemment employées pour ses poèmes publiés dans la revue Oc. Peut-être en lien avec ces choix formels, trois des textes du recueil sont d’ailleurs des reprises de poèmes précédemment parus dans cette revue (« … La norma donada… », « Amiga, laisa-me… » et « La roza »123). Deux autres textes sont par contre des rééditions, avec adaptation graphique et linguistique, de poèmes précédemment publiés dans l’Armana marsihés (« L’a pancaro un cadet… » qui devient « I a pancara un cadet » et « Printèms… » qui devient « Printemps se bota à florir… »124). Au final, le recueil ne compte que deux textes vraiment inédits : « Marselha, en cantant, ai debanat… » et « Ara qu’es partida… », qui seront par la suite réédités dans la revue Oc en 1932125. Reboul inaugure ici une façon de fonctionner qui le suivra tout au long de sa carrière poétique, l’art de rééditer à de multiples reprises ses textes, dans des médias et sous des formes graphiques et linguistiques différentes, faisant de la structure éditoriale de son œuvre une construction particulièrement complexe et, accessoirement, bien difficile à reconstituer de façon exhaustive.

Sur le fond, l’œuvre se distingue aussi des précédents recueils en ce que les poèmes amoureux (« Ai culit una roza », « Amiga, laisa-me beure ton alena » et « Ara qu’es partida ») ne représentent plus qu’une part minoritaire de l’opuscule à côté d’autres textes aux thématiques plus variées (dédicace aux maı̂tres comme dans « Pèr Antonin PERBOSC#, en grand merces » précédemment publié dans Oc sous le titre « … La norma donada… », ou encore poème engagé dans la défense de la tradition littéraire et du dialecte marseillais comme dans « Marselha, en cantant, ai debanat… »).

Enfin, selon les informations données par Charles Camproux dans la préface du recueil, Escapolon a aussi pour particularité de constituer la seule trace apparemment existante d’un recueil de Reboul, Lo cor sus la man, présenté aux Jeux floraux du Félibrige de 1929 pour la Santo Estello de Rodez. Dans mes tentatives de reconstitution de l’œuvre de Reboul, j’ai écrit au Félibrige pour savoir s’il existait des archives de cette Santo Estello ; malheureusement, aucune trace n’a pu en être retrouvée. En l’état, il semble donc bien que ce recueil Lo cor sus la man ait été perdu, sans que l’on puisse savoir quel en était le contenu exact ni si, par le biais des autres publications de Reboul, on dispose aujourd’hui de façon indirecte de l’ensemble de ses textes.

Du côté de la critique, on ne trouve pas trace d’articles spécifiquement consacrés au recueil, hormis le texte de Charles Camproux figurant au début de l’ouvrage et lui servant de préface sous l’intitulé « Estampeu »126. S’il ne prend pas réellement parti à titre personnel sur la valeur de l’ouvrage, Camproux en souligne le caractère plaisant et deux de ses spécificités les plus marquantes.

En premier lieu, il indique qu’il est rédigé en « langue marseillaise » mais dans une orthographe inspirée de la graphie médiévale qui rompt avec celle des félibres, ce qui 123 « … La norma donada… », Oc, n°90, 1er mai 1928, p. 2 ; « Amiga, laisa-me… », Oc, n°97, 15 août 1928, p. 2 ; « La roza », Oc, n°102, 1er novembre 1928, p. 3.

124 « L’a pancaro un cadet… », Armana marsihés, 1929, p. 29-30 ; « Printèms… », Armana marsihés, 1930, p. 49-50.

125 Oc, n°136, mars-avril 1932, p. 124-126.

126 Carles Camproux, « Estampèu », Escapolon : 7 trobas en oc, Jòrgi Reboul, Marseille, Amistanço dei Joueine, 1930, sans pagination. Le texte complet de l’Estampèu que je reproduis ci-après est en graphie d’époque.

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permet à Reboul de faire un pont entre Marseille, les anciens troubadours et les autres poètes contemporains du Languedoc et de la Catalogne. En réalité, il s’avère que contrairement à cette présentation, une analyse linguistique même sommaire d’Escapolon permet de mettre en évidence que la langue employée par Reboul n’est nullement calquée sur le dialecte marseillais contemporain mais sur du languedocien. Peut-être faut-il chercher la cause de cette entorse de Camproux à la réalité linguistique dans le contexte d’époque qui voit se développer des tensions de plus en plus importantes entre tenants de la graphie mistralienne et tenants du retour à une graphie plus autochtone d’inspiration médiévale. Camproux ne s’y trompe d’ailleurs pas car, même s’il souligne les liens ainsi établis par Reboul entre sa graphie et celle des anciens troubadours, il met surtout en exergue le caractère militant de ce geste qui tend un pont, par-dessus le Rhône, aux Occitans du Languedoc et aux frères catalans.

En second lieu, comme je l’ai mentionné plus haut, Camproux indique au lecteur que certains des poèmes regroupés dans l’ouvrage sont tirés d’un recueil inédit primé à la

Santo Estello de 1929. Au-delà de l’anecdote, cette remarque permet de souligner le début

de reconnaissance dont Reboul jouissait alors sur la scène de la poésie d’oc.

Jorgi REBOUL publica aici quaucas trobas causidas en una lenga marselhesa, un pauc sabenta, d’unes diran. En generau, l’ortogràfi soleta n’es la causa. Pamens, es marselhesa, aquela ortogràfi, mau-grat l’exemple dels trobaires e dels felibres dels darriers siecles, se nos viram devers nostres aujous antics.

Es raviscos de veire un poeta dau Lacidon tendre la man, per dessubre los ans als Occitans de l’Istoria, e per dessubre lo Rose, als Occitans de Lengadoc e de Catalonha. La question de grafia, per iu, es segondaria e deu empachar degun de freirejar per la Causa. La norma en aquela question es : libertat completa en totes. L’Astrada saupra ben reconeisser la via.

Tamben, dirai pas se Jorgi REBOUL a agut rason o nàni de publicar aquelas « trobas en Oc », m’acontentarai de las legir per n’en tastar la sabor qu’a plasegut, bord que las trobas LO COR SUS LA MAN son pescadas dins un recuelh inedit qu’a daverat lo 1er pres de poesia als Jocs Florals de la Sta Estella de Rodez (1929).

{Jòrgi REBOUL publie ici quelques poésies choisies dans une langue marseillaise, un peu savante, diront certains. En général, l’orthographe seule en est la cause. Cependant, elle est marseillaise, cette orthographe, malgré l’exemple des poètes et des félibres des derniers siècles, si l’on se tourne vers nos ancêtres antiques.

Il est revigorant de voir un poète du Lacydon tendre la main, par-dessus les ans aux Occitans de l’Histoire, et par-dessus le Rhône aux Occitans du Languedoc et de Catalogne.

La question de la graphie, pour moi, est secondaire et ne doit empêcher personne de fraterniser pour la Cause. La norme sur cette question est : liberté totale pour tous. Le Destin saura bien reconnaître la voie. Je ne dirai pas non plus si Jòrgi REBOUL a eu raison ou non de publier ces « poésies en Oc », je me contenterai de les lire pour en goûter la saveur qui a plu, puisque les poèmes LE CŒUR SUR LA MAIN sont pêchés dans un recueil inédit qui a obtenu le 1er

prix de poésie aux Jeux Floraux de la Sainte Estelle de Rodez (1929).}

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§2-

LES GRANDS RECUEILS DES ANNÉES 1930

Comme évoqué plus haut, Reboul commence à publier dans la revue Marsyas à la fin de l’année 1930. De fait, c’est cette année-là qu’il fait la connaissance de Sully-André Peyre qui va largement soutenir sa carrière poétique par le biais de sa revue durant les vingt années suivantes. En mai 1931 sort ainsi un numéro de Marsyas où paraissent six poèmes de Reboul, en graphie mistralienne et dialecte marseillais, accompagnés de leur traduction française ; une présentation en est assurée par Sully-André Peyre lui-même127. Suivront de nombreuses autres publications dans la revue Marsyas au cours des années 1930 : cinq poèmes en 1934 sous le simple titre « Pouèmo »128 ; un en 1935129 ; puis quinze en deux fois, en 1937, sous le même intitulé « Poèmes provençaux de Jòrgi Reboul » et avec la précision qu’ils sont « extraits du recueil Terraire Nòu (Terroir Nouveau), sous presse aux E+ditions Marsyas »130.

Reboul ne renonce toutefois pas à la multiplicité des supports éditoriaux et des graphies qui le caractérisent. Ainsi, il publie en graphie classique « Anar lunch… » dans la revue Lo Gai Saber en 1931131 et « De “Lo cor sus la man” » dans la revue Oc en 1932132. Parallèlement, il continue d’approvisionner régulièrement l’Armana marsihés de poèmes en graphie mistralienne avec « Per Jóuselet Chabaud# » en 1931133, « A n’aquelo de deman » en 1932 134, « Pèr l’amigo » et « L’aubre m’a di » en 1934135, « La coupo » en 1935136 et « Partènci » en 1937137. On peut également relever au moins deux autres poèmes en graphie mistralienne et sans traduction dans Sisteron-Journal : « Pèr un panié de rasin » en 1933 et « Lei chin » en 1934138. Le premier de ces textes est suivi d’une petite note de la rédaction :

N.D.L.R. — Notre collaborateur Jorgi Reboul, dont la famille maternelle est originaire de Salignac, a quelque peu dérouté ses aînés du Félibrige par la publication de poèmes comme celui que nous donnons ci-dessus. D’une grande liberté d’allure, sa poésie à la fois familière et savante, a été saluée très diversement par la critique habituée jusqu’ici à entendre, en langue provençale, la discipline classique, les redites et la contrainte. Dans ses nombreux essais, le gavot Jorgi Reboul apporte à la littérature une note nouvelle, originale, souvent

127 Marsyas, n°125, mai 1931, p. 592-594 : « La mar touarno », « Escouto la musico amigo », « Regardo s’espandi l’idèio », « Ai dubert », « Lou pus bèu de mei pouemo » et « Ce que ti fau ».

128 « Art pouëtique », « Pèr Jousé d’Arbaud », « Musico, clarta… », « Simplesso entrevisto… » et « La boulegadivo lagramuso… », Marsyas, n°158-159, février-mars 1934, p. 739-741.

129 « À ma jouvènço », Marsyas, n°172-173, avril-mai 1935 (1ère p.).

130 « Pèr Antòni Conio », « À la chato », « Pèr Amy Sylvel », « À Sully-André Peyre », « Cantico vièi », « Ausisse d’aqueste faune… », « De-tras leis erso… », « Ai, sus lou flùvi… », « Grapaud, vihaire… », « Aquéleis uei… », « Ah ! se poudiés… », Marsyas, n°195-196, mars-avril 1937, p. 923-927. « À Jan-Calendau », « Aparamen », « Calanco », « Partirai », Marsyas, n°200-201, août-septembre 1937, p. 943-944.

131 « Anar lunch… », Lo Gai Saber, n°78, 1931, p. 61.

132 « De “Lo cor sus la man” », Oc, n°136, mars-avril 1932, p. 124-125. 133 « Per Jóuselet Chabaud », Armana marsihés pèr 1931, p. 22-23. 134 « À n’aquelo de deman », Armana marsihés pèr 1932, p. 16.

135 « Pèr l’amigo », Armana marsihés pèr 1934, p. 36-37 ; « L’aubre m’a di », Armana marsihés pèr 1934, p. 65. 136 « La coupo », Armana marsihés pèr 1935, p. 36-37.

137 « Partènci », Armana marsihés pèr 1937, annexe Quinquet, p. 31.

138 « Pèr un panié de rasin », Sisteron Journal, 28 octobre 1933, p. 2 ; « Lei chin », Sisteron Journal, 10 février 1934, p. 2.

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tumultueuse. C’est un « trouveur » (troubaire) qui est « lui », avec ses défauts et ses… qualités !

Quant au second poème, « Lei chin », il est accompagné de l’indication « Fablo

retroubado emé Ivan Andréievitch KRYLOF » (sic) {Fable inspirée d’Ivan-Andreı̈evitch

KRYLOF}. Il s’agit donc à l’évidence d’une adaptation par Reboul d’un texte de cet écrivain (Moscou, 1769 – Saint-Petersbourg, 1844) demeuré célèbre en Russie, notamment pour ses recueils de fables. Enfin, même si je ne l’ai trouvé que sous forme de document dactylographié à la machine à écrire dans les archives du CIRDOC, il semble que Reboul ait aussi publié en 1932 un poème intitulé « A# Filadelfo de Gerdo », en graphie mistralienne et sans traduction, dans la revue Pampres et Lys#139.

Le début des années 1930 marque toutefois une certaine rupture dans les habitudes éditoriales de Reboul. De fait, après 1932, il interrompt toute publication au sein de la revue Oc et tout recours à la graphie classique. Peut-être faut-il y voir une certaine influence de Sully-André Peyre ― fervent défenseur du provençal rhodanien et de la graphie mistralienne au nom du droit de chef d’œuvre140 ―, alors en opposition frontale avec les membres de l’Escòla occitana d’Antonin Perbosc et Prosper Estieu. Toujours est-il qu’il faudra attendre 1960 pour que Reboul renoue avec la revue Oc et la graphie classique. Sully-André Peyre consacre dès mai 1931 un assez long article au début de carrière de Reboul dans sa revue Marsyas141. Il y fait le point, en note liminaire, sur la bibliographie du poète, œuvres publiées mais aussi inédits à paraı̂tre. On notera à cet égard que certaines des œuvres citées dans les inédits n’ont finalement jamais vu le jour et ont probablement été égarées — en tout cas, en l’état de mes recherches ; c’est le cas pour les deux recueils Lo cor sus la man et Couralamen, mais aussi pour le conte fantastique Rau-

raisso, le roman À flour e mesuro et la pièce Lou gai retour.

Bibliographie : À couar dubert (1928), Calignàgi (1929), Escapolon (1930), trois plaquettes de poèmes provençaux, dont le troisième en graphie « occitane ». (Édition de l’Amistanço di Jouine, Marseille ; les deux dernières hors-commerce.) — Inédits : Lo Cor sus la Man, Couralamen, Sènso relàmbi, poèmes provençaux. Rau-raisso, conte fantastique, en provençal. À Flour e Mesuro, roman, en provençal. Diverses monographies : sur Francès Toussant Gros, troubaire marsihés, La Santo Baumo, Cujo, Clouvis Hugues, Emilo Zola e la Prouvènço, etc. — Théâtre : Nesimo (1929), Rèn qu’un pantai (1930), représentés plusieurs fois à Marseille. Lou gai retour, drame en préparation.

Son plus grand défaut, — pour mon oreille qui se complaît à la pure harmonie mistralienne, comme à la douceur limousine de Pestour#, — est peut-être de s’obstiner aux particularités

dialectales de Marseille, et, notamment, l’affreux oua, dont cet alexandrin (qui, d’ailleurs, Dieu merci, n’est pas de Reboul) peut donner quelque idée : L’amour que moun couar pouarto es fouart coume la mouart. Ce défaut, et les autres : une complaisance pour la graphie « occitane », tentative artificielle, à laquelle il infuse, dans Escapolon et Lo Cor sus la Man, un peu de sa vie surabondante ; une truculence qui n’est pas toujours en rapport avec le contexte, une sorte d’anarchie qui le pousse au vers-libre (comme vers une fin, alors que

139 « À Filadelfo de Gerdo », texte dactylographié portant la mention « Pampres et Lys, n°63, décembre 1932 », Archives du CIRDOC, « Dossier Messatges », LAF.H.057.

140 Pierre Lavelle, Occitanie. Histoire politique et culturelle. Une histoire des Occitans des origines à nos jours, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 2004, p. 434.

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le vers-libre n’est encore qu’une recherche), — ces défauts, on les lui pardonne, à cause de son inspiration directe, spontannée ; et de son expression vivante, énergique, faite de simplicité et d’ardeur, où tous les mots portent, où les refrains, chargés d’essentiel, obsèdent, où la mer et les arbres emplissent soudain la strophe, où le symbole naît du regard et passe dans la voix, monte de la chair et s’épanouit dans l’image, comme un accord de tous les sens, et de l’âme dans les sens.

Il dit lui-même procéder du truculent Victor Gelu et du puissant Théodore Aubanel. De Gelu, il a peut-être la truculente véhémence et le contact direct, sans fausse honte. D’Aubanel, il a sans doute le désir païen, l’avidité de la chair, que chez Aubanel le catholicisme contenait, par un combat constant. Mais il est surtout lui-même, plus désordonné et plus étonnant, enrichi de tout ce qu’une nouvelle génération trouve en elle-même, et dont la partie même qui vient du passé ne ressemble plus au passé, mais en augmente, en diversifie le legs. Ses énormes défauts sont peut-être nécessaires à sa formation. Il ne fait que commencer. Regardons-le faire, comme on dit, regardons-le se faire, sans lui ménager nos critiques, mais sans lui céler (sic) notre espérance.

Ce qui est avant tout marquant dans cette présentation de Reboul par Peyre, c’est le regard très contrasté qu’il porte sur le début de carrière du jeune poète marseillais. Il souligne en premier lieu les « énormes défauts » des textes, à l’évidence directement en lien avec son attachement résolu aux canons du mistralisme. Ces reproches portent à la fois sur la forme (utilisation du dialecte marseillais, emploi occasionnel de la « graphie occitane », usage du vers libre) et sur le fond (excès de truculence et de vécu personnel dans les textes). Peyre relève néanmoins chez Reboul des qualités d’expression certaines et un style à l’efficacité percutante. S’il reconnaı̂t pour partie la validité de la filiation que Reboul revendique auprès de Gelu et d’Aubanel, il insiste surtout sur l’originalité propre de ses créations. Au final, et au-delà de critiques maintenues sur un ton un peu docte, Peyre émet l’hypothèse — un peu comme Conio dans la préface de À couar dubert — que les travers relevés pourraient surtout tenir au fait que Reboul n’en est qu’au début de son apprentissage poétique ; il se montre d’ailleurs assez confiant quant à ses succès à venir.

Durant toute la période 1932-1960, c’est donc essentiellement auprès de la revue

Marsyas que Reboul fera paraı̂tre ses poèmes. De cette collaboration avec Sully-André

Peyre vont naı̂tre trois importants recueils, Sènso relàmbi, Pouèmo et Terraire nòu, respectivement publiés en 1932, 1934 et 1937. Point commun aux trois ouvrages sur le plan formel, ils sont rédigés en graphie mistralienne — la seule prônée par Sully-André Peyre —, composés en dialecte marseillais et accompagnés d’une auto-traduction française. On peut noter au passage que la qualité matérielle de ces nouveaux recueils (couverture, papier, mise en page…) contraste fortement avec celle des premières publications réalisées avec les seuls moyens de fortune de L’Amistanço dei Joueine (Figure 21).

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Figure 21. Reproduction du premier poème du recueil Sènso relàmbi