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CHAPITRE II : Le parcours littéraire de Jòrgi Reboul

I- LA FORMATION LITTÉRAIRE DE JÒRGI REBOUL

Les premiers contacts de Reboul avec la langue d’oc datent de son enfance. Selon ses propos rapportés par André-Paule Lafont, « Tout joueine, la lengo d’O es intrado dins meis

auriho, mai n’en fasian pas mai de cas à l’oustau » {Tout jeune, la langue d’Oc est entrée

dans mes oreilles, mais nous n’en faisions pas grand cas à la maison}5. L’usage de la lenga

nòstra reste donc sporadique dans le quotidien familial.

En réalité, c’est plus par le biais de ses fréquentations personnelles que Reboul va progressivement se constituer une solide culture littéraire d’oc qui puise aux deux grandes sources présentes à Marseille après la Première Guerre mondiale : l’héritage de Mistral et celui des Trobaires marselhés.

§1- L’HÉRITAGE MISTRALIEN

Selon Andrée-Paule Lafont, c’est par une démarche personnelle et volontaire que Reboul s’approprie réellement la langue provençale, probablement aux environs de ses 18 ans quand il commence à fréquenter …? Prouvènço !... (sic), la principale escolo félibréenne de Marseille, et sa succursale de randonnée pédestre, d’alpinisme et d’escalade, les

Escourrèire marsihés {Excursionnistes marseillais}.

Reboul lit la Mirèio de Mistral vers 1922 et, à peu près à la même époque sans doute, découvre le dictionnaire provençal de Xavier de Fourrière, Lou Pichot Tresor, ainsi que l’Armana prouvençau# publié par le Félibrige6.

A# cette même époque, il fait la connaissance de Pierre Bertas et d’Antoine Conio7, tous deux majoraux du Félibrige mais qui ont pour particularité très marseillaise d’être clairement marqués à gauche alors que les années 1920 voient le courant maurassien gagner en force les autres écoles du Félibrige. Bertas est pour sa part militant et élu

4 Hormis un article de François Pic ayant tenté d’établir la liste des publications consacrées à Reboul (« Essai de biographie de Jòrgi Reboul », Actes du colloque Jorgi Reboul, Septèmes-les-Vallons, 9 avril 1994, Septèmes- les-Vallons, 1996, p. 69-81), aucun travail exhaustif de dépouillement de la documentation internationale ne semble jamais avoir été effectué jusqu’alors et les rares références que j’ai pu trouver sur la réception de Reboul à l’étranger se montrent pour le moins imprécises, comme cet article d’Aquò d’Aquí paru en 1992 qui se contente d’indiquer que « les œuvres de Jòrgi Reboul ont été traduites en français, catalan, espagnol, italien, anglais, roumain, slovaque… » sans donner plus d’indications bibliographiques (Pierre Combe, « Un siècle avec Jòrgi Reboul », Aquò d’Aquí, n°66, mai 1992, p. 8).

5 Andrée-Paule Lafont, « L’œuvre du Provençal G. Reboul », XIIe stage pédagogique et culturel de l’IEO, La Ciotat, 25 août – 6 septembre 1963, archives personnelles de Claude Barsotti, non publié, p. 2.

6 Andrée-Paule Lafont, op. cit., p. 2.

7 Joan-Ives Casanova, « Per una autra poetica ? Marselha de Bernard a Reboul », Actes du colloque Jorgi

Biographie de Jòrgi Reboul

socialiste, tandis que Conio est proche du parti communiste et de son journal Rouge Midi où il publie des chroniques dans les années 19308.

C’est également dans le cadre du mistralisme que Reboul fait la connaissance en 1930 de Sully-André Peyre#, lequel aura une importance capitale sur sa carrière poétique en lui ouvrant les portes de sa revue Marsyas et de sa maison d’édition éponyme. La fréquentation de Sully-André Peyre et de sa revue permettent également à Reboul de se lier d’amitié avec d’autres poètes de Marsyas, comme Jean-Calendal Vianès, Max-Philippe Delavouet et Charles Galtier. C’est d’ailleurs sur leurs traces qu’il adhère officiellement au Félibrige en 1928 et en obtient le titre de mestre en Gai Sabé en 19319.

§2-

L’HÉRITAGE DES TROBAIRES MARSELHÉS

Toutefois, en parallèle au mistralisme, Reboul est également très marqué par un second courant plus spécifique à l’histoire littéraire de Marseille. De fait, au XIXe siècle, la cité phocéenne avait vu se développer le mouvement des Trobaires et chansonniers marseillais au premier rang desquels il convient de citer Victor Gelu qui, selon le mot de Robert Lafont et de Christian Anatole, « domine toute la littérature d’oc à Marseille » et demeure « une source linguistique, esthétique, mais aussi morale et politique » essentielle dans le paysage littéraire local10. Comme l’écrit Jean-Yves Casanova, ce courant des

Trobaires « es l’expression de la ciutat e de sei conflictes umans, sei dificultats d’existéncia dins una temporada que la ciutat focenca s’acara a de cambiaments economics e umans de premiera importància11 » {est l’expression de la ville, de ses conflits humains et de ses difficultés d’existence dans une période où la cité phocéenne fait face à des changements économiques et humains de première importance}. Il constitue la première renaissance littéraire provençale au XIXe siècle, antérieurement au mouvement félibréen et prend naissance dans la ville portuaire vers les années 1840. Il se caractérise tout à la fois par : l’importance du public qu’il rencontre ; un ancrage revendiqué dans le réalisme ; une grande disparité graphique cherchant à traduire au mieux les particularités de la langue de chaque auteur ― avec emprunt de solutions techniques à la graphie du français ; et une grande multiplicité de productions littéraires, allant des contes aux chansons en passant par la poésie. A# l’initiative de Joseph Désanat paraı̂t à partir de 1841 un journal entièrement en vers provençaux, Lou Bouil-Abaïsso, qui assure le premier groupement d’écrivains occitans. Parmi les principaux membres de ce mouvement, on trouve notamment Désanat, Pierre Bellot, Fortuné Chailan, Gustave Bénédit, Antoine Bigot et, bien évidemment Victor Gelu précédemment cité, tous issus de la classe ouvrière ou de la petite bourgeoisie12.

8 Philippe Martel, « Lo Calen, ou la voie de l’occitanisme marseillais dans l’entre-deux-guerres », A l’entorn

de l’accion occitana (1930-1950) : Paul Ricard, Jòrgi Reboul, Carles Camproux, Max Rouquette. Actes del Collòqui, Seteme de Provença, 2 febrièr 2013, Septèmes-les-Vallons, Centre Culturel Louis Aragon, 2014, p. 6

9 François Pic, « Essai de biographie de Jòrgi Reboul », Acte du colloque Jorgi Reboul, Septèmes-les-Vallons, 9

avril 1994, Septèmes-les-Vallons, 1996, p. 70

10 Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littérature occitane, vol. 2, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 636.

11 Joan-Ives Casanova, « Per una autra poetica ? Marselha de Bernard a Reboul », Actes du colloque Jorgi

Reboul, Septèmes-les-Vallons, 9 avril 1994, Septèmes-les-Vallons, 1996, p 12.

Biographie de Jòrgi Reboul

Reboul n’échappe pas à l’attraction de cette école des poètes réalistes marseillais, et en particulier à celle de Gelu, vers laquelle l’orientent Antoine Conio et Valère Bernard. Ces deux félibres s’inscrivent en effet clairement dans la mouvance des Trobaires, opposant « leur identité citadine et populaire au courant mistralien dominé par le monde rural »13. Sous leur amical patronage, Reboul va rapidement s’inscrire dans l’héritage de Gelu, tant au niveau des représentations qu’il se fait de l’acte d’écriture, où poésie et proclamation sociale sont fortement liées, qu’au niveau du choix du provençal maritime marseillais comme langue littéraire14.

Au-delà de cette proximité linguistique évidente entre les deux écrivains, il faut toutefois relever des divergences importantes dans la motivation d’un tel choix par l’un et l’autre des deux poètes. Gelu, pour sa part, n’accordait aucune valeur littéraire particulière au dialecte qu’il utilisait, non seulement en raison du fait qu’il l’estimait condamné à terme tout comme les classes qui le parlaient15 mais également parce que, tout en l’employant — et précisément à cette fin, de manière à assumer pleinement la véracité de ses personnages pris au bas de l’échelle sociale —, il l’estimait dénué de toute idée de grâce, « brutal et impétueux comme le vent du nord-ouest », ne pouvant rendre que la force et enlaidissant même les jolies Marseillaises « quand elles articulent ce langage diabolique »16. Or les motivations de Reboul quant à ce choix dialectal sont autrement plus positives comme le rappelle Andrée-Paule Lafont : c’est « contre l’académisme du langage » et en opposition aux prétentions de certains félibres « qui estiment grossier le parler du Peuple » que Reboul choisit d’opter pour le provençal maritime phocéen17. On retrouve ici l’indépendance d’esprit de Reboul qu’il conservera toute sa vie et qui lui fait refuser, dès l’origine de son œuvre, les conventions d’époque prêtant au rhodanien de Mistral les lauriers de la perfection littéraire au sein du Félibrige. Lui-même le dit d’ailleurs clairement dans son poème « Marselha, en cantant ai debanat… »18 :

Marselha, en cantant, ai debanat lo coral cabedel de ma vida e largat ta lenga acolorida

reviudada al sorgent condanat. […] Pauc me chal se m’en vau malcorar d’aqueles senhors d’una altra alena...

{Marseille, en chantant, j’ai déroulé la cordiale pelote de ma vie

et déployé ta langue colorée

ranimée à la source condamnée. […] Peu m’importe si je m’en vais décourager de ces messieurs d’une autre haleine…

13 Jean-Luc Pouliquen, « Jòrgi Reboul ou l’honneur et la fierté de l’Occitanie », Ce lien qui les rassemble. Les

Cahiers des Poètes de l’École de Rochefort-sur-Loire, n°5, Petit Véhicule, Nantes, Presses d’Orphée,

2014, p. 64.

14 Dominique Blanchard, « Jòrgi Rebol, l’òme dreit », A l’entorn de l’accion occitana (1930-1950) : Paul Ricard,

Jòrgi Reboul, Carles Camproux, Max Rouquette. Actes del Collòqui, Seteme de Provença, 2 febrièr 2013,

Septèmes-les-Vallons, Centre Culturel Louis Aragon, 2014, p. 62.

15 Pierre Lavelle, L’Occitanie : histoire politique et culturelle. Une histoire des Occitans des origines à nos jours, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 2004, p. 413-414.

16 Victor Gelu, cité par Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littérature occitane, vol. 2, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 564.

17 Andrée-Paule Lafont, « L’œuvre du Provençal G. Reboul », XIIe stage pédagogique et culturel de l’IEO, La Ciotat, 25 août – 6 septembre 1963, archives personnelles de Claude Barsotti, non publié, p. 2.

18 Escapolon, Marseille, Amistanço dei Joueine, 1930. À noter que le -s final de criticant constitue une erreur dactylographique, comme le montre l’absence de pluriel à richenant deux vers plus haut.

Biographie de Jòrgi Reboul

que voldriem me riblar lor cadena e dedins lor crota m’embarrar.

Grands sapients richenant dins sa barba, o nanets criticants d’escondon,

diran que siu pas mas qu’un verd codon que val ren lo pr[e]fum de ma garba. […] Basta ! à ton antic e drud lengage, Marselha, o ma maire, s’ai volgut à mon grat pagar l’umble degut, que ton cor sostengue mon corage.

qui voudraient me river à leur chaîne et dans leur cave m’enfermer.

Grands savants ricanant dans leur barbe, ou nains critiquant en cachette,

ils diront que je ne suis pas plus qu’un coing vert]

qu’il ne vaut rien le parfum de ma gerbe. […] Assez ! À ton antique et dru langage,

Marseille, ô ma mère, si j’ai voulu à mon gré payer l’humble dû,

que ton cœur soutienne mon courage.}

Pour en revenir aux auteurs contemporains qui l’ont directement influencé, Reboul reconnaı̂t très clairement les rôles de premier ordre tenus par Antoine Conio et de Valère Bernard. A# propos de Conio, il écrit : « Es Conio, pasmens felibre, lou proumier Oubrié de ma

liberacien. Es éu e sa libro pensado que m’a mes la plumo en man19 » {C’est Conio, quoique félibre, le premier Ouvrier de ma libération. C’est lui et sa libre pensée qui m’ont mis la plume en main}. C’est d’ailleurs grâce à lui que Reboul rencontre Han Ryner# dont la philosophie libertaire ne manquera pas d’orienter ses propres choix esthétiques et militants. Valère Bernard constitue quant à lui une sorte de pont entre les deux courants, réaliste marseillais et mistralien, qui ont chacun influencé Reboul. Pour reprendre les mots de Dominique Blanchard — dans le droit fil de ce qu’écrivait déjà en 1994 Jean-Yves Casanova20 — Bernard « foguèt lo ligam entre la literatura dels Trobaires marselheses e lo

Felibritge. Dobriguèt de dralhas esteticas novèlas e aucèt la paraula retrobada en tot l’integrar a las realitats marselhesas21 » {fut le lien entre la littérature des Trobaires marseillais et le Félibrige. Il ouvrit des voies esthétiques nouvelles et réhabilita la parole retrouvée tout en l’intégrant aux réalités marseillaises}. Valère Bernard constitue également le premier pont entre Reboul et l’occitanisme. De fait, c’est probablement sous son influence que Reboul commence à publier dans Oc, en utilisant une version pré- alibertine de la graphie classique et un dialecte de type languedocien, puis édite le recueil

Escapolon selon les mêmes principes en 193022. * * *

En résumé, comme l’écrit Jean-Yves Casanova23, « La destinada poetica de Jòrgi

Reboul es a la crosiera d’una paraula urbana, que lo determina e mena son accion, e una estetica renaissentista que pòrta la marca dei grands tèxtes provençaus dau sègle passat. »

{La destinée poétique de Reboul est au croisement d’une parole urbaine, qui le détermine 19 Andrée-Paule Lafont, « L’œuvre du Provençal G. Reboul », XIIe stage pédagogique et culturel de l’IEO, La Ciotat, 25 août – 6 septembre 1963, archives personnelles de Claude Barsotti, non publié, p. 2-3.

20 Joan-Ives Casanova, « Per una autra poetica ? Marselha de Bernard a Reboul », Actes du colloque Jorgi

Reboul, Septèmes-les-Vallons, 9 avril 1994, Septèmes-les-Vallons, 1996, p 12.

21 Dominique Blanchard, « Jòrgi Rebol, l’òme dreit », A l’entorn de l’accion occitana (1930-1950) : Paul Ricard,

Jòrgi Reboul, Carles Camproux, Max Rouquette. Actes del Collòqui, Seteme de Provença, 2 febrièr 2013,

Septèmes-les-Vallons, Centre Culturel Louis Aragon, 2014, p. 64. 22 Andrée-Paule Lafont, op. cit., p. 3.

Biographie de Jòrgi Reboul

et conduit son action, et d’une esthétique renaissantiste héritière des grands auteurs provençaux du siècle passé}.

Toutefois, pour être parfaitement complet sur la formation littéraire de Reboul, on ne peut évidemment passer sous silence les écrivains non occitans qui l’ont également influencé. Selon Andrée-Paule Lafont24, Reboul a commencé à s’intéresser à la littérature française et internationale à partir de 13 ans. Ses premiers auteurs ont été Poe, Longus, Henri Murger, Upton Sinclair et, un peu plus tard, Zola, Ryner et Giono ; on notera, avec Andrée-Paule Lafont, l’absence de poètes français dans cette liste. S’agissant plus particulièrement de Zola, Ryner et Giono, Andrée-Paule Lafont ajoute :

Ces trois derniers ont leur importance, supposent des choix intellectuels décisifs. « DREYFUSARD » après coup, G. REBOUL conçoit pour ZOLA une admiration immense. À 18 ans, il a acheté ses œuvres complètes 150 F. payées en 3 fois !

De RYNER avec qui il a longuement correspondu, il est marqué par le « Catéchisme de l’Individualisme », anarchisme pacifiste.

De son goût pour GIONO, G. REBOUL se moque un peu aujourd’hui, conscient que GIONO est une sorte de faussaire en matière provençale. Il reste révélateur d’un tempérament, d’une fougue, d’une passion de plénitude.