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CHAPITRE II : Le parcours littéraire de Jòrgi Reboul

C) UNE POÉSIE DIRECTE ET BRUTE, À LA MANIÈRE DE GELU

La dernière grande caractéristique formelle de la poésie de Reboul est qu’il choisit d’emblée comme référence littéraire la langue de Gelu, dans ce qu’elle a de rugueux et de spontané. Il opte pour une expression brute, directe, vide d’ornements, résolument vigoureuse et qui vise à faire triompher les idées exprimées de façon claire et précise. Comme le dit Dominique Blanchard92 :

88 Pierre Millet, « La jeune poésie d’oc », Reflets de Provence, n°4, avril 1954, sans pagination. 89 Charles Camproux, Bestiari, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1947, 87 p.

90 Jean Rouquette, La littérature d’oc, Que sais-je, n°1039, Paris, Presses universitaires de France, 1980, p. 113.

91 Yves Rouquette, En occitan. Une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013, p. 156.

92 Dominique Blanchard, « Jòrgi Rebol, l’òme dreit », A l’entorn de l’accion occitana (1930-1950) : Paul Ricard,

Jòrgi Reboul, Carles Camproux, Max Rouquette. Actes del Collòqui, Seteme de Provença, 2 febrièr 2013,

Biographie de Jòrgi Reboul

Lo poèta es « dirècte ». Sap çò qu’a a dire e o ditz en tota consciéncia sens recórrer a d’artificis, mas sonque a qualques imatges simples que se pòdon descodar aisidament. […] lo poèma es pas pus qu’una injoncion a viure, poderosa, bèla e coratjosa.

{Le poète est « direct ». Il sait ce qu’il a à dire et le dit en toute conscience sans recourir à des artifices, mais seulement à quelques images simples qui peuvent se décoder aisément. […] Le poème n’est plus qu’une injonction à vivre, puissante, belle et courageuse.}

Cet avis est largement partagé. Ainsi, pour Jean-Yves Casanova, la poésie de Reboul est celle de la simplicité du discours, simplicité qui loin de traduire une absence de valeur ou d’intérêt, est synonyme d’une limpidité de la langue qui repose sur l’absolue présence de la nudité de la parole poétique93 :

La poësia de Reboul es aquela d’una simplesa dau discors literari. Simplesa vòu pas dire, de ges de biais, una abséncia de valor o d’interès, mai puslèu una mena de lindetat que deu ren ai matèrias lingüisticas de la lenga, mai a l’absoluda preséncia de la nuditat de la paraula.

{La poésie de Reboul est celle d’une simplicité du discours littéraire. Simplicité ne veut pas dire, en aucune façon, absence de valeur ou d’intérêt, mais plutôt une sorte de limpidité qui ne doit rien aux matières linguistiques de la langue, mais à l’absolue présence de la nudité de la parole.}

Jean-Marie Petit, qui préface Pròsas geograficas en 1985, effectue le même constat94 :

Dans le cheminement rocailleux de l’écriture et de la pensée, il trouve toujours les raccourcis de celui qui sait toujours où il veut aller. […] Tout est clair au départ comme à l’arrivée et jusque (sic) au jeu de l’antiphrase.

Dans leur Nouvelle histoire de la littéraire occitane, Robert Lafont et Christian Anatole soulignent eux aussi la « brutalité verbale de Reboul », « son goût de la clarté », son côté « direct » et, qui plus est, une évolution de son style dans le temps vers toujours plus de dépouillement pour plus d’efficacité poétique95 :

Ce qu’il a à dire, Reboul le sait et il le dit en toute conscience. Sa versification est une clarification syntaxique et non renfort de charmes. Son langage en général se dépouille de l’attirail des adjectifs ornementaux. Il y a encore des rythmes jolis et des adjectifs attendus dans Sènso relàmbi ; mais le poète, avec la maturité[,] en vient à un dépouillement total de l’idée ; la solidité de l’énonciation est renforcée par une langue exceptionnellement drue. Le poème finit par n’être plus qu’une injonction à vivre, brutale, pressée, prosaïque, triviale par puissance, et finalement reconnue comme belle, parce que courageusement claire.

Ce parti-pris de clarté est sans nul doute à rapprocher de ce que Jean Fourié qualifie pour sa part de « classicisme pintrat de nòu » {classicisme peint de neuf} dans la poésie de Reboul. En cela, Jean Fourié semble répondre, près de 40 ans plus tard, aux propos de

93 Joan-Ives Casanova, « Per una autra poetica ? Marselha de Bernard a Reboul », Actes du colloque Jorgi

Reboul, Septèmes-les-Vallons, 9 avril 1994, Septèmes-les-Vallons, 1996, p 13.

94 Jean-Marie Petit, « Préface », Pròsas geograficas, Valderiès, Vent Terral, 1985, p. 8.

95 Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littérature occitane, vol. 2, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 745.

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Pierre Millet qui évoquait, comme mentionné plus haut, la présence d’un certain hermétisme ou l’influence du surréalisme dans l’œuvre de Reboul96 :

Reboul deu pas èstre considerat, malgrat la modernitat de son biais d’escriure e l’actualitat de sa tematica, coma un autor de trobar clus qu’auriá causit le jòc de l’esperit o l’embriagament d’una inspiracion sense rason a la plaça d’una emocion sincèra. Non pas. Sap manténer l’equilibri e far beluguejar les mòts per delà lor envelòpa purament materiala

{Reboul ne doit pas être considéré, malgré la modernité de sa façon d’écrire et l’actualité de sa thématique, comme un auteur de trobar clus qui aurait choisi le jeu de l’esprit ou l’ivresse d’une inspiration sans raison à la place d’une émotion sincère. Certes non. Il sait maintenir l’équilibre et faire étinceler les mots par- delà leur enveloppe purement matérielle.}

Enfin, sans utiliser explicitement le mot de classicisme, Philippe Gardy ne dit pas autre chose que Fourié quand il tente de résumer le style de Reboul dans un propos qui constituera ma propre conclusion de ce tableau à grands traits des caractéristiques de l’œuvre de Reboul97 :

Avec Jòrgi Reboul, la poésie est un dialogue permanent, une prise de possession perpétuellement rejouée, une conquête sereine. […] l’ambition ne varie pas ; l’enjeu de dire demeure la recherche toujours recommencée de l’équilibre le plus parfait entre le monde et le poète, entre les mots et les émotions. Justesse et justice du ton : ce qui frappe peut-être avant tout autre chose dans l’écriture de Reboul c’est l’avancée franche et solide de la voix, la distribution inébranlable des silences et des pleins dans l’espace du poème. Une distribution si précise, si souverainement ajustée, que le langage finit par ne faire qu’un avec sa respiration : solidarité et sérénité du regard, du geste, et du verbe.

IV-

CHRONOLOGIE DE L’ŒUVRE POÉTIQUE DE REBOUL

Si on laisse de côté les quelques poèmes épars que j’ai pu trouver au hasard du dépouillement des archives du CIRDOC et qui n’ont jamais fait l’objet d’édition98, on peut s’appuyer sur la parution des principaux recueils de poèmes de Reboul pour fixer les grandes étapes de sa carrière poétique. Il se dégage globalement six périodes : le temps de la prime jeunesse avec ses premiers écrits, le temps des grands recueils des années 1930, le temps de la Seconde Guerre mondiale, le temps de l’après-guerre, la période des années 1970 et enfin celle des années 1980 qui marquent la fin de sa carrière littéraire.

§1- LES DÉBUTS DE LA CARRIÈRE POÉTIQUE DE REBOUL

Si l’on s’en réfère aux indications données par le poète et éditeur Jean-Luc Pouliquen sur la page web qu’il a consacrée à Reboul avec l’aide du fils de ce dernier, Gérald Reboul, la vocation poétique de Reboul serait née en 1914, alors qu’il était seul à Marignane avec

96 Joan Fourié, « Al rescontre de Jòrgi Reboul », Lo Gai Saber, n°451, Autonome 1993, p. 261-262.

97 Philippe Gardy, Une écriture en archipel. Cinquante ans de poésie occitane (1940-1990), Église Neuve d’Isaac, Fédérop, 1992, p. 31.

98 Je renvoie sur ce point au tableau synoptique de l’œuvre de Reboul (annexe 1), à ma bibliographie générale, ainsi qu’au deuxième volume de ma thèse où ils sont reproduits en intégralité (section 5).

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sa mère, après le divorce de ses parents99. C’est en tout cas ce que laisse à penser le début du poème « Siéu na longtèms après ma neissenço… », ultérieurement renommé « Marignano/Marinhana »100.

Siéu na longtèms après ma neissènço, siéu sourti dóu maridàgi

d’aquelo terro bruno emé moun esperit blound,]

e lou capiti miés emé leis an. Èro lou tèms mounte l’enfant reluco la fremo emé d’uei regrandi.

Ai senti mounta, caudo de sang, ma counsciènci.]

Je suis né longtemps après ma naissance, j’ai surgi du mariage

de cette terre brune avec mon esprit blond,]

et je le comprends mieux avec les années. C’était le temps où l’enfant

regarde la femme avec des yeux agrandis. J’ai senti monter, chaude de sang, ma conscience.]

Quoi qu’il en soit exactement, ce qui est certain c’est que la carrière poétique publique de Reboul commence vers le milieu des années 1920, avec la présentation de plusieurs textes de prose et de poésie à divers jeux floraux où il est primé : jeux de l’Avignounenco en 1923 ; jeux de Nemausa en 1924 et 1927 ; jeux de l’Escolo de Lerin en 1925, 1926 et 1927 ; et jeux de la Mantenènço de Prouvènço en 1925, 1926 et 1927 — respectivement en Avignon, Forcalquier et Arles où il obtient même le premier prix101.

A# la fin de cette même année 1927, les succès de Reboul le conduisent à se tourner vers la revue Oc, fondée trois ans plus tôt par Ismaël Girard et Camille Soula. Il y publie deux poèmes, « A Forès » et « Al reire Valèri Bernard »102, tous deux en graphie classique pré-alibertine et dans un dialecte fortement languedocianisé. Ces poèmes, dédiés respectivement à Auguste Fourès# et à Valère Bernard, deux maı̂tres de référence pour le jeune poète, inaugurent ce qui sera une constante chez Reboul tout au long de sa carrière, les poèmes dédiés à ses prédécesseurs ou comparses poètes de la langue d’oc. Comme le note Philippe Gardy103, pour tracer son propre chemin, Reboul « se réfère à quelques figures tutélaires dont il médite l’exemple en insistant tout particulièrement sur le rôle d’éclaireurs qu’ils ont pu jouer à son égard ». Toujours selon Philippe Gardy, si ces textes d’hommage constituent bien une « allégeance à des idées, au projet d’une destinée collective autour d’une langue », ils n’en sont pas moins et surtout « l’expression d’une authentique vérité poétique, résidant peut-être davantage dans l’élan qui [les] porte que dans le message dont il[s] serai[ent] chargé[s] ».

L’année suivante, Reboul commence à diversifier ses supports de publication : en parallèle à Oc où il continue de faire paraı̂tre l’essentiel de ses textes104, il édite également

99 Jean-Luc Pouliquen, « Jòrgi Reboul », [En ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%B2rgi_Reboul]. Consulté le 21 septembre 2017.

100 Initialement publié dans Sènso relàmbi, Aigues-Vives, Marsyas, 1932, p. 12-15. 101 « Georges REBOUL, provençal (Jordi lou Barrulaire) », Almanach occitan, 1928, p. 160.

102 « A Forès », Oc, n°78, 1er novembre 1927, p. 1-2 ; « Al reire Valèri Bernard, Oc, n°81, 15 décembre 1927, p. 2.

103 Philippe Gardy, Paysages du poème : six poètes d’oc entre XXe et XXIe siècle : Léon Cordes, Robert Lafont,

Bernard Lesfargues, Georges Reboul, Max Rouquette et Jean-Calendal Vianès, Montpellier, Presses

universitaires de la Méditerranée, 2014, p. 18.

104 « A-n-aquela del Levant », Oc, n°87, 15 mars 1928, p. 2 ; « La norma donada », Oc, n°90, 1er mai 1928 ; « Lo ciprès », Oc, n°95, 15 juillet 1928, p. 2 ; « Amiga, laisa-me », Oc, n°97, 15 août 1928, p. 2 ; « La roza », Oc, n°102, 1er novembre 1928, p. 3.

Biographie de Jòrgi Reboul

un sonnet, dans l’Armana marsihés, cette fois-ci en graphie mistralienne et en dialecte marseillais105. Il signe d’ailleurs son poème « Jòrgi Reboul. Troubaire marsihés ». Il fait également paraı̂tre la même année un second sonnet, « Au pue de Bartagno (1.043 m.) » — à nouveau écrit en graphie mistralienne et dialecte marseillais — dans L’Almanach

occitan106.

Toutefois, le fait le plus marquant de l’année 1928 est la parution du premier recueil de Reboul, À couar dubert, aux éditions de L’Amistanço dei joueine de Marseille107.