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CHAPITRE II : Le parcours littéraire de Jòrgi Reboul

B) LA PUBLICATION DE PRÒSAS GEOGRAFICAS (1985)

C’est surtout 1985 qui constitue la date la plus marquante des années 1980 pour l’œuvre poétique de Reboul. C’est en effet cette année-là que paraı̂t chez Vent Terral l’imposant recueil Pròsas geograficas (Figure 31)306.

Figure 31. Première de couverture du recueil Pròsas geograficas

Contrairement à Curriculum Vitae qui n’était qu’un livre de reprises, le recueil Pròsas

geograficas présente 22 textes inédits sur les 52 qui constituent l’ouvrage307.

Du côté des reprises, le nouvel opus puise principalement dans des poèmes parus de façon isolée dans la revue Marsyas après-guerre ainsi que dans la revue Oc et L’Armana

prouvençau à partir des années 1960. Il repend notamment à son compte les six poèmes

306 Pròsas geograficas, trad. Jean-Marie Petit, Valderiès, Vent Terral, 1985, 173 p. Le dessin de la couverture est d’Enric Paraire. Il avait déjà été utilisé, en noir et blanc, pour accompagner la série de poèmes « Silviana canta » publiés dans la revue Oc en 1973 (Oc, n°241, printemps 1973, p. 2).

307 « Salinhac 1930 » ; « A Valèri Bernard » ; « Solstici de mon estiu » ; « Joan-Maria Petit salut ! » ; « Un de Zakintòs » ; « Sant Baqui » ; « Marcèu Esquieu » ; « Lo sarcofage » ; « La comtessa » ; « Ismaël Girard, “Cara dubèrta còr batènt” » ; « La tosca » ; « A Andriva-Paula & Robert Lafont » ; « L’aronda » ; « Anita – Felip dei Gardy » ; « D’ara d’ara au Vianés » ; « Lo botanista » ; « La vièlha voliá jamai morir » ; « Mont Venturi ».

Œuvre non reproduite par respect du droit

Biographie de Jòrgi Reboul

« Silviana canta », déjà évoqués précédemment (voir p. 157 et s.), auxquelles s’ajoutent les « Tres pròsas geograficas » parues dans la revue Aicí e Ara en 1979308.

Reboul profite par ailleurs de ce nouveau recueil pour publier, en fin d’ouvrage, cinq adaptations en occitan de textes d’autres poètes : « Lo bèl estiu » d’après Jean Malrieu309, « La planeta dei macacas » d’après Tahar Ben Jelloun et trois poèmes d’après le poète chilien Alberto Baeza Florès, « Intimetat matiniera », « Lei presoniers » et « Fraternitat ».

Le recueil présente l’ensemble des poèmes de Reboul en graphie classique avec, s’agissant des rééditions, quelques modifications linguistiques par rapport aux éditions antérieures.

La préface et la traduction française sont réalisées par Jean-Marie Petit auquel Reboul dédie d’ailleurs l’un des poèmes inédits du recueil, « Joan-Maria Petit salut ! », daté de 1965. Jean-Marie Petit a également annexé à l’ouvrage quatre pages de notes permettant d’éclairer certains des poèmes présentés dans le livre.

Les liens entre Jean-Marie Petit et Reboul sont déjà anciens au moment où naı̂t le projet du recueil Pròsas geograficas. Jean-Marie Petit précise ainsi dans la préface de l’ouvrage310 : « Je reçois depuis une vingtaine d’années, régulièrement, des morceaux anachroniques de ce puzzle — manuscrits ou imprimés — échangé au cœur d’une amitié exigeante parce que fraternelle. » Quant au travail de traduction réalisé, il précise que c’est Reboul lui-même qui l’a sollicité pour cette tâche311 : « Dans les pas de Reboul qui me le demandait, j’ai refait ses chemins en réécrivant en français ce qui avait été pensé en oc. »

Il semble que la seule critique ayant accompagné la sortie de Pròsas geograficas ait précisément été la préface bilingue occitan/français de Jean-Marie Petit. J’en reprends ici l’essentiel de la version française — seulement expurgée des quelques extraits de poèmes cités312. Jean-Marie Petit y rappelle la longue carrière de Reboul, la constance de son positionnement et de son engagement, le caractère novateur de son œuvre ainsi que trois des grandes caractéristiques de sa poésie : le lien intime que Reboul tisse entre marche et écriture, l’importance de la rencontre avec autrui et le caractère circonstanciel de nombre de ses poèmes ― exercice dans lequel il est passé maı̂tre :

Il y a plus de cinquante ans que Jòrgi Reboul nous appelle à vivre à « Coar dubert » (sic) dans son marseillais rugueux et dru. Plus de cinquante ans où du même pas, il gravit sans détours un chemin qui de la Provence mène à ses hommes et à ses femmes, le confronte à lui-même, le renvoie à la libération de tous. […]

Avec ces Proses géographiques, la chronologie a finalement une importance secondaire car le même regard les traverse avec la même certitude de celui qui fait toujours sans hésiter le premier pas du côté de la lumière franche.

308 « Silviana canta », Oc, n°241, printemps 1973, p. 3-8. « Tres pròsas geograficas, tèxtes inedits de Jòrgi Reboul », Aicí e Ara, n°5, novembre 1979, p. 40-44 (les trois poèmes ainsi regroupés s’intitulent respectivement : « Au mas dau retiràs », « Sens adieu… » et « Carles d’Eigalieras »).

309 Déjà paru dans Oc, n°248, hiver 1974-1975, p. 31-32.

310 Jean-Marie Petit, « Préface », Pròsas geograficas, Valderiès, Vent Terral, 1985, p. 8. 311 Jean-Marie Petit, op. cit., p. 8.

Biographie de Jòrgi Reboul

Jòrgi Reboul a le regard qui porte loin, trop loin pour être récupérable et les bien-pensants de tous bords ont renoncé depuis longtemps à le faire agenouiller dans leurs chapelles. […] Jòrgi le libertaire, le cœur de sang et d’or.

Dans une Provence où les rites de clôtures ont longtemps justifié toutes les confiscations Reboul a été l’un des rares contemporains à baliser le territoire en termes d’avenir. Sa mesure et son espoir sont incorrigiblement ceux de l’homme debout… Et comme tous les hérétiques il a une foi rayonnante et contagieuse.

Présent, vigilant, interrogateur, révélateur il ne parle d’amour de terre et d’hommes qu’en se donnant en plein avec courage et entêtement, prêt à payer le prix fort de l’espoir.

Dans le cheminement rocailleux de l’écriture et de la pensée, il trouve tous les raccourcis de celui qui sait toujours où il veut aller. Il est inutile d’invoquer ici comme cela a été fait (de près ou de loin) l’auguste mémoire des surréalistes ou de Paul Valéry. Tout est clair au départ comme à l’arrivée et jusque (sic) au jeu de l’antiphrase. Cela ne veut pas dire que tout soit simple.

Il y a dans toute « montée » un jugement critique de l’espace. Celui de l’écriture de Reboul est perpétuellement conquis sur le silence ou la friche poétique. On a montré bien avant moi ce que l’œuvre de ce poète avait de novateur. Elle est par essence foncièrement novatrice. Elle est aussi unique. Ces proses élargissent le Terroir nouveau ouvert dès 1937. Ce sont celles d’un homme à l’écoute de ce temps multiple et en dialogue permanent avec lui. Pièces de circonstances dira-t-on pour certaines d’entre elles… Reboul est passé maître dans ce genre où bien d’autres se sont cassés (sic) les dents. Privilège de grand poète assurément. Je reçois depuis une vingtaine d’années, régulièrement, des morceaux anachroniques de ce puzzle — manuscrits ou imprimés — échangé au cœur d’une amitié exigeante parce que fraternelle.

Dans les pas de Reboul qui me le demandait, j’ai refait ses chemins réécrivant en français ce qui avait été pensé en oc. Je sais maintenant et de façon sûre qu’une part de notre honneur poétique et occitan s’appelle Jòrgi Reboul.

S’agissant du contenu du recueil, Jean-Luc Pouliquen indique que le livre Pròsas

geograficas pourrait constituer une sorte d’« autobiographie poétique qui s’organise

autour des lieux et des êtres rencontrés tout au long du parcours »313.

Philippe Gardy apporte lui aussi quelques précisions supplémentaires, notamment sur le choix du titre du recueil. Il relève en effet que l’expression prose géographique a commencé à être utilisée par Reboul à partir des années 1960 pour qualifier certains de ses textes. Dans le cadre de ce nouveau recueil, elle lui permet de regrouper dans un même ensemble, de façon cohérente et solidaire, toute une série d’écrits ayant émaillé sa carrière d’écrivain, du début des années 1930 jusqu’aux années 1970/1980314. On peut à cet égard noter que l’ordre d’édition des textes choisis semble parfaitement chronologique, accentuant la dimension autobiographique précédemment soulignée par Jean-Luc Pouliquen.

313 Jean-Luc Pouliquen, « Jòrgi Reboul ou l’honneur et la fierté de l’Occitanie », Ce lien qui les rassemble. Les

Cahiers des Poètes de l’École de Rochefort-sur-Loire, n°5, Petit Véhicule, Nantes, Presses d’Orphée,

2014, p. 64.

314 Philippe Gardy, « Jòrgi Reboul, le mouvement d’une poésie », Actes du colloque Jorgi Reboul, Septèmes-

Biographie de Jòrgi Reboul

Toujours selon Philippe Gardy, Reboul inscrit dans ses poèmes une véritable topographie315 : « Le rythme pédestre de la prose s’y allie au sens de l’espace, et donne ainsi au poème son élan, ses dimensions, son cadre mental et quasi géométrique. » Il remarque également que ces textes se présentent comme des constructions qui procèdent par touches successives, conférant à l’art de Reboul « quelque chose de cubiste, parce qu’il procède par additions et juxtapositions, pièce à pièce, respiration après respiration, avec calme et non sans une certaine majesté ».

Enfin, Philippe Gardy constate que ce nouveau recueil consacre une nouvelle fois la place centrale des montagnes dans l’œuvre de Reboul : la Rouecho enchabanaio de la citadelle de Sisteron (« Salinhac 1930 »), Montserrat en Catalogne et Pèira-sus-Auta en Auvergne (« Diana Neira »), le Canigou pyrénéen dans le poème éponyme (« Canigó »), l’Olympe provençale qui domine le cabanon que Reboul avait acquis à Trets (« Sens adieu »), le Glandas dans la Drôme (« La comtessa ») ou la montagne Sainte-Victoire célébrée par Cézanne (« Mont Venturi »). Philippe Gardy insiste notamment sur les particularités de cette dernière montagne, « tout à la fois un belvédère, une sorte de tour de guet surveillant et dominant les paysages d’une existence tout entière, et un idéal artistique et imaginaire »316.

Sans rentrer davantage dans l’analyse détaillée de l’ouvrage, on peut enfin noter que

Pròsas geograficas généralise les procédés formels précédemment testés dans le recueil Chausida. D’une part, ce nouvel ouvrage tend à démultiplier les techniques de mise en

page sophistiquée des poèmes, alternant ceux présentés de façon traditionnelle à d’autres disposés de façon nettement plus complexe avec de nombreux retraits et alinéas. Et d’autre part, toutes les virgules sont là encore supprimées au profit d’espaces longs, comme autant de respirations et de silences sur la page.

* * *

A# titre conclusif sur l’année 1985, on peut encore noter qu’en parallèle au recueil

Pròsas geograficas, Tristan Cabral fait paraı̂tre l’ouvrage La lumière et l’exil. Une anthologie des poètes du sud de 1914 à nos jours qui reprend quatre poèmes de Reboul, en graphie

classique et sans traduction : « Au jovent », « Ai, sus lo fluvi passant », « Calancas » (parties 1 et 2), « Capı́tol de la mòrt » et « Siáu nat longtèmps après ma naissença »317.