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Section I Les conditions de la limitation

A. La limitation du droit individuel de propriété

1. Les restrictions à l’exercice du droit individuel de propriété

En France, la valeur constitutionnelle du droit de propriété est explicitée par le Conseil constitutionnel, dans la décision du 16 janvier 1982, à propos des nationalisations315. Le Conseil déclare que « les principes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme ont

pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété, dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ».

La clarification jurisprudentielle est apportée plus tard. En effet, la loi peut limiter au droit de propriété dans un but d’intérêt général316 à condition qu’elles n’aient pas un caractère de gravité tel qu’elles fassent disparaître l’existence du droit de propriété 317 ni

315 Cons. const., Décision n° 81-132, 16 janvier 1982, R. p. 18, Loi de nationalisation.

316 Cons. const., Décision n°89-256, 25 juillet 1989, Loi portant dispositions diverses en matière d’urbanisme et

d’agglomération nouvelles.

dénaturer le sens et la portée du droit de propriété 318 . Le Conseil constitutionnel français considère, par ailleurs, que les mesures qui aboutissent à « une entrave à l’exercice du droit de

propriété ou qui affectent non seulement l’immeuble mais la personne de ses occupants »

constituent une entrave à l’exercice de droits et libertés constitutionnellement reconnus319. La jurisprudence du Conseil est coordonnée avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui classe la propriété parmi les « droits fondamentaux » qui font partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assure le respect320. Elle n’admet pas les réglementations qui portent atteinte à la substance du droit de propriété, mais valident celles qui règlementent l’usage des biens321.

Il arrive aussi qu’une loi à vocation environnementale apporte une limite à l’exercice du droit de propriété. Le Conseil constitutionnel admet la possibilité de soumettre à autorisation les divisions de terrains pour le motif de la qualité des sites, des milieux naturels et du paysage322, par exemple.

Le droit thaïlandais ressemble beaucoup au droit français, c’est-à-dire que le juge constitutionnel exige que la restriction imposée au droit de propriété réponde à un objectif d’intérêt général323 et n’affecte324 pas la substance même de la propriété, en d’autres termes ne la vide de son contenu325. La différence subsiste seulement en ce que l’intervention d’une loi est nécessaire en droit thaïlandais. En droit français, une mesure de police administrative ordinaire, fondée sur les nécessités d’ordre public, peut porter atteinte à la jouissance du droit de propriété.

En effet, l’article 37 de la Constitution thaïlandaise actuellement en application dispose dans ses premier et deuxième paragraphes que « le droit individuel de propriété et le

318 Cons. const., Décision n°84-172, 26 juillet 1984, Loi relative au contrôle des structures agricoles et au statut

du fermage.

319 Cons. const., 13 déc. 1985, Amendement Tour Eiffel, AJDA 1986, p. 171, note J. Boulouis. 320 CEDH 14 mai 1974, Nold c/ Commission, aff. 4-73, Rec. P. 508.

321 CEDH 23 sept. 1982, Sporong et Lönroth c/ Suède in V. Berger, Jurisprudence européenne des droits de

l’homme, 3e éd. 1991, p. 313.

322 Cons. const., Décision n° 85-189, Principes d’aménagement.

323 En droit français, l’intérêt général admis par le Conseil constitutionnel est, par exemple, la protection de la

santé (décision n°90-287 DC du 16 janv. 1991), ou encore le droit à un logement décent (décision n° 98-403 DC du 29 juill. 1998).

324 En Thaï : กระทบกระเทือนสาระส าคัญแห่งสิทธิ

325 La Conseil constitutionnel français s’est inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de

l’homme. En effet, dans la décision n°89-254 du 4 juillet 1989, elle admet la constitutionnalité d’un régime qui « n’a pas de caractère de gravité telle que l’atteinte au droit de propriété dénature le sens et la portée de celui- ci ». En droit thaïlandais, le texte de la Constitution même impose le respect de la substance du droit garanti.

La limitation des droits et libertés dans le but de la durabilité des ressources naturelles | 121 droit individuel d’héritage sont garantis. La loi en régit la portée ainsi que les restrictions apportées à son exercice. » Il n’y a donc pas d’exigences autres que celles prévues par le régime du droit commun, à savoir l’intervention nécessaire d’une loi.

L’exercice du droit de propriété est composé, comme en droit français, de trois attributs, conformément à l’article 1336 du Code civil et commercial thaïlandais qui n’a jamais été remis en cause depuis son entrée en vigueur en 1908 : « le propriétaire peut user, jouir, et

disposer de la chose qui est la sienne ». Les restrictions apportées par le législateur régissent, en principe, chacun de ces attributs.

En matière de préservation et gestion des ressources naturelles, nous pouvons citer, à titre d’exemple, l’article 7 de la loi ‘Forêt’ E.B. 2484 (1941) soumettant la coupe de certaines espèces d’arbre sur toute propriété privée à l’autorisation préalable, ou encore l’article 41 du projet de loi ‘Contrôle de latex de caoutchouc’ qui prévoit la visite des plantations de caoutchouc par l’officier compétent.

La Cour constitutionnelle thaïlandaise a déjà statué à maintes reprises sur la constitutionnalité des dispositions législatives qui apportent des restrictions au droit de propriété sur le fondement de l’article 48 de la Constitution de 1997 ou de l’article 41 alinéa premier de la Constitution de 2007. Vu qu’aucune modification n’a jamais été apportée à ce dispositif à l’instar des changements du texte constitutionnel, la jurisprudence est censée être maintenue sous le régime de la Constitution de 2017.

La Cour thaïlandaise n’a jamais remis en cause le contenu de l’intérêt général défini par le législateur. Il serait très probable, à notre avis, que les considérations de

durabilité des ressources naturelles prime donc sur le droit de propriété si le législateur le décide. La Cour contrôle, néanmoins, la gravité de la restriction de la liberté eu égard aux

mesures de compensation et apprécie la proportionnalité de celle-ci par rapport au but poursuivi. Par exemple, la Cour considère qu’une disposition législative autorisant l’accès à la plantation forestière privée par l’officier compétent est une mesure proportionnelle au but poursuivi parce que les heures d’accès sont limitées et l’intervention de l’officier est conditionnée par l’existence d’un doute sérieux quant à la commission d’une infraction326.

De même, est déclarée constitutionnelle une disposition législative permettant aux employés de l’autorité de la production électrique de la Thaïlande d’utiliser ou occuper temporairement un bien immobilier non domicile d’une personne privée, à condition que

l’utilisation ou l’occupation soit nécessaire à la mission de recherche d’une source d’énergie ou de construction/maintenance de l’infrastructure nécessaire à la production de l’électricité327. La Cour a motivé sa décision par des raisons selon lesquelles ce dispositif est d’application générale et les mesures de compensation sont prévues pour les propriétaires et les ayants-droit concernés.

La Cour constitutionnelle thaïlandaise valide aussi les dispositions de la loi ‘Autorité pétrolière de la Thaïlande’ qui autorise l’installation des tuyaux pétroliers au-dessous, au-dessus ou sur les terrains privés, mais aussi la destruction de l’immeuble et l’abattage de l’arbre sur les terrains privés dans la seule mesure nécessaire à l’opération de l’installation des tuyaux pétroliers. Même si ces dispositifs produiront des atteintes relativement graves au droit de propriété, la Cour considère qu’ils sont proportionnés eu égard à la possibilité de demander la compensation financière, l’obligation de préavis, des règles d’encadrement, mais aussi à la nécessité d’intérêt public de la sécurité énergétique du pays et autres intérêts liés à la suppression du transport pétrolier par la route comme la sécurité routière et l’atténuation de l’embouteillage et la pollution328.

Même au cas où la loi prévoit la cession forcée d’un bien ou la confiscation

d’un bien, la Cour ne sanctionne que si l’atteinte est ostentatoire ou si le droit de la défense n’est pas respecté. Par exemple, sont déclarées conformes à la Constitution les dispositions de

la loi sur la liquidation judiciaire habilitant le liquidateur judiciaire à effectuer, à la place du débiteur, la vente des biens, la perception des intérêts, remboursements et d’autres revenus, ainsi que l’accomplissement d’autres actes nécessaires à la gestion de l’entreprise pour le motif de la nécessité de protéger l’intérêt des créditeurs et de la population329.

Dans une autre situation comparable, la loi ‘Répression des crimes de trafic de stupéfiants’ E.B. 2534 (1991) prévoit la confiscation des biens liés aux infractions de trafic de stupéfiants. Par ailleurs, les actifs et biens du coupable qui constituent des enrichissements non justifiés, eu égard à la profession illégale qu’exerce le coupable, sont aussi présumés comme biens liés à l’infraction. La Cour constitutionnelle thaïlandaise a déclaré cette disposition conforme à la Constitution en considérant qu’il s’agit d’une mesure proportionnelle compte tenu des règles et procédures de vérification et du respect du droit à la défense de l’accusé, et que ces mesures sont nécessaires à la prévention et à la répression du trafic de stupéfiants330.

327 Thaïlande, Cour constitutionnelle, décision n°45-46/2547 (2000). 328 Thaïlande, Cour constitutionnelle, décision n°51/2548 (2005). 329 Thaïlande, Cour constitutionnelle, décision n°14/2544 (2001). 330 Thaïlande, décision de la cour constitutionnelle n°24/2546 (2003).

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A partir de ces analyses, nous pouvons conclure, dans le cadre de la limitation

du droit de propriété, que le juge constitutionnel thaïlandais exerce un contrôle de proportionnalité limité à l’erreur manifeste, ce qui équivaut en droit français au contrôle de la disproportion manifeste. Au contraire, dans le cadre de l’expropriation d’un bien

immobilier, celle-ci est plus strictement encadrée en droit thaïlandais à la fois au niveau procédural, de l’indemnisation, mais aussi au niveau du motif de l’expropriation.

2. L’expropriation d’un bien immobilier

Le régime français d’expropriation s’organise autour de trois exigences : l’intervention d’une loi, le motif d’utilité publique, l’accompagnement d’une juste et préalable indemnité. Aujourd’hui, le droit français de l’expropriation est caractérisé, d’une part, par la stabilité de ses fondements – issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 17) et du code civil (art. 545), et des mesures de garantie des droits, contentieuses et non contentieuses331.

Le régime thaïlandais est plus strict et plus encadré, même s’il s’organise autour de trois exigences comme le régime français : l’intervention d’une loi, le motif d’intérêt général, l’accompagnement d’une juste et préalable indemnité. Aujourd’hui, les exigences sont définies aux alinéas 3 à 7 de l’article 37 de la Constitution.

Toute d’abord, l’intervention nécessaire d’une loi qui poursuit l’objectif d’intérêt général est prévue au troisième alinéa selon lequel « l’expropriation d’un bien

immobilier n’est possible qu’en vertu d’une loi visant spécifiquement les services publics, les besoins de la défense nationale, l’exploitation des ressources naturelles, ou autres intérêts généraux ».

Cependant, dans le régime thaïlandais, toutes les expropriations doivent passer par une loi alors qu’en droit français, l’exigence de l’intervention d’une loi ne signifie pas que toute dépossession soit subordonnée à l’adoption d’une loi, mais plus

simplement que le législateur doit préciser dans quels cas elle doit intervenir 332 . La

procédure d’expropriation en France se déroule à travers des actes administratifs et ordonnances

331 René Hostiou, Jean François Struillou, Expropriation et préemption : aménagement, urbanisme, environnement,

Paris, LexisNexis, 2007, pp. 401-402.

du juge judiciaire conformément aux conditions de mise en œuvre et de procédure définies par une loi333.

Quant au motif de l’expropriation, le législateur thaïlandais dispose d’une liberté dans sa définition puisqu’il s’agit d’une liste ouverte selon les termes du texte de la Constitution « (…) ou autres motifs d’intérêt général ». Sous le régime de la Constitution de

1997 et de 2007, « l’amélioration et la préservation de la qualité environnementale » est aussi

un des motifs de l’expropriation explicitement prévu par le texte de la Constitution334.

Le Conseil d’État thaïlandais, saisi pour avis en amont de l’adoption des lois d’expropriation, a censuré certains projets de loi pour l’invalidité du motif d’intérêt général. A titre d’exemple, le Conseil d’État était saisi par les Aéroports de la Thaïlande, une entreprise publique, pour avis sur la constitutionnalité du projet de l’expropriation des terrains aux alentours de l’aéroport de Suvannibhumi dans l’objectif de résoudre des problèmes liés aux pollutions sonores, qui correspondrait pour elle à l’amélioration de la qualité environnementale.

Le Conseil d’État considère que l’esprit de la Constitution est de permettre des expropriations ayant pour conséquence l’amélioration ou la préservation de la qualité environnementale. Au cas d’espèce, l’expropriation des terrains à côté de l’aéroport

n’entraînera pas une amélioration de la qualité environnementale dans la zone voisine de l’aéroport, mais uniquement le déménagement des victimes de la pollution, et, par conséquent, n’est pas conforme à l’exigence constitutionnelle335.

Nous avons constaté, par ailleurs, que l’intérêt général occuperait une place particulièrement importante dans le droit thaïlandais sur l’expropriation. Le texte de la constitution exige encore que « la loi relative à l’expropriation du bien immobilier énonce les

buts de l’expropriation et précise le délai d’utilisation » et que « l’expropriation ne doit

intervenir que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de son objectif. À moins d’utilisation aux fins et dans le délai prescrit, le bien est rétrocédé au propriétaire originel ou à ses héritiers si le propriétaire originel ou si l’héritier le souhaite »336. Le Conseil d’État

333 Conseil constitutionnel, décision n°81-132 du 16 janv. 1982 ; Décision n°89 – 256 du 25 juill. 1989. 334 L’article 49 et Constitution de 2007 qui a repris les termes de l’article 42 de la Constitution de 1997 :

« L’expropriation d’un bien immobilier n’est possible qu’en vertu d’une loi visant spécifiquement les services publics, les besoins de la défense nationale, l’exploitation des ressources naturelles, la planification urbaine et rurale, l’amélioration et la préservation de l’environnement, le développement agricole et industriel, la réforme foncière et les autres intérêts publics. Le propriétaire ou autres ayants droit qui subissent une perte du fait de l’expropriation perçoivent dans un délai approprié une juste indemnité conformément à la loi. »

335 Thaïlande, Conseil d’Etat, avis n°409/2551 (2008).

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thaïlandais, soucieux du respect du droit de propriété, interprète cette disposition de manière restrictive. En effet, le bien exproprié ne peut être utilisé que pour réaliser l’objectif précisé

dans la loi d’expropriation. D’autres usages du même projet mais dont le but n’est pas

d’intérêt général ne sont pas acceptés. Par exemple, dans le cadre de l’expropriation pour construire les stations de métro, le Conseil d’État, saisi pour avis, sur le type d’usage des espaces autour des stations qui sont obtenus par l’expropriation, précise que l’autorité du transport public rapide de la Thaïlande ne peut affecter les espaces expropriés qu’à l’usage qui relève de l’exploitation du service public du transport rapide comme, par exemple, le parking pour les usagers du métro337.

La compensation de la personne expropriée est fixée par la loi d’expropriation conformément à la disposition constitutionnelle selon laquelle « le propriétaire ou autres

ayants droits qui subissent une perte du fait de l’expropriation perçoivent dans un délai approprié une juste indemnité conformément à la loi. Le montant de l’indemnité est évalué eu égard à l’intérêt général poursuivi, à la perte subie par la personne expropriée de son bien, mais aussi à d’autres possibles intérêts de l’expropriation au profit de la personne expropriée » 338 . La Cour constitutionnelle thaïlandaise interprète la notion de « juste

indemnité » aussi dans le sens de ne pas surévaluer le bien conformément à l’esprit de la Constitution. Elle a déclaré conforme à la Constitution l’alinéa deuxième de l’article 21 de la loi ‘Expropriation des immeubles’ E.B. 2530 (1987) qui prévoit, en cas d’expropriation partielle de l’immeuble, la diminution de l’indemnité si l’expropriation entraîne la hausse du prix de l’immeuble.

Les éléments à prendre en considération lors de l’évaluation de l’indemnité sont prévus à l’article 21 de la loi ‘Expropriation des immeubles’ E.B. 2530 (1987), à savoir, par exemple, le prix de marché du bien à exproprier, la valeur évaluée du bien - base de l’imposition foncière, l’état de l’immeuble et le quartier où se situe l’immeuble.

B. Les restrictions à la liberté d’entreprendre

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