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II – Méthodologie retenue

2. La pratique de la Réception du droit en Thaïlande

Le droit moderne de la Thaïlande aujourd’hui est le fruit de plusieurs vagues de la réception du droit. La première influence notable qui est traçable dans l’histoire serait le droit indou de l’Inde. Le Dharmaçāstra indou, daté de l’ère bouddhique 150 (-393 av. J.-C), fût reçu

dans le droit du Royaume de Sukhothai, ancêtre du Royaume de la Thaïlande entre E.B. 1821 (1287) et E.B. 1861 (1318). L’ancien droit de Siam appliqué d’Ayutthaya à Rattanakosin était donc composé du droit local et Dharmaçāstra.

Il est vrai que la Thaïlande, anciennement le Siam, a échappé à la colonisation européenne. Néanmoins, c’était sous la pression des puissances coloniales, c’est-à-dire l’expansion britannique en Inde et en Birmanie en 1826 et l’imposition d’un protectorat par la France au Cambodge et au Laos en 1863, que la Thaïlande devait moderniser son droit.

La réception du droit occidental commença sous le Roi Chom Klao (Rama IV) qui devait conclure des traités commerciaux avec des pays européens. Le travail de modernisation du droit était nécessaire pour demander la suppression de la clause sur le privilège d'extraterritorialité aux ressortissants étrangers. Le roi nomma trois conseillers juridiques belges, Rolin Jacquemyns, Richard Kirkpatrik et Corné Schlesser, pour des raisons politiques. La Thaïlande (Siam à l’époque) fut menacée à la fois par l’Empire Britannique et par la France. La Belgique est un pays neutre au regard de la colonisation. La première version du premier Code pénal du Royaume fut rédigée par M. Schlesser qui acheva son travail en 190399.

En 1904, le Siam conclut un traité avec la France dont une clause obligeait le Siam à nommer un conseiller français. Cela était dans le souci de la France de contrebalancer l’influence de l’Empire britannique. M. Georges Padoue fut nommé conseiller législatif sur recommandation du Gouvernement français 100 . Le projet du Code pénal soumis par M.

Schlesser a donc été réexaminé par un comité sectoriel présidé par Georges Padoue101. Le Code pénal de 1908102 est donc un code de type romano-germanique inspiré par les Codes pénaux de

99 La présence d’un conseiller d’empire britannique William Tilleke et deux conseillers siamois, Pluem Sudjaritkul

et Thongbun Bunyamanop témoignent de la tension coloniale. Voir Report on the Proposed Penal Code for the Kingdom of Siam 5 (1906) submitted to His Royal Highness Prince Rajburi Direckrit, Minister of Justice, by the Legislative adviser.

100 Yud Saeng-Uthai, « La Légistique, livre enluminé des funérailles du Professeur Yud Seang-Uthai, distribué le

19 avril 1980, pp. 32.

101 PhrayamahosodPhiphat, l’examen et la rédaction des codes à Siam, B.E. 2472 (1929), p.11. พระยามโหสถพิพัฒน์, การตรวจช าระและการร◌่างประมวลกฎหมายในกรุงสยาม, พ.ศ. ๒๔๗๒, หน้า ๑๑.

la France, l’Italie et les Pays-Bas dont le contenu comprend aussi le droit local déjà en vigueur, c’est-à-dire les codes de trois Sceaux (

กฎหมายตราสามดวง

, Kot-mai-tra-sam-duang), les ordonnances royales et la jurisprudence. La méthode de travail était la réorganisation du droit substantiel siamois et l’introduction des principes généraux du droit pénal qui sont communs à plusieurs pays. Padoue définît les thèmes qui furent ensuite examinés par les membres siamois du comité. Chaque thème était ensuite discuté pour déterminer la direction de la rédaction. Padoue rédigea ensuite le Code à partir du rapport sur le droit siamois et aussi en examinant les codes pénaux des autres pays. Le Code fut ensuite soumis au comité de traduction, puis soumis aux juristes siamois pour avis. Ce code avait pour principales innovations la suppression de certaines peines pénales traditionnelles et la séparation entre les contentieux civil et les contentieux pénaux.

Le travail de codification du Code civil et commercial fut par la suite confié en 1908 à une Commission de codification d’influence française. Le premier livre (Dispositions générales) et le deuxième livre (Obligations) furent rédigés par le Prince Charunsakdi

Kridakara (หม่อมเจ้าจรูญศักด์ิ กฤษฎากร) et Georges Padoue. Mais la première version était critiquée pour son originalité et incohérence par les juristes siamois. La deuxième version était rédigée selon le modèle du Code civil japonais qui est lui-même inspiré du Code civil allemand. Cependant, certaines dispositions d’influence française de la première version furent gardées. Un conseiller français, René Guyon, participa aussi à la rédaction des Livre III – VI. Le

« domaine public » du droit français était introduit dans le Livre IV. Certaines dispositions venaient du Code civil suisse. L’influence française était encore présente dans le Code de la procédure pénale et le code de la procédure civile.

La réception du droit étranger devient moins importante en Thaïlande à partir des années 1930 lorsque les clauses d’extraterritorialité dans les traités commerciaux conclus avec les puissances européennes furent toutes abrogées. Néanmoins, quatre conseillers législatifs français continuaient à travailler pour le département de légistique103 jusqu’en 1940. La guerre d’Indochine fut la date clé. Elle marque la fin de l’influence française sur la

103 La rédaction des projets de loi est assurée depuis 1923 par le département de la légistique au sein du Ministère

de la Justice, créé en 1923 à la demande de la France lors de la modification du traité pour abroger la clause d’extraterritorialité. Ce département est devenu l’Office du Conseil d’Etat en 1933 après la Révolution siamoise. Voir Songsri Aajarun ทรงศรี อาจอรุณ, La modification des traités sur l’extraterritorialité avec les Etats puissants sous le règne du roi Mongkut Klao (Rama VI) การแก◌้ไขสนธ◌ิสัญญาว◌่าด้วยสิทธ◌ิสภาพนอกอาณาเขตก◌ับประเทศมหาอ

législation siamoise. Seul M. Guyon fournissait des travaux de droit comparé pour le Siam jusqu’à sa retraite en 1960, et il fût le dernier conseiller législatif étranger de la Thaïlande.

Aujourd’hui, des rapports de droit comparé sont fréquemment demandés par des ministères lors d’une proposition d’un texte de législation ou de réglementation et aussi par l’Office du Conseil d’État qui assure la fonction de rédaction des projets de loi et de règlements.

B. La concevabilité de la réception des règles de droit français

et celles des autres pays en droit thaïlandais dans cette étude

Il faudrait d’abord examiner le test général de complémentarité (1), puis les questions spécifiques aux droits et libertés (2).

1. Le test général de complémentarité

Plusieurs théories sur le choix et la conception du droit ont été proposées. Pour qu’une transplantation soit réussie, il faut décontextualiser le droit avant de le récontextualiser dans un pays réceptif104 et une complémentarité entre le droit à importer et les institutions légales existantes105 est nécessaire. Par ailleurs, l’appartenance à la même famille de droit semble faciliter la réception grâce à une compréhension comparable des concepts juridiques106. De plus, certaines branches de droit sont plus sensibles à la transplantation à cause d’un lien solide avec la culture du peuple réceptif. Selon Ernest Levy, la transplantation est plus difficile en droit de la famille et droit de la succession, puis dans le droit réel de propriété, le droit personnel de propriété et le droit des contrats dans l’ordre107. La dimension temporelle doit

104 La théorie d’Ikea suggérée par Günter Frankenberg, Voir Günter Frankenburg, ‘Constitutional Transfer, the

IKEA theory revisited’, International Journal of Constitutional Law, 2012, vol. 8, 563-579.

105 Une thèse préconisée par Katharina Pistor, Voir Katharina Pistor, ‘The Standarization of Law and Its Effect on

Developing Economies’, American Journal of Comparative Law, 2002, vol. 50, 97-130, p. 98.

106 Plusieurs comparatistes partagent cet avis. Voir Ugo Mattei, ‘Three Patterns of Law : Taxonomy and Change

in the World’s Legal Systems’, American Journal of Comparative Law, 1997, vol. 45, 5-44, p.5 ; Jorge L. Esquirol, ‘René David: At the Head of the Legal Family’, in Annelise Riles (ed.), Rethinking the Masters of Comparative Law, Oxford: Hart, 2001, 212-35, p. 223; Daniel Berkowitz, Katharina Pistor, Jean-François Richard, ‘Economic Development, Legality, and the Transplant Effect’, European Economic Review, 2003, vol. 47, 165-195, p. 167; Daniel Berkowitz, Katharina Pistor, Jean-François Richard, ‘the Transplant Effect’, American Journal of Comparative Law, 2003, vol. 51, 163-204, p. 163.

107 Ernest Levy, ‘The Reception of Highly Developed Legal Systems by Peoples of Different Cultures’,

aussi être prise en compte : l’industrialisation, l’urbanisation et les nouvelles technologies rendent les sociétés de plus en plus semblables, et donc une transplantation plus facile108.

Comment le résultat d’une réception du droit est mesuré ? Sur cette question, Roger Cotterrell a distingué deux positions : pour ceux qui voient le droit comme un instrument, une transplantation réussie serait celle qui produit un effet voulu au départ ; pour ceux qui voient le droit comme une culture, une transplantation réussie serait celle qui est compatible avec l’environnement du pays réceptif109. Bellantuono propose un « explicit comparative legal

diagnostics »110.

Un travail comparatif entre le droit français et le droit thaïlandais est concevable grâce à la ressemblance au niveau du système de droit et des instruments juridiques. Le droit thaïlandais est aussi de famille de Civil Law. Il peut être également divisé en deux grandes branches, droit public et droit privé. Une cour constitutionnelle et le corps de la juridiction administrative veillent au respect de la conformité des règles de droit aux règles supérieures, en appliquant la théorie de la hiérarchie des normes. Nous pouvons constater aussi la ressemblance au niveau des instruments juridiques en droit de la protection de la nature : le dispositif de protection des espèces et des espaces, la procédure d’étude d’impact, les sanctions pénales, la responsabilité environnementale et les incitations fiscales. En outre, les Constitutions thaïlandaises les plus récentes garantissent les droits à l’information et à la participation. Cependant, le droit français est plus complexe et complet, d’où l’impossibilité de la législation comparée.

La difficulté consiste en une certaine dissemblance au niveau géographique, historique, économique et social. Au niveau géographique, nous pouvons constater, en premier lieu, le rôle crucial des espaces forestiers de haute montagne dans le maintien de l’équilibre de la provision de l’eau fluviale dans les plaines. La Thaïlande est située entre le 20º 27' et le 5º 37' de latitude nord et entre le 97e 22' et le 105º 37' degré de longitude. Le climat est tropical mousson dans la moitié Nord, et tropical équatorial dans le Sud. Par conséquent, les forêts de montagne et de bassins versants jouent un rôle crucial pour approvisionner de l’eau douce dans les plaines. En l’absence de neige, les arbres et végétaux ralentissent l’écoulement de l’eau de

108 Otto Kahn-Freund, ‘On Use and Misuse of Comparative Law’, Modern Law Review, 1974, Vol. 37, 1-27, p. 9. 109 Roger Cotterrell, ‘Is there a logic of Legal Transplants ?’, in David Nelken and Johannes Feest (eds.), Adapting

Legal Culture, Oxford: Hart, 2001,71-92, p. 79.

110 Giuseppe Bellantuono, ‘Comparative Legal Dianostics’, 2012, Disponible en ligne

pluie et permettent à l’eau de pénétrer mieux dans le sol.111 La destruction des forêts entraîne l’écoulement rapide de l’eau pendant la saison pluviale et éventuellement l’inondation. La qualité des forêts dans les montagnes permet aussi la rétention de l’eau dans les nappes phréatiques et la quantité d’eau fluviale suffisante hors saison de pluie. En deuxième lieu, la reproduction des faunes aquatiques dépend des mangroves112 qui se trouvent le long des côtes maritimes, fluviales, et de lac.

Le système socioéconomique de la France est moins en interaction avec le système écologique que celui de la Thaïlande. Un nombre important de population thaïlandaise dépend encore des ressources naturelles ou agricoles, d’où l’importance plus accrue de la préservation et d’une gestion durable de celles-ci. La population active de la Thaïlande a été estimée à 38,8 millions en 2015, dont environ 13 millions dans l’agriculture, 12 millions dans les services, 6,4 millions dans l'industrie, 1.6 dans le secteur public et 5.2 dans les autres secteurs113. C’est-à-dire que 33,5% de la population active thaïlandaise sont agriculteurs contre 3%114 de la population active française. En outre, environ six cent mille personnes ou 1% de la population sont des minorités ethniques qui habitent dans les zones classées « parcs

nationaux », « réserves nationales forestières », ou « sanctuaires de faune ». Leur survie est dépendante de l’exploitation des ressources naturelles à proximité.

Ces dissemblances demandent une approche comparative adaptée et une délimitation du sujet fondée sur l’opportunité des recherches. Les problèmes juridiques qui se manifestent en Thaïlande ne sont pas forcément les mêmes qu’en France. La méthode de la législation comparée est donc clairement inadaptée. Nous pouvons soutenir que la méthode comparative qui sera plus appropriée ici est la méthode fonctionnelle : la comparaison sera construite à partir des problèmes juridiques identifiés, car « la méthode fonctionnelle consiste

à comparer des éléments qui remplissent la même fonction afin de montrer au-delà de la

111 Les fleuves et rivières en Thaïlande ont leurs sources dans les montagnes dans les régions Nord, Ouest, Nord-

est et Sud. Il tombe 800 milliards de m3 d'eau de pluie sur le sol chaque année en moyenne, soit une hauteur d'eau

d'environ 1.700 millimètres. Plus de la moitié est évaporée. Une grande partie profite aux nappes phréatiques. Environ 200 milliards deviennent eau fluviale. Les forêts sempervirentes montagneuses dans la région nord donnent environ 65% d’eau fluviale, soit 70% pendant la saison pluviale et 30% pendant les saisons de sècheresses. Les autres forêts donnent moins de 40% d’eau fluviale mais ne retiennent pas autant d’eau. 80-90% d’eau vont aux fleuves pendant la saison de pluie et il ne reste qu’environ 10-20% pendant le reste de l’année.

112 L’Office national des forêts définit la mangrove comme « un écosystème qui se développe le long des côtes

protégées des zones tropicales et subtropicales. Elle pousse dans un milieu à dépôt salin présentant diverses formes de sols anaérobies ». La superficie des mangroves en Thaïlande était d’environ 3.680 km2 en 1961. Elle diminue

à environ 1680 km2 en 2006.

113 Thaïlande, L’office national des statistiques, « Exécutive summary : les enquêtes d’emplois du 3ème trimestre

de 2015 ». Disponible sur http://service.nso.go.th/nso/nsopublish/themes/files/lfs58/ExeSumQ3.pdf

différence des procédés techniques utilisés, les solutions retenues sont en définitive

équivalentes d’un droit à l’autre ». Cette méthode est à combiner avec l’approche

contextualiste qui met l’accent sur la nécessité d’observer le contexte dans lequel s’inscrit la règle car la règle doit s’expliquer au regard de facteurs environnementaux. Par ailleurs, le but d’un travail comparatif est d’apprendre des autres systèmes afin d’améliorer notre propre système et de trouver les solutions à des problèmes juridiques.

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