• Aucun résultat trouvé

Section II L’objectif de la durabilité des ressources naturelles

B. Les devoirs de l’État concernant les ressources naturelles

4. Les devoirs associés au principe de prévention

Le principe de prévention est intégré en droit thaïlandais d’abord au niveau législatif, après la signature pour la Thaïlande de la Déclaration de Rio sur l’environnement et sur le développement en 1992295. La Loi qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992) est adoptée la même année, recevant ainsi plusieurs principes de droit de l’environnement dans le droit interne. Le principe 2 de la Déclaration de Rio énonce le devoir de prévention296, le principe 17 énonce le principe de la conduite générale d’études d’impact

295 Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, adoptée par l’Assemblée générale des Nations

Unies, A/CONF.151/26 (Vol. I), 12 août 1992.

296 Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Principe 2 : « Conformément à la Charte des

Nations Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les

préalablement à toute action susceptibles d’avoir des conséquences dommageables sur l’environnement297, et le principe 15 énonce le principe de précaution298.

Avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 2017, aucune disposition constitutionnelle ni législative n’énonçait explicitement le terme de prévention en droit thaïlandais, d’où la difficulté de leur identification. Le principe de prévention est mis en application à travers plusieurs instruments qui sont prévus dans la loi ‘Promotion et conservation de la qualité environnementale de la nation’ E.B. 2535 (1992). Ces instruments sont, les études d’impact 299 , la définition des seuils et les normes de qualité environnementale300 , les mesures de contrôle des pollutions à la source301 , mais aussi les instruments de la planification comme les Stratégie et Plan nationaux d’amélioration et de préservation de la qualité environnementale 302 , le Plan national de gestion de la qualité environnementale et le Plan provincial d’action303.

Au contraire, le droit français reconnaît explicitement le principe de prévention depuis la loi du 2 février 1995, en ces termes : « le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable » (C. env., art. L 110-1-II). Par ailleurs, la Charte de l’environnement dispose à l’article 3 que « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou à défaut, en limiter les conséquences ».

Nous étudierons ces devoirs de manière plus approfondie dans la seconde partie de la thèse. A titre introductif, la Constitution E.B. 2560 (2017) introduit deux devoirs de l’État qui sont associés au principe de prévention : le devoir de la conduite d’études d’impact

activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres Etats ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale. »

297 Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Principe 17 : Une étude d'impact sur

l'environnement, en tant qu'instrument national, doit être entreprise dans le cas des activités envisagées qui risquent d'avoir des effets nocifs importants sur l'environnement et dépendent de la décision d'une autorité nationale compétente ».

298 Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Principe 15 : « Pour protéger l'environnement,

des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement».

299 Thaïlande, Loi Qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992), art. 46 à 51. 300 Thaïlande, Loi Qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992), art. 32 à 34. 301 Thaïlande, Loi Qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992), art. 55 à 58. 302 Thaïlande, Loi Qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992), art. 13. 303 Thaïlande, Loi Qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992), art. 35 à 41.

La limitation des droits et libertés dans le but de la durabilité des ressources naturelles | 109

préalablement à toute action susceptible de nuire à l’environnement (a) et le devoir de prévenir les conséquences nuisibles à l’environnement (b), ce qui donne au principe de prévention la valeur constitutionnelle.

a. Le devoir de conduire une étude d’impact

préalablement à toute action susceptible de nuire à l’environnement

En 1997, le principe de la conduite générale d’études d’impact préalablement à toute action susceptible d’avoir des conséquences dommageables sur l’environnement est devenu un principe de valeur constitutionnelle. Le deuxième alinéa de l’article 56 de la Constitution du Royaume de la Thaïlande E.B. 2540 (1997) dispose que « est interdite la

réalisation de projets ou d’activités susceptibles de nuire gravement à l’environnement avant d’avoir étudié et évalué leurs impacts environnementaux et d’avoir recueilli les avis d’un organisme indépendant composé de représentants d’enseignement supérieur spécialisés dans les études environnementales, conformément à la loi ». Il s’agit d’une constitutionnalisation des dispositions législatives déjà existantes, à savoir les dispositions de la loi qualité environnementale de la nation E.B. 2535 (1992).

Le contenu du principe de la conduite d’études d’impact est élargi par la Constitution E.B. 2550 (2007), mais aussi par la Constitution E.B. 2560 (2017), à savoir que les études d’impact seront désormais obligatoires pour les projets ou activités susceptibles de nuire gravement non seulement à « la qualité environnementale », mais aussi aux « ressources naturelles », « la santé humaine» 304, « l’hygiène publique », « la qualité de vie » ou « autres intérêts de la population ou d’une communauté »305, élargissant ainsi les champs d’application.

Les dispositions législatives et réglementaires et les décisions du juge qui concernent l’obligation de réaliser les études d’impact sont tout d’abord les dispositions de la loi Qualité environnementale E.B. 2535 (1992) qui affirment le caractère certain du risque. L’article 46 dispose que « le ministre, avec l’avis conforme de la Commission nationale de

304 Thaïlande, Constitution du Royaume de la Thaïlande E.B. 2550 (2007), art. 67 : « est interdite la réalisation de

projets ou d’activités susceptibles de nuire gravement à la qualité environnementale, les ressources naturelles et la santé, avant d’avoir étudié et évalué leurs impacts environnementaux et d’avoir recueilli les avis d’un organisme indépendant composé de représentants d’enseignement supérieur spécialisés dans les études environnementales, conformément à la loi ».

305 Thaïlande, Constitution du Royaume de la Thaïlande E.B. 2560 (2017), art. 58, al. 1er : « avant toute autorisation

ou réalisation de projets ou d’activités susceptibles de nuire gravement aux ressources naturelles, la qualité environnementale, la santé, l’hygiène publique, la qualité de vie ou autres intérêts de la population ou d’une communauté, l’Etat doit préalablement étudier et évaluer les impacts sur la qualité environnementale et la santé de la population ou communauté et recueillir les avis des parties prenantes, la population et des communautés concernées, afin de les prendre en considération dans la prise de décision. »

l’environnement, détermine les types de projet ou activité de l’administration, les entreprises publiques et les personnes privées ayant un impact sur l’environnement et dont les études d’impact environnemental sont obligatoires ». Cet article n’a pas encore été soumis au contrôle de constitutionnalité. En application de cet article, les études d’impact ne sont pas obligatoires pour les projets ou activités dont le risque est incertain. Par conséquent, les études d’impact en droit thaïlandais sont un outil de mise en œuvre du principe de prévention. En droit français, les études d’impact sont considérées également comme des outils qui permettent la mise en œuvre du principe de prévention, d’information et de participation du public306.

b. Le devoir de prévenir les conséquences nuisibles à l’environnement

Le principe de prévention en tant que tel acquerra aussi la valeur constitutionnelle après la promulgation du projet de la nouvelle Constitution cette année. En effet, le troisième alinéa de l’article 56 dispose par ailleurs que « l’État doit prendre des mesures

de prévention destinées à minimiser les impacts que les projets ou activités du premier alinéa sont susceptibles de produire sur la population, les communautés, l’environnement et la diversité biologique». La question se pose de savoir si les dispositions de l’article 56 renvoient aussi au principe de précaution.

La différence entre le principe de prévention et le principe de précaution est dans le niveau de certitude des conséquences dommageables à l’environnement que les projets ou activités sont susceptibles de produire. En droit international, si nous prenons les termes du principe 2 de la déclaration de Rio, le principe de prévention crée un devoir imputé aux États de ne pas causer des dommages à l’environnement dans les autres États ou dans les espaces internationaux, ou en d’autres termes, de prévenir des tels dommages. La prévention vise un risque certain ou un dommage qui se produira vraisemblablement si rien n’est mis en œuvre pour empêcher sa réalisation. Au contraire, le principe de précaution concerne les situations d’incertitude scientifique. Comme le dispose le principe 15 de la Déclaration de Rio,

« l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption des mesures effectives à prévenir la dégradation de l’environnement ».

Les dispositions constitutionnelles thaïlandaises sur le caractère certain du risque nous semblent ambigües. L’article 56 s’applique aux projets ou activités « susceptibles »

(อาจ

āj

)

de nuire gravement aux ressources naturelles, la qualité environnementale et autres. Le terme de «

อาจ - āj » qui signifie « possible » ou « peut-être » manque de subtilité nécessaire

La limitation des droits et libertés dans le but de la durabilité des ressources naturelles | 111

pour déterminer le niveau de certitude du risque. L’éclaircissement sur ce point est à trouver dans les modalités de détermination des « projets ou activités susceptibles de nuire gravement

aux ressources naturelles, la qualité environnementale, la santé, (…) » que préciseront les dispositions législatives et réglementaires et les décisions du juge. La jurisprudence actuelle va dans le sens de la prévention du fait du caractère certain du risque. Par exemple, la Cour administrative suprême a rendu l’ordonnance de suspension des activités polluantes en considérant que « la pollution issue des activités industrielles à Mabtapud a un caractère réel

et produit des effets graves aux communautés aux alentours de manière continue »307.

Nous pourrions distinguer l’implication du principe de prévention dans le droit des ressources naturelles en trois dimensions, à savoir la prévention contre l’extinction ou la disparition des ressources, la prévention contre la dégradation des milieux naturels classés et la prévention contre la pollution issue des activités d’exploitation. En réalité, les dispositifs juridiques de prévention existaient avant l’apparition même du principe de prévention en droit de l’environnement. Les règlements interdisant la chasse et la pêche pendant une période de reproduction sont une des mesures traditionnelles de prévention contre l’extinction des espèces animales. L’application du principe de prévention compromet éventuellement l’exercice de certains droits et libertés, notamment la liberté d’entreprendre en cas de régime d’autorisation des activités qui présentent un risque pour l’environnement.

Le principe de prévention apparaît aussi dans le contenu même des Plans nationaux de développement économique et social, les Stratégie et Plans nationaux d’amélioration et de préservation de la qualité environnementale et les Plans de gestion de la qualité environnementale. Par exemple, les premiers Stratégie et Plan nationaux d’amélioration et de préservation de la qualité environnementale (1997 – 2017) 308 prévoient des actions préventives contre la dégradation des forêts naturelles, la dégradation des ressources naturelles maritimes, la pollution issue des activités d’exploitation minière et d’hydrocarbure, l’extinction des espèces animales et végétales. Le 4ème Plan de gestion de la qualité environnementale (2012- 2017) dispose expressément que les principes généraux de la gestion des ressources naturelles et environnementales sont, parmi d’autres, le principe de développement durable, le principe de prévention et le principe pollueur-payeur.

307 Thaïlande, Cour administrative suprême, décision n°809/2552 (2009).

308 La Commission nationale d’amélioration et de préservation de la qualité environnementale a opté pour des

Stratégie et Plan à long terme pour une durée de 20 ans. Cette durée n’est pas exigée par la loi. Ce choix a fait des Stratégie et Plan nationaux d’amélioration et de préservation de la qualité environnement l’instrument d’encadrement et de direction. Le Plan national de gestion de la qualité environnementale d’une durée de 5 ans et le Plan provincial d’action d’une durée d’un an en sont les instruments d’exécution.

***

Nous pouvons conclure que les devoirs étatiques analysés ci-dessus ne produiraient un effet limitatif à certains droits de l’homme que de manière très indirecte. Il s’agit du devoir de préservation et d’exploitation équilibrée et durable des ressources naturelles qui contribue à l’adoption des règles qui limiteraient le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Le devoir d’informer le public pourrait contrevenir au droit au secret commercial et de la propriété intellectuelle. Quant au devoir de réparer et au droit de prévenir un dommage à la nature, ce ne seraient que des obligations à la charge de l’administration.

Au contraire, ces devoirs étatiques, assortis d’un droit au recours en cas de manquement, renforcent la garantie de certains droits de l’homme relatifs à l’environnement. Les individus disposent ainsi d’un nouveau moyen de recours contre la carence de l’administration mais aussi contre les actes de celle-ci qui sont incompatibles avec ces devoirs étatiques.

La limitation des droits et libertés dans le but de la durabilité des ressources naturelles | 113

Conclusion du Chapitre I

A partir des analyses dans ce chapitre, trois constats principaux sont établis et méritent d’être mis en évidence. En premier lieu, il faut souligner que la Thaïlande rejoint le mouvement internationalisé de la constitutionnalisation de l’écologie. Les préoccupations environnementales ont été consacrées au plus haut niveau normatif depuis 1974.

En second lieu, la durabilité des « ressources naturelles » est placée au cœur des préoccupations environnementales de valeur constitutionnelle en droit thaïlandais. Elle est souvent citée en premier dans l’ordre des intérêts environnementaux consacrés, à côté de

« l’environnement » et « la biodiversité ». Ceci s’explique par une contribution historique des ressources naturelles au développement économique de la nation, mais aussi par la volonté d’aller au-delà d’une vision réduite de l’écologie à l’environnement.

En dernier lieu, la durabilité des ressources naturelles est le but, ou l’objectif, à déduire des différents moyens juridiques susceptibles de produire des effets limitatifs de certains droits fondamentaux. Les moyens qui existent aussi en droit français sont l’intérêt

général et les droits de l’homme. D’autres sont des moyens spécifiques au droit thaïlandais : les devoirs de l’homme, les principes directeurs des politiques publiques, et les devoirs de l’Etat ouvrant le droit au recours contre lui en cas de carence. Ces spécificités s’expliquent par les valeurs sociétales et bouddhiques qui font l’éloge de la maîtrise de soi, le devoir envers la société, l’harmonie, et par le concept de « dharma-raja » (roi vertueux) qui est le fondement du pouvoir souverain.

Les moyens qu’incarne l’objectif de la durabilité des ressources naturelles pouvant directement restreindre les droits constitutionnellement garantis sont de trois catégories. Tout d’abord, l’intérêt général de la préservation des ressources naturelles est un motif de limitation du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre, et d’autres droits selon la jurisprudence ultérieur. Ensuite, il s’agit de la conciliation de ces droits avec d’autres droits garantis en matière d’environnement. Enfin, la troisième catégorie relève du manquement aux devoirs du citoyen relatifs à l’environnement. L’objectif de la durabilité des ressources naturelles est également contenu dans les devoirs étatiques et les principes directeurs des politiques publiques, moyens indirects de limitations des droits. Ces dispositions orientent les actions de l’administration. Elles contribuent, à ce titre, à guider l’introduction de nouvelles règles législatives ou réglementaires susceptibles d’apporter des limites aux droits et libertés.

La seule existence de la garantie des droits par la Constitution, aussi complète soit-elle, ne saurait suffire à assurer l’exercice de ces droits309. Les mécanismes de protection visant à garantir l’effectivité sont ainsi indispensables.

309 Dimitri Löhrer, La protection non-juridictionnelle des droits fondamentaux dans le droit constitutionnel

La limitation des droits et libertés dans le but de la durabilité des ressources naturelles | 115

Chapitre II

Les conditions, le contrôle et les techniques de la limitation des droits

Outline

Documents relatifs