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Section III Les techniques d’aménagement des droits et libertés

A. L’effet dissuasif des peines principales

2. Les mesures de suspension du dommage et de réparation en nature

Il y a d’autres sanctions qui visent plus directement à réparer les conséquences dommageables et à mettre fin au trouble causé par l’infraction. Il peut s’agir des mesures d’ordre administratif ou d’ordre pénal.

Le code pénal français prévoit des mesures de peine complémentaire qui peuvent être prononcées si la loi d’incrimination les vise expressément. Ces peines emportent

«interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d'un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confiscation d'un objet, confiscation d'un animal, fermeture d'un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique. » 549

Les mesures de peine complémentaire comme les confiscations de biens, déchéances de divers droits, obligation de remise en état d'un lieu ne sont pas rares en droit thaïlandais des ressources naturelles.

Dans le cadre de la loi ‘Réserve forestière nationale’, la peine complémentaire de type l’obligation de remise en état est prévue. A titre d’illustration, le troisième alinéa de l’article 31 dispose que « lorsqu’une personne est jugée coupable de l’infraction de cet article

et si cette personne occupe une ou des parcelles dans l’enceinte d’une réserve forestière nationale, le juge ordonne au coupable et aux complices de quitter la ou les parcelles en cause ainsi que la démolition de tout édifice qui altère l’état forestier de la réserve ». L’officier forestier, en sa qualité d’officier de police, procède à la confiscation du bois, des animaux et des produits forestiers non-ligneux dès la constatation de l’infraction, sans à attendre le jugement définitif550. Si l’accusé n’est pas jugé coupable, il peut réclamer la restitution des biens confisqués.

548 Créé par Loi n°2008-757 du 1er août 2008, art. 1er. 549 Code pénal, art. 131-10.

Ce même officier agit aussi en qualité d’autorité administrative. L’autorité administrative compétente pour la sauvegarde d’une réserve forestière nationale a des prérogatives qui lui sont conférées par la loi551. Il s’agit, tout d’abord, du pouvoir d’injonction à toute personne de quitter la réserve ou de s’abstenir d’une action dans la réserve, afin de prévenir la commission d’une des infractions interdites par la loi. D’autres prérogatives sont le pouvoir de prescription d’une démolition ou d’un déplacement de tout objet susceptible d’altérer l’état naturel de la réserve ou de mettre en danger la réserve, le pouvoir d’exécution d’office si le coupable est introuvable, et le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire face à toute situation urgente susceptible de causer un dommage à la réserve.

Dans le droit applicable au parc national, les mesures de police sont prévues pour assurer la remise en état. Par exemple, en droit du parc national, lorsque la violation d’une disposition de la loi cause l’altération de l’état naturel du parc, l’officier compétent peut ordonner aux transgresseurs de remettre en état les parcelles endommagées552. La remise en état comprend aussi la démolition des édifices illégalement construits. À défaut d’exécution, l’officier compétent doit faire procéder d’office à leur exécution et aux frais des accusés. L’ordonnance de remise en état dans le droit applicable au parc national et à la réserve forestière nationale est un acte administratif dont les conditions d’émission sont prescrites par la Loi Procédure administrative E.B. 2539 (1996). Cependant, l’administration est en situation de compétence liée. L’officier est tenu, lors de la constatation d’une infraction, d’émettre l’ordonnance de remise en état. Si l’ordonnance est contestée devant le juge par l’accusé, l’administration peut l’exécuter d’office sans attendre la décision finale du juge.

La pratique de l’intrusion illégale dans l’enceinte des parcs nationaux est assez fréquente en Thaïlande, notamment pour construire des complexes touristiques. La Cour suprême, dans une décision en 2008, ordonne la démolition de deux maisons même si celle-ci n’a pas été ordonné par l’officier du Département des parcs nationaux, faunes sauvages et espèces végétaux553. Les mécanismes d’ajournement et dispense de peine sont d’autres mécanismes qui visent la réparation en nature des dommages. Ces mécanismes du droit français n’existent pas encore en droit thaïlandais. Ils consistent à ne pas infliger de peine au prévenu lorsqu’il est avéré que le dommage est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé. Ce sont, par exemple, l’article L. 216-9 du Code de l’environnement, et les articles L. 514-9 et L. 514-10 du Code de l’environnement sur les installations classées.

551 Thailande, Loi ‘Réserve forestière nationale’, art. 25. 552 Thaïlande, Loi ‘Parc National’ E.B. 2507, art. 16 (22). 553 Thaïlande, Décision de la Cour suprême n° 2291/2551.

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Conclusion du Chapitre II

Dans le premier chapitre, la primauté normative de la durabilité des ressources naturelles et la place primordiale de celle-ci dans la limitation des droits de l’homme ont été mises en évidence. Dans ce chapitre, c’est plutôt la suprématie des droits fondamentaux qui

s’est clairement manifestée. En effet, de multiples principes et mécanismes de contrôle sont mis en place pour réduire leur limitation aux seules mesures nécessaires.

Le régime thaïlandais d’encadrement et de contrôle de la limitation des droits et libertés n’est pas radicalement différent de celui de la France.

Quant aux conditions de limitation des droits et libertés, le régime thaïlandais se distingue, tout d’abord, par la prédétermination de celles-ci dans le texte constitutionnel. Ensuite, des conditions spécifiques sont prévues pour chaque droit et chaque liberté expressément reconnu par la Constitution. Enfin, le régime thaïlandais est plus complexe et plus contraignant que le régime français. En droit français, l’acte de réglementation des droits fondamentaux doit respecter trois exigences : un motif valide, l’adoption par l’autorité compétente et le respect de la proportionnalité entre la gravité de la restriction et le but poursuivi par l’acte. Ces trois conditions sont également exigées en droit thaïlandais. Mais le dernier exige, en outre, que l’acte ne nuise pas à la dignité humaine et au principe de Nitidharma, qu’il ne crée pas une charge trop importante et qu’il soit d’application générale et prévue par une loi écrite. En l’absence de disposition législative d’habilitation, l’acte réglementaire ne peut pas limiter un droit expressément garanti par la Constitution.

A l’égard du contrôle, celui-ci s’effectue, en droit français et thaïlandais, à travers des procédures classiques de contrôle de constitutionnalité des normes, intervenant soit

a priori, soit a postériori de l’entrée en vigueur de l’acte. A côté de celles-ci, il existe aussi le contrôle en amont de certains projets d’actes législatif et réglementaire par le conseil d’Etat. En Thaïlande, il existe, par ailleurs, des procédures spéciales devant les autorités constitutionnelles indépendantes chargées des droits de l’homme.

Face à ces contraintes, l’autorité publique, dans l’exercice du pouvoir législatif et réglementaire, doit maîtriser les techniques d’aménagement des droits et libertés, de types

préventif et répressif. Le régime préventif subordonne l’exercice d’un droit à une autorisation

préalable. Le régime répressif condamne pénalement certains comportements.

Les sanctions pénales et administratives sont prévues dans les deux régimes, notamment, dans l’objectif de dissuader les actions ou omissions dommageables à la nature. Plusieurs défis ont été avancés. Ils sont dus au caractère irréversible du dommage écologique

et à la nécessité d’assigner une personne représentante des ressources endommagées. Dissuader l’acte, Suspendre immédiatement un dommage et le réparer en nature sont les clés de l’effectivité de la règle.

Le premier défi avancé consiste à améliorer l’effet dissuasif des peines pénales ayant pour une finalité écologique face à la réticence du juge de l’appliquer et à la disproportion du montant des amendes avec la valeur réelle des ressources perdues ou volées. En répondant à ce défi, des dommages-intérêts écologiques ont été récemment introduits dans les lois thaïlandaises relatives à la conservation des ressources naturelles. Ils sont payés par l’auteur de l’action ou l’omission dommageable à l’Etat. L’autorité publique compétente répare ensuite les dommages, par les moyens financiers versés par l’auteur.

Le deuxième défi évoqué relève de la nécessité de mettre fin aux troubles de manière rapide et efficace. Ont été présenté des outils actuellement en application en droit français et en droit thaïlandais : des mesures de peine complémentaire.

Le dernier défi constaté vise à assurer la réparation en nature du dommage. L’outil existant dans les deux droits réside dans l’ordonnance de remise en état. Des outils français qui pourraient servir d’inspiration au législateur thaïlandais sont les mécanismes d’ajournement et de dispense de peine.

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Conclusion du Titre I

A partir de la recherche effectuée dans le présent titre, nous avons constaté la concurrence entre les droits de l’homme et l’environnement à quatre niveaux.

Au niveau symbolique, ils sont tous deux consacrés par la Constitution, échelon le plus haut dans la hiérarchie des normes. Ils sont donc, a priori, placés au même rang. Cependant, il ne faut pas oublier que, dans le courant de jus naturalisme, les droits naturels inhérents à la personne humaine font partie du corps des règles imprescriptibles et inviolables, qui seraient placées au-dessus de la Constitution. Les droits de l’homme paraîtraient, à ce titre, supérieurs à l’intérêt général environnemental. Toutefois, nous pouvons argumenter qu’aujourd’hui, l’environnement est devenu l’objet même de certains droits. Il serait ainsi un intérêt supérieur de la société au-dessus des autres et pourrait être comparable aux droits.

Au niveau de la normativité, les droits et libertés constitutionnellement garantis sont des normes juridiques à part entière. Des mécanismes d’application et de contrôle sont prévus pour leur assurer l’effectivité. A contrario, l’environnement, les ressources naturelles, et la biodiversité ne sont que des « objectifs » et des « intérêts communs de la société ». Ils sont contenus dans les divers moyens de droit. Cependant, la normativité de certains de ces moyens est encore discutable, notamment certains moyens constitutionnels qui restent symboliques. Par conséquent, la normativité des droits garantis par une règle de droit serait supérieure à celle de l’intérêt général.

Au niveau de la confrontation entre les droits fondamentaux et l’environnement, il convient de distinguer deux cas de figure. Le premier cas relève de la restriction ou de la privation d’un droit par une règle qui poursuit un intérêt général environnemental. Le fait qu’un droit de l’homme puisse être limité au profit de la nature ne signifierait pas que l’environnement soit supérieur aux droits de l’homme. En effet, une telle limitation ne peut intervenir qu’en respectant des conditions et principes visant à assurer une certaine garantie d’un respect à l’essence dudit droit. Le second est le cas où un droit relatif à l’environnement rentre en conflit avec un autre droit fondamental. Dans ce cas, aucun droit ne prévaut systématiquement sur un autre. Le juge tranche au cas par cas, par la technique de la conciliation des droits.

Au niveau concret, l’efficacité des règles juridiques destinées à la préservation l’environnement dépend notamment de la maîtrise des techniques d’aménagement de certains droits et libertés. Nous allons examiner ensuite, dans les différents domaines des ressources naturelles, des problèmes d’inefficacité du droit qui résultent d’un mauvais aménagement de certains droits et libertés. D’autres outils d’aménagement de ces droits seront proposés pour améliorer l’efficacité des normes.

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