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d Comptes et mécomptes

2.2 Quand les représentations de la presse donnent naissance aux stéréotypes.

2.2.1 Représentations et stéréotypes ; polémique identitaire ou polémique d’appartenance ?

Le stéréotype est une figure de style majeure dans le discours de l‟altérité. Si l‟analyse du discours médiatique mobilise la notion de stéréotype, prise au sens large du terme, ce n‟est pas parce que la presse écrite privilégie plus particulièrement les schémas collectifs figés ; c‟est surtout parce que toute communication se fonde nécessairement sur des représentations et des opinions partagées. Comme l‟écrivent Boetsch et Villain- Candosi : « L’imaginaire du rapport Soi/Autre se recompose sans arrêt en fonction des lectures du passé et du présent et demeure très actif comme cadre des références et comme réservoir de stéréotypes » [BOETSCH et VILLAIN-CANDOSI, 2001]. L‟Autre est surtout l‟objet de représentations négatives et ces représentations alimentent des fantasmes, qui deviennent facilement des stéréotypes généralisés et partagés. Amossy Ruth soutient que le stéréotype n‟existe pas en soi. Pour elle, le stéréotype émerge lorsque, « sélectionnant les attributs dits caractéristiques d’un groupe ou d’une

situation, nous reconstituons un schéma familier. Plutôt que de stéréotype, il faudrait donc parler de stéréotypage » [AMOSSY, 1991 ; 21]. Nous pouvons alors suggérer que la presse écrite, quant à elle, constitue un espace où les techniques de stéréotypage trouvent un lieu fertile.

Dans son article « Media Dependency, Bubonic Plague, and the Social

Construction of the Chinese Other »47, J. Gerard Power [POWER, 1995] a montré

la façon dont le système médiatique, en relation avec d‟autres structures sociales, agit sur le stéréotypage de l‟Autre. Plus précisément, il a examiné comment l‟épidémie de choléra bubonique dans le quartier chinois à San Francisco au début du XIXème siècle, et sa présentation par la presse écrite, a servi à la stigmatisation de la population chinoise et a facilité la construction sociale d‟une identité chinoise différente et inférieure. Vu le sentiment antichinois de l‟époque, le public était prêt à croire que la population chinoise était à l‟origine du choléra, et la presse n‟a eu aucun problème pour présenter le choléra comme une « maladie orientale ». L‟étude des énoncés dans six journaux quotidiens lui a permis de constater qu‟au lieu d‟établir les vraies causes de la maladie, la couverture de la presse écrite a plutôt présenté les Chinois comme responsables, et elle a ainsi contribué à renforcer la perception de l‟identité chinoise comme différente et inférieure. Le sujet de l‟existence ou non du choléra est vite passé au second plan, et l‟isolement des Chinois du reste du pays est devenu primordial. En résumé, la stigmatisation des Chinois par la presse écrite a eu comme conséquence la construction des préjugés du public.

De la même façon, comme nous l‟avons vu précédemment, la couverture de « l‟affaire du lait contaminé en Chine » par la presse française et grecque, a également contribué à la création d‟un sentiment négatif envers les produits chinois, qui par la suite s‟est converti en un sentiment de méfiance envers les politiques chinoises en général ; le profit étant reconnu comme seule motivation du régime chinois et la corruption comme seul moyen d‟action au sein de son

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Power, J. Gerald, 1995, « Media Dependency, Bubonic Plague, and the Social Construction of the Chinese Other”, Journal of Communication Inquiry; 19; 89, Online version:

territoire, tout cela pourrait facilement conduire à un boycott des produits chinois et à une stigmatisation de la société chinoise comme différente et inférieure.

Mais d‟autres auteurs ont également examiné le stéréotypage de l‟Autre dans les médias. Rhodes [RHODES, 1995] a examiné les représentations de race dans les médias et a trouvé que les Amérindiens y étaient présentés comme des sauvages et des barbares, afin de justifier la colonisation occidentale. Un autre exemple nous est donné par Teo [TEO, 2000], qui a étudié les nouvelles de la presse australienne concernant un gang vietnamien. Teo argumente que les crimes du gang ont été étendus par généralisation à toute la communauté vietnamienne en Australie et, plus encore, aux asiatiques en général. Apparemment alors, les stéréotypes sont une forme d‟économie de rédaction pour les journalistes, car ils transportent beaucoup de significations associatives : les stéréotypes procèdent à l‟étiquetage des groupes, décrivent le caractère du groupe en question, son comportement et la relation entre ce groupe et la société dans laquelle il vit, entre Nous et les autres.

Mais quel est le rapport entre un stéréotype et une représentation ? Pour le comprendre, nous dit Simondon, il faudra « penser le stéréotype comme une représentation à deux dimensions, comme une image sans profondeur et sans plasticité. Pour que le stéréotype devienne représentation, il faut que les expériences de la relation avec l’étranger soient multiples et variées » [SIMONDON, 1989 ; 147]. Par opposition au cliché, avec lequel nous le confondons souvent, le stéréotype est alors une représentation collective figée, un thème accompagné d‟une série de prédicats obligés : l‟image qu‟un groupe se fait des banlieues, du « beur », ou encore d‟un homme politique. Les stéréotypes se focalisent surtout sur ceux qui sont exclus de l‟ordre normal des choses et simultanément établissent l‟appartenance au « Nous » et aux « Autres ». A ce stade, le rôle de la presse écrite est décisif, car il agit comme transformateur des stéréotypes en représentations puissantes.

Cependant « le stéréotype sert aussi comme mécanisme défensif d’un système qui se sent menacé dans son unicité par un système extérieur et est aussi un fort élément

de la structure des représentations » [BOETSCH et VILLAIN-CANDOSI, 2001]. Ce qui fait peur alors aux individus Ŕ une peur qui vient du fond des âges - c‟est le fait qu‟on est et qu‟on sera toujours l‟Autre de quelqu‟un et c‟est seulement à travers nos rapports avec l‟Autre qu‟on peut se comprendre soi-même. Le stéréotype, dans ce cas là, est vu comme un élément d‟adhésion à un groupe homogène qui aura le pouvoir de démentir l‟Autre. Les stéréotypes peuvent ainsi procurer la justification idéologique pour l‟oppression d‟un groupe mais aussi contribuer à l‟unification d‟un groupe et de son agenda politique. D‟après Dominique Wolton, la question du stéréotype présente une ambiguïté car d‟un côté, le stéréotype nous empêche de « regarder l’altérité tout en dénaturant la représentation d’autrui », mais d‟un autre« il nous permet simultanément d’y accéder » [WOLTON, 2004 ; 92].

Il est alors évident, que les stéréotypes dessinent une barrière entre le Moi et l‟Autre ou entre Nous et les Autres. Selon Jenkins, « les stéréotypes sont des symboles puissants de l’identité, de la différence et des barrières entre elles »48 [JENKINS, 1996 ; 123].

Point d’étape

Les stéréotypes sont des éléments vivants dans les articles de la presse.

Les stéréotypes sont presque toujours partiaux et construits d’un point de vue particulier.

Les stéréotypes conduisent à : - L’étiquetage des groupes

- La description, souvent généraliste, du comportement de groupe

- La définition de la relation entre le groupe en question et la société dans laquelle ce groupe vit.

- La généralisation des propos descriptifs.

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En anglais dans le texte original “Stereotypes are powerful symbols of identity, difference, and boundaries between them”. Traduit par nos soins.

2.2.2. La presse écrite, un réservoir de stéréotypes sur les

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