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Un fait ne devient pas une nouvelle, seulement parce qu‟il s‟est produit. Afin d‟entrer dans l‟actualité, un fait doit convenir au système des priorités que l‟institution de la presse a établi. Les pratiques de « faire des nouvelles » dépendent du travail quotidien des journalistes et plus largement des dimensions professionnelles, institutionnelles et sociales. Pour Jean-Pierre Esquenazi la transformation d‟une expérience cadrée Ŕ d‟un fait Ŕ en nouvelle, est une opération qui peut paraître simple mais demeure problématique ;«Une nouvelle est un fait tel qu’il est représenté par un média *...+ La notion de nouvelle met en évidence que ce qui apparaît dans un média est une représentation dédoublée et ne se confond pas avec le

simple fait vécu par des acteurs sociaux » [ESQUENAZI, 2002 ; 46]. Ainsi, pour qu‟un fait se transforme en nouvelle, qui mérite d‟être publiée, il doit être reconnu comme telle. La façon dont les journalistes définissent la valeur d‟une information, reste cependant assez identique à sa valeur économique. En d‟autres termes nous pourrions dire que ce que vaut une nouvelle est lié à sa valeur commerciale.

Un autre critère pour qu‟une information soit estimée comme « digne » de publication est son objectivité et son rapport avec la vérité. D‟après Esquenazi « la valeur d’une nouvelle dépend donc d’un rapport complexe entre le vraisemblable auquel elle se rapporte et ce qui la rend plus ou moins vraie. En outre, sa valeur propre n’est jamais absolue puisque ce rapport est le plus souvent évalué de façon variable par des communautés d’interprétations distinctes » [ESQUENAZI, 2002 ; 72]. Cette interprétation remet en question la valeur de l‟objectivité d‟une information. Dans un effort d‟éclairement des raisons pour lesquelles certains événements apparaissent comme nouvelles dans la presse, tandis que d‟autres ne se considèrent pas « dignes de publication », plusieurs chercheurs ont établi des listes variées avec des critères qui définissent, ce qu‟on appelle, la valeur d‟une nouvelle médiatique.

Johann Galtung et Mari Ruge [GALTUNG, RUGE, 1973 ; 62-72] ont suggéré une série de conditions, qui s‟appliquent à la sélection des nouvelles et que nous présentons par la suite:

La fréquence : Les événements le plus récents sont plus favorisés dans le

choix médiatique, car il est plus facile de les observer et de les enregistrer. Le journal, comme médium publié une fois par jour, favorise plutôt des événements singuliers que des longues procédures : par exemple, l‟annonce des chiffres de la croissance économique en Chine à des jours précis est considérée plus apte à publication que les conséquences que ces chiffres ont sur l‟économie à long terme.

Relevance/ Proximité culturelle : Les événements choisis ont un rapport

avec la vie quotidienne et les expériences du public. « Les nouvelles sont d’abord faites pour ceux qui partagent le même imaginaire social », confirme Esquenazi

[ESQUENAZI, 2002 ; 70]. Ainsi, la proximité Ŕ territoriale ou culturelle Ŕ des événements est un facteur décisif pour leur publication. Cette proximité peut être définie soit géographiquement soit en termes des valeurs, des intérêts et des attentes du public. Le critère de proximité, autant culturelle que territoriale, agit comme une barrière à la publication des événements concernant la Chine. C‟est pour cette raison, que la plupart des nouvelles publiées par la presse grecque et française, concernent des événements où le rôle de la Chine est soit évalué de façon internationale soit lié directement à la société grecque et française.

Simplicité et Prévisibilité : Les événements qui n‟ont relativement pas

d‟ambiguïté et présentent clairement les rôles des acteurs, de préférence des héros, des méchants et des victimes, sont préférables aux événements dont l‟explication s‟avère compliquée. Ainsi, la diversité des interprétations potentielles peut être gardée au minimum. Les Jeux Olympiques organisés en Chine ont donné lieu aux nouvelles venant de la Chine à plusieurs reprises.

L’impact / le résultat: Plus grands sont les conséquences et le nombre des

personnes que concerne un événement, plus il y a de chances qu‟il soit choisi pour être publié dans la presse. Comme le note Esquenazi, « la capacité de certains modèles à universaliser les interprétations qu’ils fournissent détermine souvent leur poids social » [ESQUENAZI, 2002 ; 101]. Un exemple significatif de notre corpus est l‟affaire du lait frelaté, que nous avons analysé au chapitre 2. Le risque que le lait contaminé soit distribué dans nos sociétés, a provoqué la construction « d‟une crise médiatique » autour de cet événement.

Imprévisibilité : Un événement bizarre, qui n‟est pas ordinaire, a de fortes

chances d‟être publié. L‟attention des médias est très souvent attirée par ce qui est peu orthodoxe, bizarre, et inhabituel. L‟apparition de tels phénomènes est très répandue dans la presse grecque, où les aspects peu habituels de la société chinoise sont souvent présentés. Ce critère s‟ajoute à la construction d‟une image envers l‟Autre, comme quelqu‟un d‟étrange et d‟exotique.

La Continuité : Galtung et Ruge affirment que dès lors qu‟un événement

apparaît à la Une et se définit comme « nouvelle », il va continuer d‟occuper une place dans la presse pendant un moment. L‟affaire du Tibet et le séisme de Sichuan sont des événements qui présentent cette caractéristique dans notre corpus.

Le Conflit : Les conflits et les disputes correspondent bien aux cadres des

reportages et le plus souvent il est facile d‟en écrire. L‟affaire du Tibet coïncide également avec ce critère.

La Personnalisation : Les médias préfèrent les événements qui concernent

des acteurs humains aux descriptions abstraites des structures sans-visage, des forces ou des institutions. C‟est pour cette raison, que plusieurs sujets qui traitent des droits de l‟Homme se focalisent sur des portraits d‟individus, afin de donner une image plus personnalisée à ce thème.

La Composition : Les événements à publier sont également choisis par

rapport à la composition d‟un journal quotidien, et des « trous » qui restent à remplir. La division entre, par exemple, l‟international, le national, le sport, la culture se manifeste par la présence des rubriques. C‟est pour cette raison, que pendant une journée où il n‟y a rien d‟extraordinaire ou d‟imprévu à reporter, des événements les plus anodins viennent gagner en visibilité et ont plus des chances d‟apparaître dans la presse. Dans la composition du Monde, nous constatons que les sujets concernant la Chine ont une présence assez continue et fluide. Les événements sur la Chine occupent une place presque quotidienne dans le journal français. Au contraire, Elefterotypia n‟a pas attribué la même importance à l‟identité chinoise. Le journal grec publie des nouvelles sur la Chine, seulement dans le cadre des grands événements internationaux, ou quand il s‟agit des affaires qui concernent la société grecque de façon immédiate.

La référence aux nations-élites et aux personnes-élites : La priorité de

publication est donnée aux événements qui ont lieu dans les pays considérés avoir du « poids » à l‟échelle internationale, tels que les Etats Unis, la Russie et plus récemment la Chine. Les événements ayant lieu dans les pays du Tiers Monde ne

sont pas traités avec la même importance. De la même façon, les activités des politiciens, des célébrités sportives ou de gens du show-biz, ont plus de valeur pour la presse que les activités de la population. Les individus, sont présents dans les nouvelles seulement s‟ils commettent ou ils sont témoins d‟un événement extraordinaire, tel qu‟un crime ou un accident.

La Négativité : Les nouvelles se référant à une catastrophe ou à un

évènement négatif sont favorisées face aux « bonnes » nouvelles, parce que les premières accumulent plus des critères décrits précédemment.

Nous présumons alors qu‟un événement qui rassemble le plus des caractéristiques précédentes aura plus de chances d‟être publié dans la presse écrite. La pratique de qualifier un événement comme « digne de publication » et ainsi de « faire des nouvelles » reste donc hautement standardisée et conventionnée. Il est évident que la plupart des critères définis par Galtung et Ruge sont plutôt culturels et ainsi cognitifs. La réalité économique de l‟institution, qu‟on appelle presse écrite, joue aussi un grand rôle dans la définition des nouvelles. De façon générale, les pratiques pour « faire des nouvelles » restent centrées sur le profit. Néanmoins, les intérêts du public sont aussi pris en considération, ainsi que les valeurs et les idéaux journalistiques.

Dans les deux chapitres suivants nous procéderons à deux études de cas, afin de montrer comment les critères précédents agissent dans la construction d‟un discours de mythification et de crise.

3.2.3 Première étude de cas : Le rituel des Jeux

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