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 Point d’étape

1.2 Qui est l’Autre de moi–même ? Tentatives de définition.

« Je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare ; et, quoique j’aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville où je n’étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l’habit persan et à

en endosser un à l’européenne…libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans

qu’on m’eût regardé. Mais, si quelqu’un par hasard apprenait à la compagnie que j’étais Persan j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être

Persan ? »

(Montesquieu, Lettres Persanes)

Au fil des années, l‟Autre est resté une notion socialement construite. Considérant au début l‟Autre comme quelque chose d‟étrange et d‟exotique, vint ensuite le regard tendant à voir l‟Autre comme étranger et comme ennemi, pour arriver aux temps contemporains où, l‟Autre est perçu en tant qu‟idée, partie nécessaire pour la construction de notre propre identité. La rationalité occidentale considère aujourd‟hui que l‟Autre, tant comme présence physique que comme idée, est indispensable à la construction de l‟identité. Elle accepte également que le différent fasse partie du même, et que nous ayons besoin de l‟Autre pour éviter l‟uniformité. Néanmoins, chose étrange, la compréhension de l‟Autre n‟a pas pu éliminer le besoin de l‟éviter et de s‟en tenir à l‟écart. L‟Autre, même s‟il est reconnaissable et accepté comme tel, est encore aujourd‟hui positionné à l‟opposé de « Nous » et de « Moi ».

Basée sur une pensée holiste, l‟idéologie de la mondialisation, poursuit une logique d‟égalité et de fraternité entre nous et les autres, car elle veut donner l‟image que nous sommes tous Le même. De cette façon, dans la pensée holiste l‟humanité se confond avec la société des « Nous ». L‟Autre n‟est pas pensé dans sa différence, il ne faut donc pas percevoir la différence de « nous » à « nous », il ne faut pas percevoir les différences d‟idéologie ou de culture. Il faut seulement

penser l‟homme au centre de la réflexion. Le procès caractérise alors la négation absolue de l‟Autre. Malheureusement, nous sommes encore loin de percevoir l‟Autre comme une vraie partie de nousŔmêmes, de l‟accepter dans nos sociétés, d‟adopter une mentalité de fraternité envers lui, sans avoir des intérêts ou des besoins de quelque sorte.

Le présent travail s‟inscrit sur la thèse que l‟identité est une construction sociale et non pas une caractéristique fixe de l‟individu, et elle est spécifique selon les contextes sociaux et selon les « autres » avec qui l‟acteur interagit. A partir de cette constatation, trois questions se posent :

Qui est « l‟Autre » ? Constater que l‟identité est un processus constamment en mouvement ne résout pas la question de savoir si l‟identité sociale dépend de l‟autre particulier, de l‟autre généralisé ou des mécanismes intergroupe ?

Si l‟Autre se transforme constamment dans le temps et dans l‟espace, il est difficile de le définir de manière fixe et globale. L‟Autre reste différent pour chaque culture et pour chaque individu. Cependant dans sa représentation médiatique, l‟Autre n‟arrive-t-il pas à prendre des traits spécifiques qui, le plus souvent, le stigmatisent face à Nous ?

De quelle façon le manque d‟un idéal identitaire à l‟Europe se remplit avec l‟accentuation de différence des Autres. Cet Autre, qu‟on a imaginé ou qu‟on n‟assume pas directement, est-il possible de provoquer la fragmentation de l‟identité ?

En raison de cette nature transformable de l‟Autre et de l‟altérité, la division entre « Nous » et « Eux » s‟appuie sur des raisons différentes et peut varier. Par exemple, R. Cohen [Cohen, 1994 ; 199-200] suggère que la différence entre les Britanniques et les Autres se construit par l‟utilisation d‟aspects différents de « race », de « religion », de « langage », d‟« origines ethniques », de « nationalisme » et d‟« identifications symboliques » (apparence, vêtements, accent, drapeau, etc.). Ainsi, certains groupes peuvent différer du groupe principal par un ou deux aspects et être considérés comme moins hostiles, tandis que

d‟autres groupes peuvent différer par tous les aspects et être considérés comme plus hostiles.

Si nous procédons à une analyse linguistique du mot Autre, nous constaterons que l‟Autre est un dérivé du mot latin alter, altération, dénotation ou forme tardive qui a remplacé l‟antique aluis (gr. Allos), mais aussi le médiéval alienus, cet archaïsme dont le caractère négatif, dénégatif ou connotatif renvoie aussi à l‟idée d‟altérer ou d‟aliéner, de « rendre autre ». L‟Autre, est perçu à la fois comme celui qui est exclu du groupe (par exemple, handicapés, homosexuels, chômeurs) et comme celui qui peut menacer son intégrité (par exemple, immigrés, étrangers). Ceci explique l‟existence de tous les « stéréotypes de déviance » [BOETSCH et VILLAIN-CANDOSSI, 2001] frappant ceux qui transgressent ou enfreignent la norme sociale et les dessinant comme autres.

D‟après la définition donnée dans le dictionnaire de l‟altérité et des relations interculturelles,« l’altérité est l’antonyme du même. On réserve la majuscule à l’Autre pour désigner une position, une place dans une structure » [Férreol, Jucquois, 2003 ; 5]. Dans la fameuse dialectique Maître Ŕ Esclave telle que Hegel la conçoit [HEGEL, 1993], il y a une « lutte à mort » mais pour autant, la négation n‟y est pas un anéantissement. Au contraire, il me faut, si je suis le maître, un esclave pour me reconnaître. Ainsi, le maître et l‟esclave sont en situation d‟altérité l‟un pour l‟autre.

Pour Todorov [TODOROV, 1989] l‟Autre se manifeste dans quatre références distinctes ; il apparaît comme une personne réelle, physique, qu‟on peut distinguer par ses différences physiques (telles les différences de couleur de la peau, le sexe, les handicaps). L‟Autre peut aussi être une représentation, celui que notre culture, notre éducation, notre sociabilité nous a appris à définir comme Autre. Ensuite, l‟Autre en soi, est un être en soi, un être à part, un autre être. Finalement, l‟Autre reste en même temps partie de moi, son altérité définit et construit ma propre identité.

Cette pluralité et multi-dimensionnalité de l‟Autre apparaît également dans la pensée d‟Edgar Morin, qui défend qu‟« Autrui, c’est à la fois le semblable et le dissemblable, semblable par ses traits humains ou culturels communs, dissemblable par ses singularités individuelles ou ses différences ethniques. Autrui porte effectivement en lui l’étrangéité et la similitude » [MORIN, 2001 ; 81]. L‟Autre alors peut être un étranger ou membre du même groupe selon l‟occasion.

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