• Aucun résultat trouvé

Pour mieux cerner les affinités entre la rhétorique de l‟altérité dans le récit d‟Hérodote et les articles de la presse écrite, nous utiliserons l‟article « Pékin, Les chantiers de la démesure » de Frédéric Edelmann (envoyé spécial), paru dans Le Monde le 8/03/2008 (cf. ANNEXE 3).

Une première représentation de l‟altérité attenait déjà dans le titre de l‟article. Au contrepied de l‟esthétique et de la notion de la mesure qui caractérise les œuvres d‟art et d‟architecture à l‟Occident, en Chine, et plus précisément à Pékin les bâtiments destinés aux Jeux Olympiques se distinguent par leurs proportions démesurées. Nous lisons au début de l‟article : « Les chantiers de la démesure » et «…il a regardé surgir ces ouvrages d’art marqués du sceau de la démesure ».

Néanmoins, l‟auteur ne se laisse pas intimider par la singularité de ces œuvres, mais il les décrit dans des termes qui glorifient cette singularité : « Décrit comme le plus grand au monde, le nouveau bâtiment, composé de deux grandes ailes symétriques, se présente comme la projection au sol d’un immense oiseau de proie, un superbe phénix qui se serait crashé en douceur. Sa structure est exceptionnelle d’intelligence, de fluidité,

d’élégance constructive ». Cette technique fait penser aux « thômas » d‟Hérodote.

L‟exotisme employé pour décrire les œuvres différentes augmentera par extension la distance entre Nous et les Autres.

Ensuite, « c’est l’un des grands paradoxes de la Chine : la perpétuation à grande échelle de gestes partagés depuis les millénaires par une main-d’œuvre innombrable et

changeante », présente la différence comme paradoxe ; une différence qui, comme il

l‟admet, n‟est pas nouvelle mais dure depuis les millénaires. Nous constatons ici, que le poids de cette phrase se trouve dans l‟adjectif « innombrable ». Le pouvoir, qu‟ont les

44

Hérodote, Histoires, Livre VI, Erato, 58, texte établi et traduit par E. Legrand, Ed. Les Belles Lettres, Paris, 1963.

Chinois, de réaliser de grandes œuvres peut être changeant, mais cela dure depuis des millénaires, car il s‟agit d‟un pouvoir basé sur le nombre élevé des effectifs de la main- d‟œuvre. Le taux de la population chinoise, étant souvent un facteur de différenciation avec les Européens, est utilisé dans cette situation pour créer encore une représentation de l‟altérité.

Le principe d‟inversion est surtout utilisé afin de montrer ce que les Chinois font différemment de Nous : « Dans ce bâtiment doté des technologies les plus avancées, la peinture a été passée à la main, raconte, désolé, un responsable technique de l’Agence Foster, encore sous le choc de la vue de 40.000 ouvriers qui travaillaient simultanément sur le site, sans pistolet ni machine à pression ». Nous voyons alors, que le technicien, venu d‟une agence en dehors de la Chine, est désolé, et sous le choc, de la façon dont les Chinois mènent travaux, car les ouvriers n‟utilisent pas les nouvelles technologies, mais exécutent les travaux de peinture avec des méthodes plus anciennes. L‟inversion entre une Chine, à la marge d‟utilisation des techniques avancées, et la société occidentale, ou la connaissance et l‟utilisation de la technologie prévaut.

Le rapport à l‟espace comme facteur de différenciation de l‟Autre, largement utilisé par Hérodote dans le cas de Scythes, sous le prétexte de leur nomadisme, trouve aussi sa place dans l‟article du Monde. L‟article décrit extensivement la situation des mingongs, les travailleurs migrants, qui travaillent sur les chantiers à Pékin. Comme nous l‟avons vu auparavant, l‟utilisation du terme en chinois, compose déjà une première tentative de différenciation. Il n‟existe pas de mingong en Europe, et même s‟il existe un équivalent, l‟utilisation du terme en chinois les éloigne de leur comparaison aux travailleurs migrants en Europe.

Ensuite, préciser que les mingongs sont en situation irrégulière souligne d‟autant plus la distinction entre les règles et le droit de travail en Europe et celui qui existe en Chine « Ils viennent (les mingongs) pour la plupart des campagnes, dépourvus de papiers, sans droits réels, ni contrats, et ils estiment avoir sur ces chantiers une vie « relativement » plus heureuse. On ne compte pourtant pas les accidents, ni les morts,

sauf découverte fortuite par la presse ». La mobilité des mingongs et leur existence

professionnelle s‟opposent aux lois européennes et à l‟application de ces lois sur les lieux de travail.

La description de la façon dont les mingong vivent, se rapproche de l‟usage des traits culturels faits par Hérodote pour définir la notion de barbarie et sa différence avec la civilisation grecque. « Les mingongs se nourrissent de légumes ou de riz, se partagent par dizaines des baraques assez pestilentielles… », et plus loin : « Ils ne sont pas très loquaces, leur manière de parler, c’est de vous inviter à boire un verre d’eau chaude entre les lits à étages des baraques devant une télé crachotante ». Ces différences dans la façon de gérer le quotidien font face aux habitudes occidentales. La nourriture, l‟endroit où dormir, l‟expression d‟hospitalité, le peu de loquacité qui caractérisent les mingongs s‟opposent à la nourriture équilibrée, aux règles sanitaires, au bavardage et au raisonnement que nous remarquons dans la société européenne.

La distinction des traits culturels continue dans le paragraphe suivant, où l‟auteur annonce : « chaque corps de profession vient d’une ville ou d’une région et parle le même dialecte, presque le même langage corporel ».

Le nomadisme, la migration et la différence des traits linguistiques, constituent encore une fois des facteurs de différenciation. Comme nous l‟avons analysé plus tôt, l‟utilisation des traits culturels et le rapport avec l‟espace, sont deux des caractéristiques attribuées par Hérodote aux Barbares. Dans notre cas, des caractéristiques assez similaires se présentent tout au long de l‟article du Monde, afin de décrire la situation en Chine, les Chinois eux-mêmes et de les définir, finalement, comme des Autres. Cette fois-ci pas seulement comme les Autres des Grecs, mais de toutes les populations qui partagent la civilisation et les valeurs occidentales.

Par la suite, l‟article nous offrira certaines phrases clichés, élément constitutif des stéréotypes envers l‟autre ; « Un travail de fourmis, un travail de titans », la métaphore, utilisée ici, donne une représentation des Chinois comme fourmis (apparemment à cause de la taille de la population chinoise et leur travail méthodique) et comme titans (à cause de la taille de leurs œuvres et l‟étendue géographique du pays).

Enfin, via la question « Une fois de plus, la tradition devra-t-elle céder le pas au goût du clinquant de plus en plus présent dans la capitale ? », l‟auteur déplace le questionnement de l‟affaire de peinture à l‟interrogation sur l‟avenir de la société chinoise et la distinction entre les classes sociales.

Outline

Documents relatifs