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La promotion touristique : de l’imagerie à l’iconotexte

2. Tourisme et imagerie

2.2 Représentations et imagologie : approche psychosociale

Le domaine de la psychologie sociale en tant qu’« étude des relations et processus de la vie sociale, ou encore comme la science de l’interaction et des relations dans toutes leurs acceptions » (Fischier et Maisonneuve cités par AMOSSY et PIERROT, 2005 : 31) est un vaste domaine qui n’est pas au centre de notre étude, mais dans lequel nous cherchons quelques notions de base pour le traitement du contenu sémantique et communicationnel de notre corpus. L’un des secteurs de la psychologie de groupes, ou ethnopsychologie, est l’imagologie que Amossy et Pierrot définissent comme l’analyse du « contenu des représentations qu’un peuple se fait d’un autre, (hétéro-images) et de lui-même (auto-image) » (2005 : 46). Cette définition donne une piste de réflexion en mettant en avant l’importance de l’écho construit par les représentations d’un peuple sur un autre. L’imagologie va se concrétiser notamment dans l’imagerie touristique.

Plus généralement, la discipline de la psychologie et notamment le concept de représentation nous aident à comprendre « la cohérence des sentiments et des raisonnements, les mouvements de la vie mentale collective » (MOSCOVICI, 1991 : 69). D’après Moscovici, les représentations sociales collectives se caractérisent par leur stabilité, leur reproduction spontanée et leur variabilité (Durkheim cité par MOSCOVICI, 1991 : 56), alors que les représentations

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individuelles se caractérisent par leur caractère éphémère. Nous nous intéressons à la première catégorie, les images diffusées au niveau des groupes sociaux qui s’imposent aux individus. Les représentations collectives passent « de la vie de tous à la vie de chacun, du niveau conscient au niveau inconscient » (MOSCOVICI, 1991 : 77), c’est-à-dire qu’elles constituent une passerelle entre la vie sociale bien installée (la tradition) et la vie sociale en mouvement permanent (l’innovation) (Ibid. : 82). Ce sont des formes d’images complexes contenant des significations et constituant des systèmes de références qui aident à l’interprétation, à la classification des éléments de la vie sociale, tels les circonstances et les individus (JODELET, 2003 : 363-384).

Il faut insister sur le fait qu’elles constituent « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet cité par HEINE & LICATA, 2012 : 113) et qu’elles assurent ainsi une cohésion et un fonds culturel aux sociétés. Ce concept a l’avantage de mettre en lien les psychologies individuelle et sociale : les représentations permettent au Sujet d’appréhender les données de sa vie courante (JODELET, 2003: 363-384).

Comme « les représentations sociales sont des blocs sur lesquels le soi se construit » (Guichard cité par DESCHAMPS & MOLINER, 2008 : 74), il est possible d’identifier des « cadres identitaires » pour des groupes sociaux (Ibid.), c’est-à-dire une structuration de connaissances sur le soi pour des usages publics ou privés (Marc & Martinot cités par DESCHAMPS & MOLINER, 2008 : 78).

La notion de représentation que nous venons de présenter a comme point commun avec l’imagologie le fait d’élaborer une idée sur l’Autre. La notion de représentation se distingue cependant de l’imagologie par sa prise en compte de la notion de l’identité de l’individu en interaction avec le groupe social qui exerce son impact sur l’individu. La notion d’imagologie se positionne au seul niveau social de l’ethnie. Autrement dit, l’imagologie porte sur le seul composant ethnologique de la société, ce que le concept de représentation, qui concerne plus une société homogène au niveau culturel et linguistique, ne met pas en avant. Les études que nous mobilisons (notamment sur la publicité) utilisent le concept de représentation, l’emploi d’imagologie étant beaucoup plus restreint.

Les représentations sociales qui constituent un univers d’opinion selon Moscovici (cité par VIDAL, 2009 : 36) sont collectivement élaborées afin d’unifier une vision partagée concernant

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des catégorisations et des classes sociales ainsi qu’il ressort de la citation suivante empruntée à Jodelet :

Formes de connaissance courante, dite de sens commun, [elles sont] caractérisée[s] par les propriétés suivantes : […] socialement élaborée[s] et partagée[s], […] [elles ont ] une visée pratique d’organisation, […] d’orientation des construits et de communication. Elle[s] concour[en]t à l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social (groupe, classe, etc.) ou culturel donné (Jodelet cité par VIDAL, 2009 : 37).

Les représentations se construisent par l’intermédiaire de la communication au sein d’un groupe social et dès qu’elles sont partagées entre les membres du groupe, elles orientent les comportements de ce groupe (LICATA & HEINE, 2012 : 80). Les représentations, en tant qu’ensembles dynamiques et non pas statiques, sont productrices du lien des Sujets avec les autres ou avec l’environnement (MOSCOVICI, 1976 : 48). Donc, les représentations concernent les idées reçues sur des comportements et sur les manières de vivre d’un groupe social. Les représentations ne sont pas des mythes, mais elles sont une base de la fabrication des mythes et elles s’inspirent également des mythes.

Les représentations collectives jouent un rôle important dans la conception publicitaire. D’après Cathelat (2001), l’annonce publicitaire doit faire un détour par la psychologie et la sociologie dans un message court et dense, car la publicité est une forme de communication sociale du fait qu’elle emprunte aux représentations sociales de l’être humain auquel elle s’adresse « des croyances, des images, des opinions, des stigmatisations ou des stéréotypes » (VIDAL, 2009 : 35). Cette constatation amène Vidal à mettre la publicité en relation directe avec le domaine des représentations sociales et les thèses de Moscovici (1961).

L’implantation des représentations dans la société se fait à l’aide des images et des figures (stimuli visuels) susceptibles de « véhiculer, entretenir ou produire une signification. » (Moscovici cité par LICATA & HEINE, 2012 : 114). Ainsi, dans le domaine culinaire, les baguettes du monde asiatique, le taboulé du Moyen-Orient, etc. sont de tels stimuli qui accomplissent une stratégie d’objectivation de la représentation, au moyen d’un lien entre l’idée et l’image. C’est pourquoi il est important d’analyser les images pour identifier les représentations suggérées dans les documents de notre corpus.

En admettant que la notion de représentations sociales couvre les relations intergroupes, elles permettent de justifier les comportements d’un groupe à l’égard d’un autre et d’anticiper ces comportements (Doïse cité par : DESCHAMPS et MOLINER, 2008 : 86). Nous le constatons dans les documents de notre corpus, mais nous tenons à faire la distinction entre les

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représentations et les stéréotypes. Les stéréotypes ne font pas partie de nos analyses car ils s’occupent des traits généraux d’une catégorie professionnelle ou sociale comme le propriétaire, l’ouvrier, le policier, le médecin (AMOSSY & PIERROT, 2005 : 26) et ont tendance à beaucoup simplifier (Ibid. : 28).

Notre corpus de recherche est riche de documents qui vantent les destinations touristiques et leurs activités, pour des raisons commerciales de vente directe par l’instance énonciatrice qualifiée, ainsi que d’autres documents qui vantent les destinations touristiques pour des raisons non commerciales. Ces documents mettent en scène, pour une autre communauté que celle des concepteurs, ce que ceux-ci considèrent comme les aspirations et les rêves de leurs destinataires. Il s’agit de produire des énoncés et des images qui correspondent à ce qu’ils pensent que les autres se représentent d’eux et de leur pays, c’est-à-dire un ensemble de représentations sociales relevant de l’imagologie et mobilisant largement l’imaginaire (et non la connaissance objective ou l’expérience vécue), ainsi que les attentes des destinataires touristes potentiels. Les activités et discours de promotion touristique mettent en jeu l’altérité et la connaissance préalable de l’autre communauté sociale (ainsi que les croyances à son sujet). Cela nous incite à opter pour une notion plus spécifique que celle de représentations sociales et plus concrète que celle d’imagologie, celle de l’imagerie, qui peut être associée à la technique du storytelling. L’imagerie est à la fois en rapport, comme le mot lui-même l’indique, avec l’imaginaire (l’activité mentale) et avec l’image (le visuel, la concrétisation).