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La promotion touristique : de l’imagerie à l’iconotexte

5. Mécanismes de l’argumentation 1 Approches sociale et logique

Ainsi, l’argumentation devient un cas particulier de l’interaction sociale. Cette interaction est aussi une forme spécifique d’énonciation. Dans les discours argumentatifs, les pronoms personnels peuvent posséder des indications énonciatives qui n’ont pas seulement une valeur déictique (je, tu) ou non (il), mais renvoient aussi à une vraie désignation de places sociales. Ces relations sociales peuvent prendre l’aspect de statuts de soumission, d’autorité, de violence, etc. Nous devons signaler l’importance de ces déictiques désignatifs dans l’interprétation du discours. Ils font connaître à l’analyste l’orientation du concepteur : de quoi le concepteur s’approche-t-il dans le discours ? est-ce de l’objet ? ou du destinataire ? ou bien des deux en même temps ? Le fait de comprendre comment les locuteurs s’inscrivent dans leur argumentation et y inscrivent leurs allocutaires, permet de mettre en évidence les rapports fondés socialement et linguistiquement dans le discours. L’argumentation comporte différents modes textuels : séquences argumentatives explicites ; séquences descriptives et injonctives qui ont valeur argumentative implicitement, ce que nous expliciterons infra à partir du modèle d’Adam (chapitres 3, 7 et 8).

Le mot d’argumentation, dans le sillage de la discipline présente dès l’Antiquité, la rhétorique, désigne un champ de recherche comme le rappelle Doury : « La théorie de l’argumentation […] est l’étude des techniques discursives permettant de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment » (Chaïm & Olbrechts-Tyteca cités par DOURY, 2016 : 13).

Le caractère principal de l’argumentation réside dans le fait qu’elle construit un raisonnement en prenant en compte l’existence d’une opinion opposée. L’argumentation n’est pas une démonstration ou un résultat absolu, mais un mode de construction du discours capable de résister, autant que possible, à l’éventuelle contestation. Tout argument est relativement contestable par des contre-arguments traitant le même problème (DOURY, 2016).

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L’argumentation se dote de plusieurs outils pour convaincre l’interlocuteur (ou combattre un éventuel contre-argument), comme l’anticipation d’objections, la concession (Ibid. : 70) et l’argumentation par l’absurde (Ibid. : 74). L’anticipation d’objections consiste à anticiper le désaccord avec l’interlocuteur en prévenant une objection possible. Cette technique a des avantages éthiques comme l’objectivité et l’impartialité, et elle a un avantage stratégique qui prive l’adversaire de certains points d’attaques possibles (contre-arguments) (Ibid. : 72). La stratégie de concession consiste à combattre le contre-discours en adhérant provisoirement et superficiellement au point de vue de l’adversaire et en prouvant le contraire « Certes P mais

Q » (Ibid. : 70). Quant au raisonnement par l’absurde43, cette stratégie du contre-discours, vise à contrer un argument ou une thèse appartenant à un adversaire. Ce procédé argumentatif passe par une fausse admission de la thèse de l’adversaire. (Ibid. : 74).

La persuasion de l’auditoire se fait en se mettant à la place de l’interlocuteur ou du destinataire quand il recevra l’information que nous lui diffusons. En effet, la présence d’un co-énonciateur dans l’imaginaire du locuteur force ce dernier à adapter ses propos pour qu’ils soient bien accueillis chez son interlocuteur. Adam & Bonhomme précisent qu’au niveau de la microstructure argumentative, la rhétorique s’intègre parfaitement dans l’enchaînement argumentatif de la publicité (ADAM & BONHOMME, 2012 : 215).

L’argumentation peut être abordée d’un point de vue logique, en tant que raisonnement. Le

syllogisme classique selon Aristote est fondé sur trois opérations de l’esprit : la production du

concept, du jugement et de l’inférence (PLANTIN, 2016 : 428). Ces trois opérations mentales sont à l’origine de trois éléments essentiels du syllogisme: les éléments posés ou prémisses, les éléments nouveaux ou résultats et la conclusion (Ibid.). Le syllogisme peut donc être défini comme une procédure argumentative qui s’appuie sur deux propositions dont on déduit la troisième. L’exemple suivant est connu : tous les hommes vont mourir (généralité ou prémisse majeure), X est un homme (cas particulier ou mineur), donc X va mourir (conclusion). La particularité du syllogisme est sa capacité, à la lumière de la réalité générale, de prouver la réalité d’un cas particulier.

Dans l’exemple de syllogisme proposé par Toulmin (un spécialiste contemporain de l’argumentation), les deux premières phrases peuvent être inversées.

Harry est né aux Bermudes ; or les gens qui sont nés aux Bermudes sont en général citoyens britanniques, en vertu des lois et des décrets sur la nationalité britannique ; donc Harry est

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probablement citoyen Britannique ; à moins que ses parents n’aient été étrangers, ou qu’il n’ait changé de nationalité. (Toulmin cité par PLANTIN, 2016 : 394).

Grâce au schéma élaboré par Toulmin dans le chapitre III de The Use of Argument (1993), nous pouvons interpréter ce discours argumentatif élémentaire comme une cellule argumentative. D’abord, nous distinguons dans l’argumentation les données générales qui vont déboucher sur une thèse ou une conclusion. Puis, nous distinguons d’autres éléments de l’argumentation comme vu que qui constitue une garantie ou loi de passage, en vertu de est un support. Ὰ moins

que constitue une condition de réfutation. Ce modèle d’argumentation fait référence à la

modalité de la qualification de l’argumentation en probablement/vraisemblablement (Toulmin cité par ADAM, 2011), (PLANTIN, 2016).

L’enthymème, enthyméma en grec, dérivé du syllogisme est en lien avec l’argumentation. Le terme enthymème signifie la pensée et la réflexion et peut signifier également le raisonnement et le motif (PLANTIN, 2016 : 231). L’enthymème est défini selon plusieurs orientations : il peut être une forme de syllogisme basé sur le vraisemblable ou un syllogisme tronqué, c’est-à- dire que la conclusion est laissée au soin du récepteur. C’est cette forme qui est surtout utilisée dans la publicité44. La particularité de l’enthymème est sa capacité de suggestion,

caractéristique fondamentale dans la publicité, qui suggère quelque chose à son interlocuteur. Or, l’enthymème est l’empire de l’implicite selon BOYER (1995).

Pour analyser le discours publicitaire, on peut rechercher ainsi des cellules ou séquences argumentatives et repérer les enthymèmes. Le discours publicitaire utilise très fréquemment ce type de démarche argumentative afin de prouver la validité du choix du produit proposé. Toutefois les démarches sont en évolution. Actuellement, grâce à l’entrée en force de l’image dans les publications médiatiques et particulièrement publicitaires, les prémisses peuvent être exprimées par plusieurs moyens visuels (couleurs et formes) afin d’imposer un maximum de contenu en réduisant au minimum les prémisses rédigées.

5.2. Le rôle de l’image dans l’argumentation publicitaire

En effet la publicité a une double « genèse sémiologique » grâce à son constituant principal (le texte), et plus tard, à l’image. Au début du XIXe siècle, les affiches d’annonces présentaient essentiellement des textes écrits d’une manière littéraire avec des formes typographiques linéaires accompagnées de quelques titres (ADAM & BONHOMME, 2012 : 14). À cette

44 L’enthymème nécessite un travail interprétatif de la part du lecteur « La femme est une île, Fidji est son parfum »

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époque, le recours à l’image était peu fréquent, le texte tenant lieu d’image. C’est pourquoi, ce type de publicité est appelé le texte-image (Ibid.). Il faut attendre les années1840 pour voir se développer une technique d’impression qui a permis d’introduire l’image. Ce nouveau système sémiologique, prenant en compte l’image en lui consacrant davantage d’espace dans la presse et les médias, fait faire un saut à la publicité vers ce que Adam et Bonhomme appellent l’image-

texte. L’accompagnement du texte par l’image est devenu de plus en plus fréquent, et les

professionnels reconnaissent l’utilité de la présence de l’image à côté du texte, voire à sa place. Généralement, l’image renvoie à des objets de la vie quotidienne, mais une image qui renvoie à ce qui est ordinaire, peut refléter une idéalisation à l’exemple du tapis volant d’Aladin. Ce tapis, à l’origine, est un mythe, mais une fois employé dans des publicités de tourisme orientaliste, l’imaginaire de l’interlocuteur fait le lien entre, d’une part, l’histoire du tapis volant qu’il a entendue pendant son enfance et, d’autre part, tout ce qu’il va voir dans le pays touristique d’accueil, comme si l’image virtuelle d’Aladin faisait partie du pays réel. Cet exemple nous amène à évoquer un phénomène propre à l’image, qui lui attribue cette force visuelle. C’est le phénomène de la condensation, qui transporte l’objet quotidien vers un niveau idéalisé. Un tel phénomène a l’avantage de pouvoir jouer le rôle d’embrayeur de l’imaginaire en profitant du stockage des images stéréotypées et connues dans la culture de la cible. « Selon ce processus, le representamen (l’image réelle) est lié à l’interprétant (le stock des images) par des relations subjectives (métaphore iconique), par la motivation et le hasard » écrit CORNU (1990 : 148) en reprenant les termes de Peirce.

L’image, qu’il s’agisse d’une photographie réelle ou fabriquée par des logiciels, cristallise l’imagerie mentale et sociale, et concentre l’émotion de la même manière que les icônes religieuses qui représentent le sacré. L’image publicitaire s’inscrit ainsi dans la mémoire du lecteur tout en faisant appel à elle (CORNU, 1990 : 146).

L’image se distingue du langage par sa morphologie plastique qui n’existe pas dans l’ordre linéaire langagier (ADAM & BONHOMME, 2012 :307). Elle se caractérise par ses composants de natures différentes : nature géométrique comme le graphisme des lignes (continuité et discontinuité), la dimension, le profil (droit et courbe), la compacité (mince ou épais) ; nature chromatique, concernant les couleurs ; nature de texture (lisse, moirée ou hachurée) concernant la surface de l’icône (Ibid.).

Le texte écrit n’est pas loin de l’icône dans sa construction et dans sa fonction. En complémentarité avec l’image, il est aussi dialogique par son ouverture sur le contexte socio-

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discursif (LUGRIN, 2006 : 73). Le rapprochement fonctionnel des deux constituants de l’iconotexte fait interpréter le sens de l’iconotexte comme texte scripto-iconique45 .

Le secret de la réussite d’une affiche publicitaire tient à la qualité de ses messages mixtes, en associant une image à un texte (Nerlich cité par LUGRIN, 2006 : 65) et en suscitant une sensation d’harmonie chez le lecteur ou le récepteur visé. Elle dépend de tout un savoir-faire d’injection du sens au sein du visuel pour créer un bien-être supposé (paradis, gain, luxe, virilité, force).