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L’image au service de la construction du sens

2. Culture et architecture : des thématiques permanentes 1 Décoration tunisienne classique

2.2. Héritage pharaonique

Le thème du document égyptien intitulé « Guide de ventes et de promotion » (CS : 25) est plus vaste, c’est-à-dire que ce livret porte sur la présentation du tourisme à destination de l’Égypte sous forme de plusieurs activités variées, qui n’appartiennent pas à un seul domaine. La généralité du thème dans ce document fait que le concepteur s’autorise à mettre, sur deux pages en face à face, le paysage authentique du coucher du soleil sur les trois pyramides de Gizeh, symbole du tourisme en Égypte. La scène montre comment le soleil qui se couche s’approche des sommets des pyramides. L’avant-propos écrit sur ces deux pages nous a fait choisir seulement cette partie de ce document, grâce au champ lexical de retrouvailles merveilleuses. Celui-ci vient en appui aux représentations de la richesse de l’Égypte en vestiges pharaoniques, et aussi aux représentations orientalistes, par un aspect merveilleux qui rappelle les anciens contes arabes. L’avant-propos est intitulé « L’Égypte a encore beaucoup de trésors à vous

révéler ». Le concepteur insiste sur la révélation assortie au coucher du soleil pour dégager un

aspect poétique rarement utilisé dans le tourisme arabe mais lié à la poésie classique. La révélation était présente chez les poètes qui écrivaient et chantaient le sujet du coucher du soleil,122 parce que la nuit était toujours liée à l’amour dans la littérature classique arabe. Or

dans cette scène le soleil s’approche des pyramides comme pour une révélation. La sérénité des couleurs et l’absence des personnes mettent le lecteur dans un paysage qui inspire le calme :

Avec le Romantisme, la nature a évolué : elle est dorénavant destinée à recueillir les émotions de l’homme ; une connivence, une union se crée entre l’homme et elle. Le paysage devient un moyen d’expression du soi : il contient les tourments, les sensations et les effusions de l’être ; il est son miroir. (DAMIEN, 2003 : 2).

L’angle de la prise de vue de la photo est en contre-plongée et en plan d’ensemble avec une distance visible grâce à une grande profondeur de champ, pour permettre au lecteur de voir la

122C’est le cas du célèbre poète syrien connu sous le surnom Badawi Al Jabal qui écrit dans son poème intitulé :

Dors dans mon cœur :

« Veux-tu les pleurs ou même le pollen ? sincèrement, je ne te dirai jamais non ;

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totalité du paysage et son ampleur. Le coucher du soleil sur le désert provoque un effet de luminosité comme si les sables étaient des trésors (ce mot est utilisé au sens propre dans l’avant- propos du document étudié). La simplicité du paysage permet au lecteur d’aller directement vers la gauche pour lire l’avant-propos. L’implication visuelle de l’objet de la promotion, les pyramides pharaoniques, est réalisée sur le côté droit du texte de l’avant-propos. Le thème du soleil revient, avec les pyramides, dans la photo qui apparait authentique dans ce document. Le pictogramme du soleil se trouve dans le logo de l’office du tourisme de l’époque.

La photo poétique est couramment présente dans le corpus égyptien papier, non seulement en relation avec le non humain mais aussi avec l’humain traité poétiquement. Nous trouvons un tel traitement dans le document (CS : 26) où la page de couverture contient, dans un petit encadré, la photo de deux amoureux qui regardent avec joie et satisfaction un paysage égyptien. La femme embrasse son conjoint en mettant sa main sur le dos de ce dernier. Il n’y a pas d’expression écrite sur la page de couverture qui pourrait décrire tout ce que le couple regarde, mais la juxtaposition sur la photo des colonnes pharaoniques, qui occupe environ 80% de l’espace de la page, du petit encadré des amoureux fait comprendre au lecteur que l’Égypte est à la fois un pays de civilisation pharaonique, d’histoire antique, et aussi un pays oriental d’attraction romantique pour les touristes européens.

Figure 16 Document égyptien : la vallée du Nil (CS : 26)

L’angle de vue de la caméra dans la grande photo est légèrement en contre-plongée. Afin de centrer la vue du lecteur sur l’obélisque, la profondeur du champ est relativement réduite. Nous ne voyons rien derrière l’obélisque, en plan de demi-ensemble. Quant à la deuxième photo, celle du couple d’amoureux, elle est en gros plan et une partie de leurs corps apparait, dans une

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distance clairement visible, parce que les arbres en arrière-plan sont flous. Les personnages sont pris en très gros plan pour donner une place aux émotions des lecteurs. L’angle de vue est fortement en contre-plongée : il montre la majesté des monuments pharaoniques et aussi l’importance de la scène des deux amoureux. Il n’y a pas d’implication entre les personnages et le lecteur ; ils sont en train de regarder quelque chose qui leur plaît beaucoup et qui les rend souriants, dans une scène très conviviale. Cette disposition visuelle est faite, nous semble-t-il, pour attirer l’attention du lecteur sans s’adresser à lui directement. Cette disposition a donc une fonction particulière qui consiste à permettre au lecteur de se projeter librement, sans contraintes, de s’identifier au couple et aussi de créer un simulacre de sentiment comparable à la découverte des touristes de l’image.

Dans ce document, la grande photo authentique des colonnes de Louxor parle d’une civilisation ancienne mais la petite image de la deuxième photo parle de manière discrète, comme timide, vu sa petitesse, d’une histoire d’amour : la dame fait un geste tendre à son conjoint. La couverture de ce document raconte par l’intermédiaire de l’image plus que par le texte qui se borne à nommer certaines villes riches en monuments.

Dans le corpus égyptien, on trouve la présentation des monuments dans presque tous les documents. Dans le document CS : 26 que nous venons de commenter, le concepteur regroupe des éléments appartenant à deux mondes distincts, la civilisation et le romantisme, en mettant en relief la richesse des monuments pharaoniques et aussi l’argumentation plutôt émotionnelle à l’aide des paysages et du couple.

L’implication des personnages vers le lecteur, d’après les analyses du corpus papier, est limitée au niveau visuel. Il nous semble que la raison de cette limitation est que l’objectif de ces dépliants n’est pas la promotion directe du tourisme car ce genre de document a pour mission la divulgation de renseignements sur les caractéristiques propres aux sites de tourisme, sans affronter l’enjeu médiatique du tourisme en zone post-crise. Nous signalons que la cohabitation entre l’image et le texte est relativement limitée sur la première page de couverture papier, tandis que la cohabitation est très présente dans les pages qui suivent.

Une partie des documents portent sur la culture, comme le document CS : 13, où figure une photo comportant des statues pharaoniques du temple d’Opet du sud voué au culte du Dieu dynastique Amon123 construit par Amenhotep III à Louxor, des sculptures, des hiéroglyphes,

123Amon est l’une des principales divinités du panthéon égyptien, dieu de Thèbes. Son Nom est Imen « le caché

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une foule de touristes rassemblés devant ces statues qui semblent constituer l’entrée d’un lieu touristique très riche. La photo de ce document est prise de manière à permettre la mise en avant de l’entrée du temple qui est axée juste au milieu de l’image. Ainsi les deux statues religieuses sont mises en valeur sur la photo. La couleur ocre des très grandes statues et la couleur des colonnes et des murs du temple couvrent un grand espace de la photo, afin de montrer la grandeur des vestiges presque intacts. Les termes soulignent la densité des arrivées touristiques dans ce site archéologique : affluence touristique, bonne hausse, chiffres officiels, instance

gouvernementale, tourisme, bonne voie, etc.

La majesté de la civilisation égyptienne apparait pour ce document CS : 13 dans les deux statues qui constituent le cadre des deux côtés de la photo. Cela donne une connotation d’orgueil et de fierté de l’Égypte vis-à-vis du monde, et invite le lecteur à découvrir le secret de cette fierté. La photo a été prise de cette manière afin de montrer l’attraction des monuments pharaoniques sur les touristes des quatre coins du monde : cet effet est sensible d’une part dans l’implication visuelle des statues dans la photo, d’autre part dans la foule qui passe entre ces deux statues. La forte richesse de l’Égypte en trésors archéologiques et sa renommée internationale ont permis à l’Égypte de faire une promotion par l’intermédiaire des objets anciens distinctifs et identitaires comme dans le cas du document CS : 15, sans avoir besoin de se référer à un grand évènement précis ou un lieu prédéterminé. Cette promotion est dans la continuité de la promotion culturelle de l’Égypte. La page Facebook Experience Egypt (CS : 15) publie une photo de ce qu’on appelle la clé de la vie (symbole pharaonique d’immortalité et de pouvoir), qui est très connue au niveau mondial comme un symbole de la civilisation égyptienne et de la richesse culturelle de l’époque pharaonique. La première photo est la clé de la vie mise dans une porte ancienne (comme la clé d’une armoire). La deuxième photo a été prise au temple de Louxor où les grandes statues pharaoniques et un obélisque couvert d’écriture hiéroglyphique figurent sur la photo. Il n’y a pas de grande profondeur de champ dans la première photo, tandis que dans la deuxième, elle est plus importante pour valoriser des éléments comme le ballon, les arbres et les montagnes, et pour couvrir un espace visuel très large. Les montagnes et la montgolfière apparaissent un peu en flou, en arrière-plan, mais restent visibles malgré l’éloignement. La photo de la clé de la vie est en très gros plan et montre les détails de ce petit objet qui a une grande importance symbolique. Ce traitement visuel permet une valorisation maximale de la clé de la vie. Sur la deuxième photo, celle du paysage, un plan d’ensemble englobe plusieurs éléments de la scène. La technique des deux distances visuelles, nette et visible, dans le paysage avec la montgolfière et les statues, a pour objectif de mettre en valeur

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la variété des atouts du tourisme égyptien. Ce document affiche donc une photo allégorique de la clé de la vie : l’Égypte avec sa clé de la vie est la porte du monde. La figure rhétorique d’allégorie explique que la destination de l’Égypte est une ouverture à ce monde culturel et pharaonique. La deuxième image se contente de montrer la diversité des activités touristiques (loisirs avec la montgolfière, visites de sites archéologiques, etc.).

Un autre symbole de la civilisation pharaonique couramment représenté dans les publicités touristiques figure dans la photo du document CS : 14 : ce sont les pyramides qui sont situées au milieu d’une photo très lumineuse avec la couleur bleue du ciel et la couleur blanche des nuages. Mais la photo nous parait retravaillée vu la luminosité surprenante des couleurs. Nous pensons que la taille des pyramides a été modifiée afin d’établir une égalité visuelle de taille entre le lecteur et les pyramides, afin de susciter une sorte de conversation entre des pyramides qui parlent et le lecteur qui devrait en parler après les avoir vues. La photo montre en effet une série de très grandes pyramides avec un écart entre chacune d’elles. Le blanc des nuages et le bleu foncé du ciel renforcent la focalisation sur les pyramides, de la couleur du sable. Toute la mise en scène est réalisée pour incarner le thème de la « contemplation mutuelle124 ou de la conversation » entre les touristes et les pyramides personnifiées. Cette photo est un exemple de personnification. L’auteur attribue la qualité de la contemplation humaine aux pyramides par l’image et le statut publié au-dessus de cette image. La photo prend en charge visuellement le sujet de l’article qui l’accompagne car les pyramides sont bien focalisées et centrées face aux yeux du lecteur dans la photo. Comme toutes les photos de Facebook, cette photo est suivie du commentaire de l’administrateur et d’une série de commentaires par les fans. Le texte publié sur cette photo est repris d’une phrase célèbre de Napoléon sur le mode de l’énonciation rapportée : « Du haut de ces pyramides, 45 siècles vous contemplent », et assorti à un hashtag promotionnel « #Égypte#tourisme » et il contient aussi quelques commentaires sur la photo. L’administrateur de la page Facebook s’occupe de la présentation d’objets symboliques très connus au niveau international, mettant en arrière-plan le paysage naturel du ciel et établissant une parfaite harmonie entre l’image et le texte quant à l’idée de la contemplation (« […] vous

contemplent »). Ce verbe qui signifie un regard prolongé associé à une réflexion profonde sur

l’histoire, le passé, la beauté renvoie au champ lexical de la spiritualité.

194 2.3. Héritage culturel arabe commun

Après l’utilisation des symboles pharaoniques dans la promotion égyptienne, l’artisanat égyptien occupe une place particulière dans la promotion touristique égyptienne comme en témoigne le document CL : 7. On voit une jeune dame légèrement souriante, debout dans un marché d’artisanat et d’ustensiles dont la construction remonte à plus de 600 ans, le Khan ElKhalili, au cœur du Caire. La jeune femme, qui parait européenne, porte une robe exactement de la même couleur ocre que l’éclairage du marché, ce qui indique implicitement une intégration plastique mais aussi psychologique de la touriste dans la culture artisanale égyptienne, son admiration s’exprimant par son regard comme nous voyons dans la figure suivante (fig.17) :

Figure 17 Document égyptien : le Khan El Khalili (CL : 7)

Elle tourne la tête pour regarder à côté de la caméra mais sans la fixer, donc l’adresse au lecteur est indirecte. Le plan d’ensemble donne l’impression d’une valorisation visuelle d’une part du marché du Khan El-Khalil, et, d’autre part, du regard chargé d’admiration de la jeune dame immergée dans les trésors artisanaux. L’angle de vue qui est horizontal soutient notre hypothèse. Le visage très rapproché de la jeune dame auprès de la caméra, la surface étroite du Khan El-Khalil donnent l’impression visuelle de l’intimité et de la découverte du lieu.

Le portrait de la jeune femme est flou en partie parce que le concepteur insiste sur les interférences des deux objets : le lieu en promotion et la jeune femme en cohérence avec l’expression anglaise écrite au-dessus de sa tête « A 5000 years of inspiration, it was very hard

to choose… ». Le regard de la dame traduit une indécision face à la richesse d’objets artisanaux

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documents de promotion touristique égyptienne comme la vidéo « L’Égypte est proche »125

les regards des chanteurs sont très orientés vers les touristes arabes, en l’occurrence les Arabes du pays du Golfe. L’affectivité vient affirmer le caractère fraternel de l’Égypte avec d’autres pays arabes.

L’artisanat, la tradition et les sentiments d’attirance et d’amour ne sont donc pas visibles uniquement dans les documents adressés au monde occidental, mais aussi dans ceux dirigés vers un public arabe pour l’atteindre et le séduire. C’est le cas du document CL : 3 publié sur le réseau social Facebook qui montre un art traditionnel par la transcription de la calligraphie arabe convertie en arabesque. Elle s’inspire de l’art artistique plastique du dessin botanique126.

Cette forme d’écriture, appelée ottomane, est connue dans le saint Coran et se présente également dans tous les lieux de cultes du monde musulman, d’où sa dimension culturelle et religieuse. Sur cette photo du logo « Égypte » en écriture dorée sur un fond noir, le mot Égypte est entouré par un cadre doré avec un arrière-plan de décoration végétale. Le logo est transcrit dans le cadre de la campagne du tourisme égyptien auprès des pays du Golfe, « L’Égypte est

proche ». Le style ottoman rappelle l’écriture coranique parce que le contenu de cette campagne

est précisément ciblé pour des pays musulmans et arabophones. C’est une photo du logo qui a accompagné la vidéo de la campagne touristique. Cette vidéo jouée par des acteurs égyptiens et arabes très connus et bien appréciés par un large public se termine par la phrase « Tu connais

tous les visages… »127, comme si le touriste arabe était entouré par sa famille en Égypte. En

effet le touriste ciblé est celui du Machrek et la destination promue, l’Égypte, est au cœur de l’univers culturel du Machrek. Donc, la forme et le contenu de cette campagne ont été soigneusement conçus pour évoquer le rapprochement inter-arabe. La connotation engendrée par cette campagne est que l’Égypte est une capitale de la culture arabe islamique très proche de celle du lecteur. Le thème du rapprochement dans ce logo comporte deux significations : un rapprochement géographique et un rapprochement culturel, grâce à la décoration d’art arabesque à motif végétal.

Cette campagne se caractérise donc par son ciblage sur les pays arabes, et elle a un point commun avec le document S : 1, où la photo de Dujardin dans une scène du film OSS 117 a

125 Cette vidéo qui correspond au document analysé au paragraphe suivant (CL : 3) est disponible sur le lien

suivant : https://www.youtube.com/watch?v=hSsuPBUxn3Y (Consulté le 15/04/2019).

126La calligraphie islamique religieuse est, comme l’architecture de mosquées, inspirée par l’arabesque et la

décoration à formes de plantes. L’art islamique s’est caractérisé par la tendance botanique, puisqu’il est interdit de représenter des formes humaines.

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pour cible, elle, le monde occidental et francophone afin qu’il revienne dans les pays musulmans.

Avec l’analyse de certains documents qui font la promotion d’un événement précis sur Facebook et non pas sur le tourisme en général, nous avons trouvé des documents comportant des images précisant la nature ou le lieu de cet événement comme le document A : 1. Dans ce document de promotion d’un festival de musique, « Les dunes électroniques », les dunes ressemblent à des nuages et à une cité de type architectural fantastique arabe ancien. La plasticité de l’image, en couleur jaune, bleu foncé, etc. fait allusion à un lieu imaginaire révélé à l’aide de l’écriture anguleuse qu’est l’écriture électronique des calculatrices. La cité arabe qui est dessinée dans les airs par rapport au désert (elle n’est pas posée sur le sol), et le soleil dessiné au milieu de la ville nous rappellent le tapis d’Aladin du conte traditionnel arabo-perse. Ce sont des éléments d’élaboration d’un fantasme mythique qui donnent davantage de relief aux déserts de la Tunisie et rappellent son attractivité, tout en annonçant un festival musical de jeunesse. Ce sous-corpus est classique dans sa présentation des lieux historiques les plus connus du pays d’accueil, mais n’empêche pas de mettre en avant des connotations voulues par les concepteurs.