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Dans l’étude qu’ils consacrent au Conseil Economique et Social d’Aquitaine, Jacques Palard et Patrick Moquay soulignent la « singularité essentielle » de cette participation ancienne et institutionnalisée des représentants économiques et sociaux à l’action publique régionale, en comparaison avec les autres échelons politico-administratifs territoriaux64. Sans être exactement identique à ce qu’ici nous avons appelé pour plus de commodité la représentation des intérêts organisés, la représentation des intérêts économiques, ou encore, dans la terminologie de Michel Offerlé, la représentation des professions65 a fait l’objet d’une succession d’expériences institutionnelles au niveau régional. Il est d’ailleurs tout à fait frappant de constater que la première tentative de consultation

formalisée au niveau régional signe également le premier essai

d’institutionnalisation d’une autorité régionale déconcentrée dans la France

centralisée de la IIIème République : il s’agit de ce que l’on a retenu sous le nom de « région Clémentel » dans les années suivant immédiatement le premier conflit mondial. Ministre du Commerce de l’époque, Etienne Clémentel a développé dès 1917 le projet de « groupements économiques régionaux » dont l’existence est entérinée par l’arrêté du 25 avril 1919. Ces structures, préconisées dans un effort de rationalisation économique pour répondre aux difficultés rencontrées par l’économie de guerre66, s’appuient sur des regroupements territoriaux de Chambres de Commerce, l’arrêté de 1919 rassemblant 136 des 149 Chambres de Commerce que compte alors la France en dix-sept groupements régionaux qui préfigurent le découpage administratif actuel. Ces structures régionales, dont une loi qui n’a jamais vu le jour devait préciser l’organisation, sont restées dans leur organisation et leurs objectifs relativement modestes. Le décret loi du 14 juin 1938 institue les régions Clémentel en établissements publics, permettant ainsi aux 19 Unions de Chambres de Commerce Régionales de devenir des « Régions Economiques » à vocation consultative pour les pouvoirs publics. Cependant les fonctions de ces structures restent floues et leur contribution aux politiques économiques incertaines. Dans ses travaux consacrés à l’émergence du fait régional sous l’impulsion de Clémentel, Philippe Veitl établit que cette tentative de redéfinition de l’espace national sans moyens financiers ni existence juridique bien établie, a très tôt périclité67 et n’a survécu que quelques années suite à la défaite électorale de Clémentel.

On soulignera cependant, aux côtés d’Alain Chatriot et de Claire Lemercier, que cette forme organisationnelle spécifique, aussi éphémère qu’elle fut, ne se réduit pas à une simple déconcentration étatique, puisqu’elle repose uniquement sur la représentation patronale et commerçante au travers des Chambres de Commerce68. Ces dernières, régies depuis 1898 par une loi qui assoit leur pouvoir auprès des décideurs publics et ayant développé leurs propres structures de coordination, peuvent même contester le découpage proposé par le Projet de

65 Michel OFFERLE, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998.

66Alain CHATRIOT et Claire LEMERCIER, « Corps intermédiaires » dans Christophe PROCHASSON et Vincent DUCLERT (eds.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 691 698.

division de la France en Régions économiques de 1917. L’analyse de Philippe

Veitl éclaire ce choix original de faire reposer un nouvel échelon de l’action publique sur la représentation des intérêts économiques et des professions. Pour lui, loin de se réduire à une réponse opportuniste aux diverses pressions exercées par les revendications régionalistes et par les circonstances exceptionnelles de la Grande Guerre, ce projet de loi avorté a procédé d’une réflexion mûrie et originale sur le fait régional. S’inscrivant dans un large questionnement autour de la déterritorialisation qui nourrit les angoisses collectives de l’époque, la réflexion de Clémentel reconstituée par Philippe Veitl tente d’articuler les interrogations sur la « francité » et l’affirmation par les tenants de Durkheim d’une identité non plus basée sur le territoire mais sur la profession. C’est ce « surgissement de la modernité au sein du terroir»69, ou en d’autres termes cette nécessité de concilier deux versions antagonistes de la citoyenneté et de l’appartenance, qui sous-tend le projet Clémentel de régionalisation. La région de Clémentel, reposant dans sa composition sur les intérêts économiques et les professions, et dans ses objectifs sur une planification dirigiste de l’économie, permet de concilier les deux pôles, et, malgré son échec, de penser pour la première fois un découpage régional de l’action publique.

Le régime de Vichy poursuit dans cette voie l’intégration des acteurs économiques au sein des institutions régionales, et on peut noter une certaine permanence de la « révolution paradigmatique » de Clémentel dans certains projets de déconcentration administrative sous-tendus par les conceptions corporatistes du gouvernement pétainiste. La continuité législative et la mise en œuvre administrative étant toutes relatives, compte tenu du contexte spécifique de la Seconde Guerre Mondiale, on peut néanmoins repérer dans l'acte législatif du 19 avril 1941 la volonté de conférer une compétence économique à un échelon régional de gouvernement. Ce texte institue 19 préfets régionaux, compétents en matière économique et de police. Palard et Moquay signalent également un projet législatif de 1942 en vue de l’après-guerre, de type corporatiste : il prévoit la

création d’une collectivité faiblement décentralisée, au sein de laquelle serait instauré un Conseil Provincial se faisant « l’écho des forces spirituelles, morales, intellectuelles et économiques de la province »70. Ce Conseil aurait pu donner un « avis autorisé sur les propositions budgétaires du Gouverneur, nommé et révoqué par le chef de l’Etat »71, préfigurant sur le plan organisationnel une assemblée de représentants des intérêts organisés émettant des avis consultatifs auprès du Préfet de Région.

1.1.2. La représentation politique et

professionnelle dans les premières

structures régionales de