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On retrouve dans les publications ou communications des différentes CESER, à l’occasion d’anniversaires célébrant la création de ces assemblées ou de manifestations organisées par l’association des CESER de France, un certain nombre de références plus ou moins explicites aux notions de « société civile » et de « corps intermédiaires » qui parsèment le discours de ces institutions sur elles-mêmes. Ainsi peut-on par exemple lire sur le site internet du CESER Poitou-Charentes une brève définition de l’organisation à destination du grand public, comme « assemblée consultative chargée

d’apporter la vision de la société civile organisée »53. Un autre terme apparaît parfois en complément du qualificatif de société civile : les CESER sont la voix des « corps intermédiaires de la République ». Cette terminologie est ainsi apparue à de nombreuses reprises lors des rencontres régionales du dialogue territorial organisées par l’Institut de Formation et de Recherche en Education à l’Environnement en Poitou-Charentes en juin 2012 : l’assemblée y a été présentée par les intervenants en tant que « corps

intermédiaire de corps intermédiaires »54

. Sans que notre propos soit ici d’effectuer un recensement exhaustif des usages de ce vocable ou de questionner sa pertinence, sa diffusion dans les discours institutionnels a le mérite de souligner la position particulière des CESER entre espaces sociaux et espace politique régionaux. Intermédiaire entre univers institutionnels socio-économiques multiples et univers politique, cette arène peut être conçue comme un de ces objets dont les acteurs, dans leurs rôles ou leurs représentations, échappent au moins partiellement aux catégorisations classiques qui leur sont habituellement appliquées.

Les CESER sont en ce sens l’un de ces lieux de passage entre univers institutionnels, et leurs conseillers sont des intermédiaires qui opèrent un travail de médiation entre le groupe d’intérêt qu’ils représentent et la puissance publique. Dans leur ouvrage consacré à l’imbrication de l’espace politique et des espaces sociaux, Olivier Nay et Andy Smith55

caractérisent ces arènes de médiation comme des espaces de consolidation des interdépendances, des lieux de négociations des règles de l’action collective, de cristallisation des conflits ou de formation des équilibres entre groupes organisés. La particularité des assemblées socioprofessionnelles régionales réside dans

53 Le CESER, http://www.cese-poitou-charentes.fr/Le-CESER.html, (consulté le 15 décembre 2013).

54 Le CESER aux rencontres régionales de l’IFREE, http://www.cese-poitou-charentes.fr/Le-CESER-aux-rencontres-regionales.html , 5 juillet 2012, ( consulté le 13 avril 2013).

le fait qu’elles assurent une fonction d’intermédiation, mais opèrent de façon formalisée, et matérialisée par une organisation jouissant d’un statut juridique et soumise à des processus d’institutionnalisation multiples. En comparaison de réseaux plus ponctuels dans le temps, moins visibles, moins stables et plus autonomes de la puissance publique, les CESER constituent une forme institutionnalisée de l’intermédiation. Sans remettre fondamentalement en question l’idée selon laquelle ils opèrent une articulation entre espaces institutionnels distincts, les processus d’institutionnalisation, tels que la sociologie de l’institution ou le courant néo-institutionnaliste ont pu les décrire, encadrent et conditionnent la façon dont les différents acteurs des CESER peuvent se positionner en tant qu’intermédiaires.

Ce premier chapitre a pour objet de préciser les conditions dans lesquelles se nouent des dynamiques d’échange à la frontière entre sphère institutionnelle et sphère sociale. En d’autres termes, il s’agit, avant de mener une analyse de l’échange politique entre les représentants des intérêts organisés et la puissance publique régionale, de mieux saisir le contexte dans lequel cet échange se réalise. Par échange politique, on entend l’ensemble des transactions par lesquelles les groupes d’acteurs représentant

diverses organisations parviennent à négocier leur présence dans un jeu commun au sein de l’assemblée et auprès de la Région. Ces transactions opérant dans un contexte

donné, l’inscription de l’assemblée consultative et de ses conseillers dans l’ordre institutionnel régional, et tout particulièrement la relation entre l’assemblée socioprofessionnelle et l’assemblée délibérante de la Région, pèsent sur les conditions de l’échange. Le cadre législatif encadrant les compétences du CESER et délimitant ses rapports avec le Conseil régional constitue ainsi une première dimension de l’analyse. Le mouvement de décentralisation, et l’accroissement exponentiel des compétences de l’institution régionale, ont assez sensiblement affecté la délimitation des fonctions des assemblées socioprofessionnelles depuis la décennie 70, ayant pour effet premier d’en changer régulièrement le nom56

, et plus largement de modifier les relations établies entre le Conseil régional, son exécutif et l’assemblée consultative. Néanmoins, au-delà de la

56 D’où l’utilisation des termes d’assemblée socioprofessionnelle pour décrire les différentes incarnations successives de la représentation des intérêts organisés au niveau régional, qu’il s’agisse du Comité économique et social régional, du Conseil économique et social, ou Conseil économique, social et environnemental régional. Si cette terminologie pêche par l’inadéquation de l’adjectif « socioprofessionnel » à rendre pleinement compte de la diversité des organismes

description des évolutions juridiques régissant la délimitation des compétences respectives du Conseil régional et du CESER, l’analyse du contexte de l’échange politique passe également par l’observation des phénomènes d’institutionnalisation des assemblées socioprofessionnelles. Ainsi la négociation par différents types d’acteurs, représentants ou administratifs, de la place de leur assemblée dans l’ordre institutionnel et de son inscription dans la fabrique des politiques publiques régionales, ou encore les ressources à leur disposition pour légitimer leur présence dans la régulation politique de la région, et faire sens de leur rôle et de celui de l’institution à laquelle ils appartiennent, ont une influence sur les modalités de l’intermédiation. Finalement, il s’agit de saisir dans quel environnement se nouent les échanges multiples entre les différents acteurs du CESER et la puissance publique régionale. Cela revient à analyser les modalités qui contraignent ou constituent des ressources dans les échanges politiques entre trois pôles principaux, à savoir la représentation des intérêts organisés d’une part, la représentation politique (ou élective, dans le sens où elle est issue du suffrage universel, inscrite dans le système partisan) d’autre part, et enfin

l’administration régionale (entendue comme les services de l’Etat avant la

décentralisation, puis l’exécutif régional depuis 1982).

La première partie de ce chapitre se propose de replacer la relation entre représentation des intérêts et représentation politique au niveau régional dans une perspective historique, et de proposer une relecture de l’impact de la décentralisation sur cette relation nuançant les conclusions des quelques travaux scientifiques consacrés aux assemblées socioprofessionnelles. Les rares études de cas sur les CESR dont on peut aujourd'hui disposer sont loin d'épuiser les connaissances regardant la composition des CESER de France, leurs modes de fonctionnements internes, les pratiques et les normes qui régissent leur action, car l'intérêt suscité par l'institution a essentiellement concerné le processus de décentralisation de la décennie 1980 et son impact sur l'assemblée socioprofessionnelle57. A partir des années 1990, on dispose d'un suivi

57 Voir : Jacques PALARD et Patrick MOQUAY, La société régionale en dialogue : le Conseil économique et social d’Aquitaine. 1974-1989 : l’innovation apprivoisée, Éditions confluences., Bordeaux, Conseil économique et social régional d’Aquitaine, 2009, 197 p. , Yves DELAIRE, Le comité économique et social d’Auvergne (19974-1981),Faculté de droit et de science politique, Université de Clermont-Ferrand I, Clermont-Ferrand, 1982., Raphael BRUN, « Les

extrêmement lacunaire des CESR : de nombreuses questions demeurent sur le travail d'assemblée en CESER, sur l'évolution des normes juridiques encadrant son action et sa composition, et sur la manière dont il s'insère dans le cadre de l'élaboration des politiques régionales. Plus encore, on dispose de peu de données actualisées sur les acteurs, leurs cadres de référence et leurs conceptions de leur propre rôle au sein de l'assemblée du CESER. L’objectif de cette partie historique est donc proposer une suite aux analyses susmentionnées au regard des réformes des trois décennies suivantes, mais également de relativiser certaines de leurs conclusions concernant les équilibres institutionnels et la relation entre représentation des intérêts organisés et représentation politique. Le « moment de la décentralisation » et de l’établissement de la région comme niveau de gouvernement autonome durant les décennies 1970-1980 a en effet constitué un contexte particulier, dont les spécificités ont pu focaliser l’attention sur la conflictualité entre les deux assemblées, qu’une lecture longitudinale permet de nuancer. Le choix de retracer la trajectoire institutionnelle des assemblées socioprofessionnelles se justifie également par le l’objet même de ce chapitre, à savoir les dynamiques d’institutionnalisation de cette arène d’intermédiation qu’est le CESER. Ces dernières sont assez largement le produit de la sédimentation d’échanges politiques successifs : en d’autres termes, le comportement et les représentations des acteurs contemporains sont encore largement informés par les configurations qui se sont succédé entre représentation politique, représentation des intérêts et administration régionale. L’historique des différentes réformes des assemblées socioprofessionnelles peuvent ainsi apparaître comme un premier niveau de lecture des dynamiques de l’échange politique actuel opérant au sein du CESER. On rejoindra Chatriot58 dans son analyse du Conseil économique et social (national), qui voit dans les différentes réformes de composition un moyen no 1, p. 13‑ 35. ; ou encore : Olivier GOHIN, « Les comités économiques et sociaux régionaux », Revue du Droit Public et de la science politique en France et à l’étranger, mars 1988, p. 499 550. Sur les CESR, et dans une moindre mesure : Jacques CHEVALLIER, « La réforme régionale » dans Jacques Chevallier (ed.), Le pouvoir régional, Paris, Presses universitaires de France, 1982, p. 109‑ 185., Jack HAYWARD, « Incorporer la périphérie : l’essor et la chute de la régionalisation fonctionnelle en France », Pouvoirs, 1981, no 19, p. 103‑ 118. Pierre GREMION, Le pouvoir périphérique : bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Éditions du Seuil, 1976, 1 vol. (477 p.) ; 21 cm p., Pierre SADRAN, « Les accommodements avec la loi de 1972 », Les Cahiers de l’IFSA, 1981., ou encore Olivier NAY, La région une institution. La représentation le pouvoir et la règle dans l’espace régional, Paris,

d’appréhender les arbitrages négociés sur le temps long dans la définition fonctionnelle de l’assemblée consultative nationale.

La seconde partie du chapitre est consacrée à l’inscription du CESER dans l’ordre institutionnel régional actuel, et aux dynamiques de négociation du rôle et du sens de la consultation des intérêts organisés dans la fabrique des politiques publiques régionales. On se propose de rendre compte des relations du CESER avec le Conseil régional, marquées par la mise sous tutelle de la représentation des intérêts à la représentation politique, et des rapports entre le CESER et l’exécutif de la Région. Il s’agit ici de montrer l’inadéquation d’une lecture en termes de rivalité entre deux formes de représentations, ou plus largement d’influence ou d’impuissance d’une assemblée consultative sur la décision publique régionale. En effet, les relations entre les trois pôles de la représentation politique, représentation des intérêts et administration régionale consistent davantage en un échange continu entre acteurs multiples, autour d’enjeux qui ne se réduisent pas au seul moment de la décision. Ces différents acteurs négocient leur insertion et leur légitimité dans le cycle d’élaboration des politiques publiques (de la mise à l’agenda à la mise en œuvre) et dans la régulation politique de la région. L’asymétrie des rapports entre CESER et Conseil régional ne doit donc pas dissimuler que dans la relation de dialogue entre les deux assemblées se nouent toute une série d’échanges politiques entre différentes catégories d’acteurs (politiques ou administratifs, individuels ou collectifs, partisans, professionnels, groupe d’intérêts…). Au sein de ces configurations multiples, certains acteurs (organisationnels ou individuels) sont à même de s’imposer ou de négocier leur présence et de légitimer leur action, que ce soit dans la formulation et la mise a l’agenda d’un problème public, ou dans la mise en œuvre de certaines politiques régionales. Par ce biais, les acteurs du CESER négocient une forme de légitimité qui n’entre pas en concurrence celle de la représentation politique.

1. Le divorce de la représentation des

intérêts régionaux et de la

représentation politique : histoire d’une