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L’auto-saisine : une marge de manœuvre pour s’imposer dans le de manœuvre pour s’imposer dans le

direction du Conseil Régional

2.1.2. L’auto-saisine : une marge de manœuvre pour s’imposer dans le de manœuvre pour s’imposer dans le

jeu politique régional

Le faible poids de l’instance consultative dans la prise de décision régionale, et la liberté très limitée accordée à l’assemblée dans le cadre de la procédure de saisine contraste avec le processus d’élaboration des rapports du CESER sous le régime de l’auto-saisine. Ces études d’auto-saisine, menées sur le temps long (entre dix et vingt mois selon les cas), constituent l’essentiel de l’activité autonome des assemblées socioprofessionnelles, et permettent aux représentants

compétence d’auto-saisine des CESER est une variable significative dans l’insertion des CESER dans la fabrique des politiques publiques régionales. En effet, la stricte délimitation des fonctions consultatives du CESER implique une forme d’activisme pour « combattre l’intermittence d’un rôle juridiquement faible »177 et assurer la présence de l’assemblée dans le jeu politique, activisme qui dépend de la marge de manœuvre accordée par la procédure d’auto-saisine. Le nouvel équilibre institutionnel instauré en 1982 reposait sur la suppression de la saisine obligatoire des CES sur l’ensemble des politiques régionales, mais également sur cette nouvelle procédure d’intervention permettant aux assemblées socioprofessionnelles de se saisir des questions d’intérêt régional de leur propre initiative. Si, dans la décennie qui a suivi, le débat au sein des CES semble avoir été essentiellement focalisé sur la perte de la compétence de saisine automatique178, associée (à tort ou à raison) à une perte d’influence, l’auto-saisine « a constitué, de fait comme de droit […] une compensation à la limitation des compétences du CESR »179. En abandonnant un système consultatif où les ressources de l’assemblées étaient essentiellement dépensées pour l’examen de l’ensemble des questions traitées par le Conseil régional (ce qui, considérant l’augmentation spectaculaire de champ de compétences de la Région, n’aurait pas été sans poser de certains problèmes de fonctionnement pour les CESR), la réforme de 1982 a été présentés lors des débats parlementaires comme une façon d’optimiser la consultation. En tout état de cause, la procédure d’auto-saisine a aménagé un espace pour le développement d’un point de vue autonome, et constitue l’outil privilégié de formulation de propositions et d’attentes spécifiques des représentants d’intérêts organisés dans l’arène politique.

Dans leur étude consacrée à la période 1974-1989 du CESR d’Aquitaine, Palard et Moquay émettent l’hypothèse d’une pratique de l’auto-saisine potentiellement conflictuelle entre assemblées socioprofessionnelle et politique. La compétence, relativement récente à l’époque de leur enquête, leur semble inviter à une

177 G. GOURGUES, « Les Conseils Economiques et Sociaux Régionaux et la démocratie participative », art cit., p 22

178 Voir le rapport GAUZELIN, (Pierre GAUZELIN, Le Fonctionnement des comités économiques et sociaux régionaux, Paris, Direction des Journaux officiels, 1985.)

1974-« redéfinition de la seconde assemblée, contre l’assemblée régionale des élus »180 , puisque l’auto-saisine permet aux représentants d’intérêts de « combler des lacunes d’information – et, ce faisant, d’insister sur ce qui leur paraît constituer aussi des lacunes des politiques régionales ». Bien que constatant que le CESR Aquitaine exerce l’auto-saisine avec circonspection, dans un « usage encore mal défini »181 de cette nouvelle procédure à la date de leur enquête, l’analyse de Palard et Moquay semble poser l’auto-saisine en contre pouvoir dans la relation entre CESR et Conseil régional. Ainsi l’exercice d’élaboration des rapports d’auto-saisine est-il décrit comme un « délicat exercice d’équilibre » dans lequel les CESR développent une réflexion autonome uniquement dans la mesure où elle n’empiète pas sur le pré-carré des élus politiques. C’est également l’interprétation qui domine l’analyse de Brun sur la compétence d’auto-saisine : ce dernier relève qu’en Ile de France, « les affinités majoritaires entre les deux assemblées amènent à éviter d’aborder les sujets délicats »182, soulignant par là la potentielle conflictualité intrinsèque à la procédure. Vingt-cinq ans plus tard, l’évolution des termes du débat comme la pratique actuelle - telle qu’observée en Aquitaine -, dressent un portrait assez différent. L’institution a pu se trouver divisée sur la procédure d’auto-saisine183, sur sa place dans les activités de l’assemblée socioprofessionnelle et sur la définition des contours de cet exercice inédit, mais le débat entre conseillers semble aujourd’hui moins résider dans la potentielle conflictualité des rapports vis-à-vis du décideur politique que dans les stratégies de publicisation des rapports d’auto-saisine.

Cet état de fait tient à deux éléments principaux, le premier étant lié à la façon dont l’assemblée choisit les sujets de ses auto-saisines. Le fonctionnement des instances de direction de l’institution et les rapports de force qui caractérisent l’assemblée tendent à privilégier des sujets relativement consensuels. En

180 Ibid., p 149

181 Ibid., p 150-151

182 R. BRUN, « Les comités économiques et sociaux régionaux face à la décentralisation », art cit., p 18

183 Certains conseillers ont ainsi pu, par le passé, rejeter la procédure d’auto-saisine comme une distraction de la mission première de l’assemblée à travers l’activité d’émission des avis (comme en fait état l’étude de PALARD et MOQUAY , J. PALARD et P. MOQUAY, La société régionale en dialogue : le Conseil économique et social d’Aquitaine. 1974-1989 : l’innovation apprivoisée, op. cit.). L’ensemble des conseillers actuels interrogés en Aquitaine font cependant état

Aquitaine, le règlement intérieur veut que chaque commission choisisse parmi différentes propositions de ses membres le sujet de leur auto-saisine, puis soumette sa proposition au bureau de l’assemblée. Le choix d’un sujet d’auto-saisine tient en partie à l’actualité d’une problématique, à la demande d’un conseiller ou d’un groupe sur un thème de particulière importance pour leur organisation, ou encore plus pragmatiquement aux compétences et à la disponibilité d’un rapporteur potentiel sur un sujet précis184. Plus fondamentalement, et en amont de ces critères, les sujets des auto-saisines doivent également obtenir l’approbation du bureau de l’assemblée. Cette instance de direction des CESER, composée paritairement de l’ensemble des grands groupes représentés au sein de l’assemblée, fonctionne sur la base de l’unanimité : cela implique un certain nombre de contraintes processuelles dans la validation du sujet traité en auto-saisine, et rend relativement improbable la menée de travaux sur des sujets polémiques ou susceptibles de critiquer ouvertement des politiques régionales. Ainsi, certains conseillers ont pu regretter en entretien que tel ou tel sujet n’ait pu être traité par la commission où ils siègent : à propos du développement du nucléaire, l’un d’entre eux souligne que « de toute façon ça ne passera jamais en commission» en raison de positions antagonistes entre représentants environnementaux et représentants du collège patronal sur le sujet, quand un autre indique qu’il « y aura de fortes réticences au

bureau » sur ce type de proposition. A propos de l’auto-saisine d’une des

commissions du CESER d’Aquitaine sur l’immigration en Aquitaine, le débat a été vif entre conseillers sur le caractère potentiellement « trop polémique ou trop

politique » de ce travail185.

184 Ainsi le rapport sur l’immigration s’est beaucoup basé sur le travail déjà existant du conseiller représentant une association destinée à valoriser et défendre les populations immigrées, ce qui compte tenu des délais assez court pour cette auto-saisine (qui devait être terminée avant le renouvellement de la mandature en 2013) a certainement beaucoup joué. La personnalité et l’engagement de la rapporteure de la commission 4 sur les questions d’égalité de genre a été une des variables déterminantes dans le choix de l’auto-saisine sur le travail des femmes en Aquitaine.

185 Lors de la rédaction de la proposition d’auto-saisine destinée au bureau, le rapporteur comme le président ont souligné la nécessité d’évacuer toute référence à des formations politiques, l’un des conseillers rappelant « qu’on a pas à s’immiscer dans le débat en tant que CESER, il faut faire œuvre de réflexion et d’éclairage pédagogique et ne pas être récupéré ». Finalement reformulé autour des aspects historiques de la question, et donc concernant essentiellement l’immigration hispanique en Aquitaine, le projet a été soumis à l’approbation du bureau. Il y a fait l’objet de discussions nourries entre le président de la commission et son rapporteur d’une part, et les autres membres du bureau d’autre part. Un certain nombre de réserves et de doutes ont été émis sur la capacité du CESER à traiter de « ce sujet casse-gueule », risquant de faire l’économie des aspects polémiques de la question migratoire comme d’outrepasser les prérogatives de l’assemblée. C’est finalement l’actualité de la question qui est mise avant, ainsi qu’une supposée plus grande neutralité propre aux CESER en comparaison avec la représentation partisane : « les questions se posent et on ne peut pas ne pas

L’usage potentiellement critique de l’auto-saisine vis-à-vis du décideur public régional est également largement limité par la définition du périmètre de cette compétence qui prévaut à l’heure actuelle. En effet, deux interprétations divergentes du champ potentiel des auto-saisines cohabitent au sein des assemblées, et ce depuis la réforme de 1982 : la première consiste à ne choisir que des sujets portant directement sur les compétences régionales, la seconde à choisir au contraire tout thème relevant de la vie économique et sociale de la région au sens large186. Si certains conseillers défendent une position plus strictement légaliste qui veut que les auto-saisines n’aient pour objectif que de prendre position sur les politiques régionales (et donc, en creux, de s’adresser uniquement au décideur public régional), d’autres adoptent une interprétation plus large des textes qui voudrait que le CESER se saisisse de toute problématique affectant les acteurs régionaux indépendamment de la répartition des compétences. Dans ce second cas, l’implication sous-jacente est celle d’une diversification des interlocuteurs potentiels de l’assemblée187. Cette interprétation semble avoir prévalu dans la mandature 2007-2013, où près de 70% des rapports d’auto-saisine ne concernant pas directement les strictes compétences de la Région. Le choix de sujets d’auto-saisine sur des questions transversales et des enjeux de politiques publiques nationales, bien que focalisées sur le territoire aquitain, permet d’éviter la confrontation directe et exclusive avec le décideur public régional. On le voit, les dynamiques internes à l’assemblée comme l’interprétation large du champ des auto-saisines plaident pour une conception de l’auto-saisine consensuelle vis-à-vis du législateur régional, loin d’un éventuel contre-pouvoir de l’assemblée consultative sur le Conseil régional.

L’activité des CESER sous le régime de l’auto-saisine diffère assez sensiblement du mode opératoire sous saisine du Conseil régional, tant en termes de format des documents produits, qu’au niveau de la méthodologie et de la temporalité des délibérations et de l’écriture. Plus particulièrement, l’auto-saisine implique également des interactions entre conseillers du CESER, organes de

direction et d’administration de l’assemblée, élus politiques régionaux et exécutif régional, entièrement différentes de celles nouées lors de la procédure du saisine du CESER par le Président de région. Lors d’une auto-saisine, une des commissions de l’assemblée rédige, par le biais de son rapporteur et avec le soutien du chargé de mission du secrétariat du CESER, un rapport puis un avis synthétique qui fera l’objet de délibérations et du vote en séance plénière. Tels que décrits dans le livret de présentation à l’usage des conseillers aquitains, « les

rapports constituent les travaux les plus lourds du CESER. Ils nécessitent une phase de recherche et d’enquête, de nombreuses réunions, de multiples auditions, ainsi qu’un temps de rédaction, de mise en forme, de relecture, de correction et de validation avant publication. En moyenne, il faut compter 8 à 12 mois et plus pour la réalisation d’un rapport ». Sur cette année de travaux, les interactions entre le

CESER et le Conseil régional, qu’elles concernent les acteurs individuels (conseillers – élus) ou les organisations (services respectifs des deux assemblées, présidences…) sont relativement limités.

Encadré 3 : Réalisation d’un rapport d’auto-saisine

Réalisation d’un rapport d’auto-saisine

En Aquitaine, en début et milieu de mandature, date de renouvellement du président du CESER, chaque commission propose au bureau de l’assemblée des propositions détaillées d’auto-saisine. On l’a vu, le choix des auto-saisines s’effectue au coup par coup sous l’influence de facteurs combinés d’opportunité (logistiques, contextuelles, individuelles) et de négociations entre les différents intérêts représentés au sein d’une même commission : il ne reflète pas une stratégie concertée au sein de l’assemblée, mais « dessine une doctrine socioprofessionnelle impressionniste relevant plus de puzzle que de la fresque »188. Il résulte également de tractations entre les membres d’une commission et le bureau de l’assemblée, dont les membres, avant de se prononcer officiellement sur le cahier des charges soumis par chaque commission, influent sur la délimitation du sujet, la formulation du débat ou le choix du rapporteur. Une conseillère rapporte l’attitude du président lors d’une précédente mandature quand, nouvellement nommée, elle avait été choisie comme rapporteur sur une auto-saisine sans expérience préalable de l’exercice : « [il] était très inquiet au début, il en avait parlé au président [de la

commission] ». Lors de discussions à propos de la présentation au bureau de leur

prochaine auto-saisine, président de commission, rapporteur et chargé de mission soulignent à de nombreuses reprises les réticences exprimées dans les couloirs par certains membres: « il faut qu’on cadre bien le sujet, qu’on indique ce dont on va

parler mais aussi ce qu’on n’abordera pas, parce qu’ils ont déjà indiqué qu’ils préféraient [l’autre proposition] ». Une fois le choix validé par le bureau, la

commission débute le processus de sélection des sources et des personnes à auditionner, et réalise au fil des mois une série de rapports d’auditions avec parties prenantes, experts, et éventuellement services régionaux si le sujet s’y prête. Le rapport, rédigé par le rapporteur et le chargé de mission, est ensuite soumis à une relecture collective par l’ensemble des membres de la commission, puis synthétisé dans un avis qui sera soumis tel quel aux délibérations de séance plénière. Contrairement à la procédure de saisine, ces « avis sur rapports » ne donnent donc pas lieu à intégration des contributions des autres commissions, ni à amendements intégrés avant la délibération. Dans sa version finale, « le rapport possède trois

niveaux de lecture : l’avis (rappelant la problématique et contenant des préconisations) ; l’étude en elle-même et les contributions des conseillers »189

ajoutées en annexe après les débats dans l’hémicycle.

L’insertion des rapports d’auto-saisine dans le policy-making régional est donc formellement matérialisée à la fin de la procédure, par l’émission de l’avis de synthèse du CESER en direction du Conseil régional. C’est néanmoins dans la phase finale de diffusion des rapports d’auto-saisine que se manifeste la capacité des assemblées socioprofessionnelles à s’insérer dans la définition de l’agenda politique régional. Edité entre 500 et 1000 exemplaires selon les cas, un rapport est diffusé par le secrétariat du CESER aux « institutions, professionnels et structures

concernées par le sujet »190. Il fait surtout l’objet d’une série de présentations, dont au moins une à l’Hôtel de Région en présence des élus, voire du Président de Région, et de la presse régionale. En fonction de l’actualité du sujet et de sa résonnance avec les problématiques régionales, les présentations suscitent plus ou

moins d’intérêt. Il est cependant indéniable que les assemblées

socioprofessionnelles jouent, à travers leurs auto-saisines, un rôle diffus dans l’émergence et la formulation de problèmes publics dans l’arène régionale. Difficile à quantifier ou à objectiver, cette fonction de mise à l’agenda peut néanmoins être observée directement en certaines occurrences, où l’insertion du

CESER dans la formulation de politiques publiques régionales apparaît plus clairement.

Il arrive en effet que des sujets proposés à l’auto-saisine, ou en discussion au sein des commissions autour de la personnalité ou de l’expertise d’un conseiller particulier, soient finalement transformées en saisines en bonne et due forme du président du Conseil régional. Palard et Moquay signalaient déjà en 1989 que l’exécutif régional est informé du lancement des auto-saisines de façon officieuse191, le plus souvent par le biais des contacts entre le directeur général du CESER et le cabinet du Président de région. Dans le cas de ces rapports, la pertinence de l’assemblée se manifeste non seulement sur la formulation d’un problème public, mais également sur la phase de mise en œuvre des politiques régionales : ainsi, à l’issue d’un de ces rapports sur les langues régionales, le rapporteur du CESER signale que « c’est après que ça a eu des conséquences,

parce que c’était une saisine directe, ça a permis d’élaborer une politique linguistique ! ». Lui-même représentant d’une structure de défense des langues

minoritaires, il a constaté, après remise du rapport, le suivi de ses préconisations. Ce rapporteur a également été investi à titre professionnel dans un certain nombre de dispositifs d’action publique régionale (création d’une mission interne à la Région, mise en place d’un comité scientifique et réalisation d’études sociolinguistiques…) et dans une convention d’objectif avec sa propre structure. De la même façon, le rapport issu d’une saisine sur les questions d’égalité homme-femme en Aquitaine ont beaucoup tenu à la personnalité et à l’engagement du rapporteur de la commission en charge du dossier, et de sa proximité politique avec une des Vice-présidentes du Conseil régional. La grande publicisation de ce rapport en comparaison avec certains autres travaux du CESER a constitué un moyen pour le Conseil régional de signaler son investissement sur les questions de genre.

On constate ainsi que l’exécutif régional est disposé à faire usage des rapports du CESER dans la mesure où ils s’insèrent dans ses priorités et orientations politiques : l’insertion de l’assemblée dans la fabrique des politiques

1974-publiques tient parfois moins de suivi des préconisations que de la sélection du personnel politique et des structures partenaires de l’action régionale.

2.1.3. L’attribution des moyens de