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Olivier Gohin a souligné que sous le régime de définition de la composition des CES par décret, « le règlement présent[ait] le net avantage par rapport à la loi qu’il facilit[ait] grandement, par plus de confidentialité et de souplesse dans son élaboration, le succès des négociations et des arbitrages que suppose nécessairement la composition de chaque comité ». On peut appliquer le même raisonnement à la procédure remaniée depuis 2002 : l’arrêté préfectoral est également un moyen de traduire avec beaucoup de souplesse le principe général de composition des CESER tel qu’établi par la loi, d’autant plus qu’il permet de négocier les arbitrages dans la répartition des sièges directement au niveau régional. C’est d’ailleurs bien ce que reflète la formulation de la circulaire relative au renouvellement des conseils économiques et sociaux régionaux de 2001 adressée par le ministère de l’Intérieur aux préfets de Région : ayant pour objet de présenter le nouveau dispositif et d’en détailler les conditions d’applications, le texte fait mention à quatre reprises de « marges de manœuvre » laissées au préfet dans l’élaboration de la composition. Il explicite même la volonté de maintenir une définition a minima des organismes éligibles à siéger : « La définition des

organismes pouvant siéger au sein des différents collèges, suffisamment explicite dans la rédaction antérieure du CGCT [ou Code Général des collectivités territoriales], a été conservée dans la nouvelle rédaction des articles R.4134-1 et R.4134-3. En effet, chercher à la préciser davantage risquait de limiter votre marge de manœuvre et de favoriser, le cas échéant, des contentieux »269. Une telle souplesse de l’encadrement de la procédure de nomination invite à l’examen des

interactions nouées entre les groupes d’intérêts et le préfet de région à l’occasion des renouvellements de l’assemblée : la reconstitution des renouvellements de mandature révèle de multiples tractations des groupes cherchant à négocier leur entrée ou à augmenter le poids de leur représentation dans l’assemblée auprès du préfet. Il en résulte que dans la pratique, le processus de nomination s’éloigne assez sensiblement des différentes étapes détaillées dans le schéma 1 : pour prendre en compte le résultat des marchandages, intégrer des nominations politiques, ou tout simplement parce que dans certains cas le choix des personnes précède la sélection de l’organisme qu’elles représentent, la séquence chronologique décrite entre les deux arrêtés de composition est rarement respectée. La phase de désignation en interne des conseillers, qui distingue la définition des groupes inclus dans la composition de la nomination des individus occupant les sièges, n’est finalement que formellement isolée du reste du processus270.

Ainsi l’élaboration concrète de la composition d’un CESER est-elle un processus complexe dont le préfet de région est devenu la figure centrale, réalisant des arbitrages successifs à l’occasion des renouvellements de l’assemblée. Chargé de la mise en œuvre d’une définition juridique qui brille par son imprécision et sa flexibilité, le représentant de l’Etat à l’échelon régional dispose d’une marge de manœuvre importante dans la sélection des interlocuteurs légitimes de la Région et dans l’élaboration d’une composition devant « constituer le reflet aussi fidèle que

possible de la vie économique, sociale et culturelle de la région »271. Finalement, si le principe général régissant la composition des CES a peu varié dans la loi, sa traduction concrète a fait l’objet de tractations importantes à chaque renouvellement de l’assemblée, en vertu de conceptions fluctuantes de ce qui constitue un groupe « représentatif » au niveau régional. La composition des CESER est donc le fruit d’un processus de négociation permanente, faisant intervenir autour du préfet une grande diversité d’acteurs concurrents : les groupes d’intérêts en compétition pour l’obtention de sièges principalement, mais aussi dans une capacité consultative, les présidents et directeurs des CES eux-mêmes, ou encore l’Etat central par le biais du ministère de tutelle ou du cabinet de l’Elysée,

qui diffusent leurs injonctions aux préfets, voire négocient directement avec les fédérations nationales des organismes régionaux représentés dans les CESER.

Lors de l’élargissement aux représentants environnementaux de 2011 par exemple, les préfets de Région se sont retrouvés en position d’arbitrage non seulement entre groupes concurrents ayant soumis leur candidature pour les nouveaux sièges vacants, mais également entre les groupes potentiellement entrants et les groupes déjà présents. Les entretiens réalisés dans le cadre de cette thèse dans quatre régions françaises distinctes ont permis de reconstituer des dynamiques relativement similaires d’une région à l’autre. La première difficulté de mise en œuvre de la réforme résidait dans la forte méfiance, voire l’opposition de certains membres des CESER à l’entrée de nouveaux organismes trop proches de l’écologie politique. Consultés par les préfets272, ils ont défendu une interprétation des nominations « environnementales » plus favorable à des groupes d’usagers de la nature, ou à des personnalités perçues comme neutres au niveau partisan (mettant en avant la défense de l’équilibre gauche-droite préétabli, un conseiller interrogé a ainsi estimé « avoir évité le pire et limité les logiques de

chapelles »). Ceci a abouti à la nomination de conseillers que l’un des président de

CESER a divisé entre « vrais écologistes » et « vrais non-écologistes – chasseurs,

entrepreneurs… », la majorité des préfets ayant choisi une voie médiane en la

matière. D’autre part, la majorité des assemblées avaient intégré, avant la réforme de 2011, des groupes de promotion ou protection de l’environnement. L’ajout d’organisations concurrentes sur les questions environnementales, mais bien davantage celui de groupes ou d’individus nommés au titre de l’environnement mais dont la légitimité était plus critiquable, a également pu nécessiter une négociation en amont entre présidents de l’assemblée, préfets et « anciennes » organisations. Un des présidents interrogés précise ainsi qu’ « il y eu arbitrage, ça

été fait avec le préfet […] mais j'avais l'accord des environnementalistes qui étaient déjà présents pour ne pas faire un casus belli là dessus. On a sauvé les meubles, et d’ailleurs le préfet aussi avait des instructions là-dessus. ».

272 La circulaire de 2001 diffusée aux préfets leur donnant toute latitude pour « solliciter d’autres avis [que celui du président du Conseil régional], et notamment celui du président du CESR « sortant » et des partenaires sociaux et

On le voit, même s’ils n’interviennent pas officiellement dans la procédure de nomination qui reste de la seule responsabilité du préfet, Présidents et directeurs des CESER sont néanmoins consultés au moment des arbitrages de composition. La circulaire de 2001 insiste sur la sollicitation du président du CESER sortant au moment du renouvellement : pour simple avis ou en tant que médiateurs dans les consultations entre le préfet et groupes représentés dans l’assemblée, les présidents de l’assemblée sont des acteurs officieux mais influents dans la sélection des nouveaux interlocuteurs légitimes du décideur public régional. Ils peuvent appuyer des actions de lobbying d’un groupe pour conserver son siège, comme en fait été l’un des conseillers Aquitains interrogé : « il a fallu faire un gros lobby y compris très personnel, pour justifier la

poursuite et le maintien [de mon organisme], avec l'ancien président du CESER, en provoquant un rendez-vous avec le SGAR, pour expliquer le rôle [de mon organisme], et en l'occurrence le rôle du rapporteur que j'étais déjà, et donc que c'était pas inintéressant une poursuite [de ma nomination]. »

Les directeurs peuvent également être sollicités par les services préfectoraux, parfois peu au fait de l’impact d’un changement de composition même mineur sur l’organisation interne des travaux de l’assemblée. Interrogé à ce propos, l’un des directeurs décrit des interactions régulières avec les services du préfet autour des nominations tout au long de la mandature: « il ne se passe pas un

mois sans qu'on se parle par mail ou par téléphone », précise-t-il, car « il y a forcément [en cours de mandature] tel ou tel organisme qui nous fait savoir que son représentant sera remplacé à telle date par un autre, donc mon rôle c'est aussi de m'assurer derrière que le préfet, en tout cas ses services et donc le SGAR, ont bien enregistré cette information et l'ont traduite par un arrêté modificatif de la composition de l'assemblée. Dans le cas de représentations partagées, je m'adresse au SGAR ou au préfet : « essayez de ne pas prendre votre arrêté deux jours avant une séance plénière pour empêcher un conseiller qui avait prévu de venir de siéger, alors que son remplaçant n'a pas les moyens de se libérer parce qu'il apprend le jour même qu'il est membre du CESER ! ». Au-delà de la gestion

quotidienne des remplacements de conseillers, les directeurs de l’assemblée peuvent surtout peser sur la composition au moment des renouvellements. Lors de

rédaction de l’arrêté de composition, pour rappeler les dynamiques internes et les équilibres officieux pré-établis, mais également pour livrer son interprétation des textes : « bien sûr l'arbitrage est celui d'un préfet. Moi je me suis contenté de fixer

ou de rappeler un certain nombre de principes, que je trouvais cohérent […] Je prends un exemple : le directeur de Veolia environnement s’estime compétent et qualifié dans le domaine du développement durable, et il y a des régions où ce type de profil a été retenu. Moi ma position a été de rappeler auprès du SGAR adjoint qu'il y a un collège patronal, un collège syndical et un collège associatif… si un collège s'amuse à avoir des représentants dans un autre collège, pour moi ça met en péril l'équilibre. ». Ainsi les consultations menées par le préfet et ses services

avant la rédaction de l’arrêté de composition peuvent-elles parfois aller jusqu’à un travail de co-construction des critères de légitimité à l’entrée dans le dispositif (en l’occurrence la délimitation de ce qui peut constituer une compétence ou une qualification sur les questions environnementales). Aux groupes d’intérêts et aux instances dirigeantes des CESER, il faut également ajouter comme interlocuteurs de poids le Président du Conseil régional et une partie du personnel politique de la région : comme l’a souligné l’un de nos interlocuteurs, « la nomination peut quand

même être un processus totalement discrétionnaire, parce qu'un préfet est aussi sous le jeu d'influences d’élus, un président du conseil régional et un maire de [métropole régionale] par exemple, qui peuvent avoir leur souhait de personnes à faire entrer… Bon, dans les personnalités qualifiées, c’est classiquement le cas ».

Enfin, et bien que la procédure de nomination ne relève plus de l’autorité règlementaire, les arbitrages du préfet de région restent également contraints par les orientations politiques de l’état central. Depuis 2001, deux circulaires ministérielles et interministérielles ont été rédigées, afin de signifier aux préfets un certain nombre d’objectifs généraux à respecter dans les arrêtés de composition, et détaillant les critères de sélection destinés à améliorer la représentativité d’une l’assemblée perçue comme vieillissante et conservatrice. Ainsi la circulaire interministérielle du 27 juin 2013 liste-t-elle une série d’objectifs à atteindre lors du renouvellement d’octobre 2013, « visant avant tout à donner à ces assemblées

une physionomie plus proche des réalités régionales d’aujourd’hui » 273. Les critères de sélection mis en avant s’appliquent autant au choix des organismes ayant vocation à siéger, qu’aux individus occupant ces sièges – dont la désignation relève pourtant de chaque organisme mandataire. Le texte souligne la volonté interministérielle de « favoriser, dans le cadre des possibilités offertes par le cadre

règlementaire actuel, la représentation des acteurs régionaux de l’économie sociale et solidaire », ainsi que de promouvoir et renforcer la présence des

« organisations de jeunesse »274. Plus important, la circulaire met en avant un objectif chiffré de féminisation de l’assemblée (à hauteur de 40% de ses membres), et de rajeunissement de ses conseillers275 (fixé à un minimum de 50% de moins de trente ans dans le quatrième collège), ainsi que promotion « de la diversité des

origines et des parcours, notamment pour les personnalités qualifiées ». La mise

en œuvre de ces directives, et tout particulièrement sur les critères de genre et d’âge s’appliquant aux individus, a été mise en œuvre avec plus ou moins de succès par les préfets de région : puisque dans les trois premiers collège, la désignation des conseillers individuels relève des prérogatives de chaque groupe d’intérêt représenté, la majorité des préfets ont utilisé la catégorie des personnalités qualifiées comme variable d’ajustement pour atteindre les objectifs fixés lorsque les organismes ne se sont pas conformés à leurs directives. Certains ont néanmoins affiché une position plus ferme, signalant à l’ensemble des

organismes avant communication des désignations individuelles, qu’ils

refuseraient de confirmer les nominations ne respectant pas les objectifs de féminisation tout particulièrement dans le second arrêté de composition. Les injonctions ministérielles limitant l’autonomie du préfet de région dans la détermination de la composition de chaque CESER peuvent également être le

273 Circulaire interministérielle (Ministre de l’Intérieur, Ministre de la Réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, Ministre du travail, de l’emploi de la formation professionnelle et du dialogue social) n° INTK13 001 97 C du 27 juin 2013 relative aux modalités de renouvellement des Conseils économiques, sociaux, et environnementaux de 2013. P 1

274 Ibid. p1

275 L’objectif de parité dans les CESER ayant d’ailleurs fait l’objet d’une négociation en amont avec l’association CESER de France, comme l’indique le passage suivant : « Le prochain renouvellement des CESER doit permettre de nommer au moins 40% de femmes. Cet objectif est partagé avec l’assemblée des CESER de France qui s’est engagée à ce que chaque président de CESER relaie dès à présent cette volonté. Le Gouvernement veillera ensuite à l’inscription

résultat d’un travail de tractation et/ou de lobbying de certains groupes d’intérêts directement auprès de l’état central : les grandes confédérations syndicales ou patronales ont parfois négocié directement auprès du cabinet du ministère de l’intérieur pour renforcer le nombre de sièges qui sont attribuées à leurs organisations régionales. Ainsi, l’un de nos interlocuteurs signale que l’Union Professionnelle des Artisans (UPA) par exemple, a organisé une vaste campagne nationale « de sensibilisation et de mobilisation pour accroître la représentation

de l’UPA dans ces Assemblées » en vue du renouvellement de 2001, auprès des

préfets de région mais également en direction du cabinet du ministre de l’intérieur. La circulaire ministérielle du Ministère de l’Intérieur du 29 septembre 2000 fait d’ailleurs état des démarches entreprises auprès du directeur du cabinet par l’UPA (parmi d’autres fédérations nationales) pour obtenir un accroissement de leurs sièges dans les CESER. Le texte insiste sur l’insuffisante représentation du secteur de l’artisanat au vu de sa contribution à l’activité économique, et nomme l’UPA comme principale organisation susceptible de combler ce manque276.

Le schéma 2 ci-dessous peut donc être présenté comme une relecture du schéma 1 : les étapes théoriques et l’agencement chronologique des différents acteurs formellement responsables de déterminer la composition de l’assemblée y sont ainsi remplacés par des négociations multi-niveaux autour de la figure centrale du préfet de région. A l’analyse séquentielle se substitue alors la description de jeux mutuels entre décideurs publics et groupes d’intérêts pour délimiter ce qui constitue un intérêt légitime ou illégitime, en d’autres termes pour déterminer quels groupes peuvent obtenir le statut d’interlocuteur légitime de la puissance publique régionale.

97 C du 27 juin 2013 relative aux modalités de renouvellement des Conseils économiques, sociaux, et environnementaux de 2013 p2.

Schéma 2 : Les négociations multi-niveaux de la composition des CESER

1.2. Une assemblée représentative

La composition des CESER est donc essentiellement le fruit de marchandages pour l’obtention d’un statut et d’une forme de reconnaissance en tant qu’interlocuteur légitime de la puissance publique régionale : elle traduit l’aptitude d’un groupe à s’imposer dans le jeu collectif pour l’obtention d’un dividende symbolique et matériel. La répartition des sièges entre les différents groupes obéit à une appréciation de leur représentativité basée sur des critères hétérogènes, qui visent principalement à satisfaire l’ensemble des parties prenantes et à garantir leur participation. En d’autres termes, « dès lors que le pouvoir politique a décidé d’offrir aux organisations un lieu d’expression, c’est la volonté de ces dernières d’y être présentes ainsi que leur capacité de conviction qui leur en ouvre l’accès ; la volonté de représentation fonde la représentation elle-même »277. Il n’en demeure pas moins que les individus accédant à la position de conseiller au

CESER obtiennent par là un mandat représentatif dans l’institution régionale, qui leur confère d’ailleurs un statut équivalent à celui des élus du conseil régional en termes d’indemnisation ou de droit à la formation. Cependant, avant même de pouvoir examiner les pratiques et les rôles développés par ces représentants dans l’assemblée socioprofessionnelle régionale, et d’approcher par ce biais les relations entre les représentants et leurs « publics »278, il est fondamental de dresser un portrait des individus sélectionnés pour devenir conseillers au CESER. L’analyse longitudinale des compositions des CES en Aquitaine, et la sociographie des membres des mandatures successives, met en évidence une certaine permanence dans la sélection des groupes et des individus, et ce malgré les -nombreuses- réformes institutionnelles et les évolutions dans la structuration et l’institutionnalisation des groupes d’intérêts à l’échelle régionale. La procédure de nomination génère un certain nombre de distorsions qui posent certaines limites à la présomption de représentativité conférée aux conseillers de l’assemblée.

1.2.1. Evolutions des