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Aquitaine : histoire d’une symbiose

1.3.3. Dispositifs et pratiques particulières particulières

L’établissement de ces relations de confiance, qui ont tenu à l’organisation structurelle de la représentation agricole en Aquitaine bien plus qu’à des liens d’amitié conjoncturels entre individus, s’est traduit de façon concrète par des pratiques relativement atypiques dans les années 80 et 90. L’apaisement apporté par la clarification du cadre règlementaire et l’évolution des conceptions de la représentation socio-professionnelle a généralisé aux autres régions ce qui était apparu dès le tournant décentralisateur en Aquitaine. Cela a joué sur les trois principaux vecteurs par lesquels le CESR peut maximiser son influence et entrer dans le jeu régional de fabrication des politiques, c’est-à-dire le bon vouloir du Président de région dans le domaine de la saisine (obligatoire ou non), la mise à disposition des moyens de fonctionnement et les échanges avec les services de la Région dans la transmission des documents pour avis. Cette tradition de coopération s’est également concrétisée dans la généralisation de l’expérience du groupe inter-assemblée agricole, étendant aux autres politiques publiques régionales la réunion conjointe des élus de la Région et des conseillers du CESER dans des GIA propres à l’Aquitaine.

On peut ainsi estimer que la réduction du champ de la saisine obligatoire introduit par la réforme de 1982, qui avait tant focalisé les critiques dans la majorité des CES, a été vécue de façon relativement indolore en Aquitaine. La tradition de coopération particulière entre Conseil Régional et CES a en effet

153 « Le cabinet (du CES) c’était essentiellement une structure plus administrative que politique, mais comme j’étais obligé, en l’absence du Président, de négocier avec notamment le Conseil régional, soit avec le Président (de la région) en l’absence du Président du CESER, ou le DGS pour les raisons administratives, ou le directeur de cabinet. Donc si vous voulez j’étais leur interlocuteur pendant vingt-cinq ans quel que soit le Président du CESER ». Jean-Louis Breteau,

consacré un usage aquitain de « saisine élargie » dès le début du processus de décentralisation154 : le président du Conseil régional a ainsi saisi le CES de façon régulière sur des sujets d’intérêt régional, au delà de ce que prévoyait la compétence obligatoire. Sans y être légalement contraint, l’exécutif régional a également pris l’habitude dès la mandature de 1983 de solliciter l’avis du CESR sur son projet de budget primitif et sur son compte administratif, en plus des orientations budgétaires sous le coup de la saisine obligatoire. Enfin, l’interprétation libérale des textes régissant la compétence d’auto-saisine a permis au CESR Aquitaine de diriger son attention sur les rapports et études plutôt que sur la rédaction des seuls avis. Alors que Brun estime en 1989 que dans l’ensemble des CESR la consultation facultative est restée très ponctuelle155, la saisine élargie et les auto-saisines en Aquitaine ont représenté près de 40% des travaux de l’assemblée entre 1983 et 1988156. L’attribution des moyens de fonctionnement et la mise à disposition de personnel de la Région pour le secrétariat permanent du CES semble également s’être passé dans des conditions optimales en comparaison d’autres régions : dans leur enquête auprès des conseillers de 1989, Palard et Moquay font état d’une large majorité de conseillers satisfaits des moyens accordés au CES157. L’intégration des services du CESR dans les locaux de l’Hôtel de Région, loin d’être la norme partout, a très certainement grandement amélioré les conditions de fonctionnement de l’assemblée, dans la mise a disposition de locaux et salles de réunion, ou encore dans la communication entre services du Conseil régional et du CESR.

Célébrés comme la consécration de l’entente régnant entre l’administration de la Région et le Conseil Economique et Social, les Groupes inter-assemblées (GIA) sont un dispositif unique dans le paysage institutionnel des CES. La quasi-totalité des interlocuteurs (en Aquitaine et ailleurs) ont rappelé leur existence à un

154 J. PALARD et P. MOQUAY, La société régionale en dialogue : le Conseil économique et social d’Aquitaine. 1974-1989 : l’innovation apprivoisée, op. cit., p 139-140

155 R. BRUN, « Les comités économiques et sociaux régionaux face à la décentralisation », art cit., sur la base du recensement publié dans le rapport Gauzelin de 1985. P. Gauzelin, Le Fonctionnement des comités économiques et sociaux régionaux, op. cit.

moment ou un autre des entretiens, pour valoriser l’intégration du comité dans le jeu régional comme pour critiquer leurs limites : quelle que soit la réelle capacité d’influence des représentants socioprofessionnels dans les GIA, force est de constater la novation du dispositif qui formalise la coopération entre représentation politique et représentation d’intérêts. Les GIA sont encore une fois l’occasion de constater l’influence du milieu agricole dans l’établissement de bons rapports entre Conseil régional et CES : ils sont en effet issus de la généralisation d’un groupe de travail commun aux deux assemblées « agriculture-produits de la mer » créé en 1979, devenu « groupe mixte agricole inter-assemblées » aux premiers jours de la décentralisation. La formation de GIA sur l’ensemble des compétences régionales a abouti à la création de huit groupes, encore actifs aujourd’hui158, dont l’unique fonction est d’étudier pour avis préalable les dossiers soumis à la décision du bureau du Conseil régional. Dans les faits, il s’agit donc de présentations effectuées par les fonctionnaires du Conseil régional sur la répartition des crédits, les projets d’action publique et l’attribution de subventions, en amont de la prise de décision. Les GIA rendent un avis favorable ou défavorable sur chaque dossier, avis que le Conseil régional est d’ailleurs libre de ne pas suivre. Le caractère somme toute très limité du pouvoir des socioprofessionnels dans les GIA ne doit cependant pas dissimuler la source de pouvoir inédite qu’ils y trouvent sur la phase de mise en œuvre des politiques régionales. Il s’agit de dispositifs qui en pratique, tiennent davantage de l’instance d’information que de concertation159. Ainsi la présence au mieux intermittente des élus régionaux aux réunions des GIA a relativement peu d’importance, dans la mesure où elle n’empêche pas les conseillers du CESER de recueillir l’information nécessaire et de défendre des dossiers particuliers à la demande de leur organisme mandataire.

158 Aujourd’hui les conseillers se répartissent au sein des GIA « Développement économique, emploi, enseignement supérieur, recherche, TIC », « Formation professionnelle et apprentissage », « Culture, éducation, jeunesse, solidarité, sports », « Equipements, transports, construction », « Agriculture, agro-alimentaire, forêt, mer et montagne », « Aménagement du territoire, développement territorial et santé », « Europe, interrégional, international », et « Environnement et développement durable ».

1974-2. La négociation du bicaméralisme