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guerre : entre coopération et rivalité

1.1.3. La loi du 5 juillet 1972, divorce des représentations :

« notables » élus contre « forces

vives »

La loi du 5 juillet 1972, après l'échec d'avril 1969, s'inscrit dans une même logique fonctionnelle et technocratique, bien que la stratégie du gouvernement Pompidou soit moins ambitieuse que celle de rénovation sociale et territoriale menée précédemment. Face à l'opposition importante des notables88, la réforme territoriale de 1972 n'a plus pour ambition de moderniser la France ou de modifier les équilibres instaurés avec les collectivités territoriales. Le texte de 1972 conçoit une région qui ne menace pas les prérogatives des départements, lui conférant une fonction d'union des entités départementales à des fins d'investissements publics spécialisés89. L’Etablissement Public Régional confère à l'échelon régional une existence juridique qui lui faisait jusqu'à présent défaut, mais réserve toujours le statut de collectivité territoriale de plein exercice aux départements et aux communes. La loi du 5 juillet conserve néanmoins des réformes de régionalisation précédentes une association des intérêts organisés à l'action publique régionale, mais cette fois-ci dans une assemblée distincte de la représentation politique. Les 25 EPR comptent à présent deux assemblées, le Conseil Régional (à l'époque constitué de parlementaires, conseillers généraux et maires) et le Comité Économique et Social (CES), exerçant une fonction consultative auprès du préfet de région. Le texte prévoit que le CES joue un rôle consultatif de force autonome de proposition90, et soit saisi pour avis préalablement à toute délibération du

88 Pierre GREMION, Le pouvoir périphérique : bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Éditions du Seuil, 1976, (477 p.).

89 Jacques PALARD ou encore Pierre SADRAN ont montré comment en dépit des limites du texte, une certaine forme d'intégration régionale au-delà du saupoudrage clientéliste entre départements a pu voir le jour dans la décennie d'existence de l'E.P.R. Ils ont souligné en détail les modalités d'aménagement des acteurs régionaux à cette réforme, et l'usage de plus en plus régional des outils crées par la réforme de l'E.P.R. (notamment des dispositifs d'investissement public), in Jacques PALARD, L’identité régionale : l’E.P.R. et l’intégration régionale en Aquitaine, Bordeaux, Institut d’études politiques, Centre d’étude et de recherche sur la vie locale, 1983, 168 p., et P. SADRAN, « Les

Conseil Régional.

Ce projet divise essentiellement l'ancienne assemblée du CoDER en deux groupes distincts – celui des élus politiques et celui des représentants d'intérêts organisés –, tout en conservant les grands principes qui régissaient auparavant leur composition respective. Les CoDER comme les CES, et cela leur sera d'ailleurs vivement reproché avec l'alternance politique de 1981, accordent une prime importante à la représentation du secteur économique et, à l'intérieur de ce dernier, aux organisations patronales91. Dans la configuration de 1972, les CES sont divisés en trois collèges selon une logique légèrement différente de celle qui préside à la répartition actuelle des conseillers du CESER en collèges patronaux, syndicaux et associatifs. Le premier collège, majoritaire car devant représenter au moins 50 % des membres, rassemble les représentants patronaux et les confédérations syndicales telles que reconnues nationalement. Le second collège, représentant au moins 10 % de l'assemblée, réunit les conseillers des activités économiques spécifiques à la Région. Il s'agit dans les faits de séparer la représentation patronale à vocation généraliste (chambres consulaires, union patronale...) de la représentation patronale de branche dans les secteurs économiques dominants de la Région. Finalement, le troisième collège des « activités généralistes », pesant pour au moins 25 % de l'assemblée, rassemble l'ensemble des conseillers ne correspondant ni au premier, ni au deuxième collège, et s’y ajoute 10 % de personnalités qualifiées.

En un sens, la naissance de l'EPR consacre le divorce, entamé par le régionalisme fonctionnel du régime gaulliste, entre les deux formes de représentation régionale, et le matérialise par la division en deux sous ensembles de l'assemblée originelle du CoDER. La construction d'un antagonisme entre la

régionalisation corporatiste et le régionalisme démocratique se renforce, même si

ces conceptions ne sont bien évidemment pas partagées par tous les acteurs en présence dans le jeu institutionnel. La forme de rivalité entre les deux représentations qui en découle apparaît relativement clairement, par exemple dans l'attitude du préfet de Région Daniel Doustin vis-à-vis des deux nouvelles assemblées de l'Aquitaine à l'issue de la réforme de 1972. Lors de son allocution à

l'occasion de l'installation du Conseil Régional et du CES le 4 janvier 1974, il s’attache en effet à les traiter comme deux assemblées d'égale importance92. Palard et Moquay considèrent que « faire appel à des expressions telles que « vos deux assemblées » […] « l'une et l'autre assemblée » est révélateur de la méfiance que le représentant du gouvernement éprouve sans nul doute en son for intérieur à l'égard des élus et de la dérive que représentait à ses yeux un début d'emprise de pouvoir politique, qu'il convient donc de brider »93. Ce dernier va plus loin dans la mise en concurrence des deux représentations en insistant fortement sur la filiation entre les principes et objectifs du défunt CoDER et les missions de l'E.P.R, et souhaite la mise en œuvre en Aquitaine d'une disposition particulière de la loi du 5 juillet 1972 à ses yeux essentielle. Cette dernière prévoyait en effet dans son article 15 la possibilité de réunions communes entre les deux assemblées, et même l'organisation de travaux communs entre commissions du Conseil Régional et du CES compétentes sur un même sujet. Ainsi mise en lumière, la réforme de 1972 est donc le prolongement, en tous cas dans l'esprit du législateur et de son représentant en Aquitaine, de l'objectif de déconcentration administrative comme moyen de faire obstacle aux partisans de la décentralisation. De cet état de fait résulte un accroissement des controverses entre « notables » et « forces vives »94 au sujet des CES, notamment autour des règles régissant leur composition telles que promulguées par le décret du 5 septembre 1973. Élus comme groupes d'intérêts reprochent à l'assemblée le poids insuffisant des salariés et la faible représentativité des organisations syndicales, ainsi que les conditions du choix des personnalités qualifiées. Chevallier fait état en Picardie de « relations entre le conseil régional et le CES […] le plus souvent médiocres, et parfois orageuses »95, les élus du suffrage universel considérant disposer de la légitimité régionale et voyant dans les initiatives du CES pour peser sur les choix budgétaires une ingérence dans leurs prérogatives naissantes. A l'inverse, le CES se considère comme la seule représentation réellement régionale par essence (en opposition aux mandats départementaux et locaux des élus du conseil régional), et entend

91Ibid. p 38 92Ibid. p 20

influencer les orientations générales de l'EPR, au besoin en débordant son strict rôle de conseil sur les dispositifs budgétaires. L'évolution d'un certain nombre de conseils régionaux vers le parti socialiste renforce ces tensions, la configuration des CES de l'époque « privilégi[ant] indéniablement les représentants des catégories socio-économiques dominantes, (…) en faveur des secteurs traditionnels tels que le commerce, l'artisanat, le monde rural, ce qui donne une assemblée très conservatrice »96. Apparaissant comme excessivement favorables à la majorité parlementaire de l'époque, les CES sont peu populaires dans les conseils régionaux où l'opposition progresse lors des scrutins municipaux et cantonaux de 1977 et 1979.

1.2. La décentralisation et la mise sous tutelle :

institutionnalisation progressive d'un