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Le Comité économique et social …et agricole social …et agricole

Aquitaine : histoire d’une symbiose

1.3.2. Le Comité économique et social …et agricole social …et agricole

L’inscription des représentants de la profession agricole dans les instances naissantes de la Région Aquitaine s’est opérée dans un mouvement double : on a

assisté d’une part au développement d’interactions nombreuses et

institutionnalisées entre la représentation professionnelle et le personnel administratif puis politique de la Région, et d’autre part à une certaine prise de contrôle de l’assemblée consultative par sa composante agricole. Cette dernière est finalement la conséquence de la stratégie plus vaste d’adaptation des milieux agricoles aux configurations régionales successives depuis la CoDER de 1964.

Dans la période où « la politique agricole régionale est devenue progressivement la politique des dirigeants agricoles »146, le CESR était pour la profession un des points d’accès aux décideurs publics. Cette configuration atypique a sensiblement affecté les rapports de force entre les différents groupes représentés dans l’assemblée. Les organisations agricoles, structurées autour de la Chambre régionale d’Agriculture, ont en effet gagné une influence significative au CESR, sans relation avec la simple puissance numérique des diverses instances représentatives des agriculteurs aquitains siégeant dans l’assemblée147. La cohésion interne du groupe agricole s’est opposée aux actions dispersées des représentants du patronat et des branches, parmi lesquels persistent d’une part les antagonismes entre chambre des métiers et organisations patronales et, d’autre part, les dissensions entre la représentation des PME-PMI et des grands groupes. Elle n’a pas rencontré non plus de sévère rivalité dans les deux autres collèges. Dans le collège syndical, la CGT de l’époque (seule organisation disposant du nombre de conseillers suffisants pour peser sur les équilibres) s’était maintenue par principe hors de toute négociation et faisait essentiellement usage du CESR comme d’une tribune. La grande diversité des organisations et des tendances représentées dans le

troisième collège a quant à elle structurellement limité les capacités d’organisation collective entre ses conseillers. Forte du rôle de coordination interne accompli par la Chambre régionale d’agriculture148, la dimension agricole du CES a très rapidement été en mesure de peser sur les arbitrages et sur l’agenda du comité. Ce pouvoir s’est d’ailleurs davantage manifesté par l’accaparement des positions de pouvoir au sein de l’assemblée plutôt que dans la quantité ou la virulence des interventions des conseillers agricoles en séance plénière149. La relative parcimonie avec laquelle le milieu agricole a utilisé le CES comme tribune de ses intérêts s’explique finalement par le contrôle que ses représentants ont pu exercer en amont sur l’agenda de l’assemblée et sur ses moyens de fonctionnement, tout particulièrement par le biais de la présidence du CES.

De 1973 à 2004, chaque mandature du CES a compté un président issu des rangs agricoles150 : on ainsi vu Joseph Coureau présider le CESR Aquitaine de 1974 à 1976, Jacques Castaing de 1980 à 1986, puis Marcel Cazalé de 1989 à 2004. Mis bout à bout, les mandats de président du CESR aquitaine occupés par un agricole totalisent vingt-trois des quarante années d’existence de l’institution. Cette surreprésentation de la dimension agricole à la présidence est la preuve la plus tangible de l’influence informelle du groupe agricole. En effet l’élection du président du CESR en Aquitaine s’est souvent jouée lors de tractations entre les différentes composantes en amont du vote, le candidat pressenti ne devant affronter qu’une opposition de pure forme. Ainsi la candidature unique de Jacques

147 J. PALARD et P. MOQUAY, La société régionale en dialogue : le Conseil économique et social d’Aquitaine. 1974-1989 : l’innovation apprivoisée, op. cit., p90-91

148 Dans la composition de 1982, une dizaine d’organisations agricoles différentes ont obtenu des sièges : trois sièges sont attribués à la Chambre régionale d’agriculture, puis un siège unique à la fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles, au centre régional des jeunes agriculteurs, au conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, à la fédération des coopératives agricoles, à l’association interprofessionnelle des forêts et bois d’Aquitaine, aux comités locaux des pêches maritimes (et à la section régionale du comité interprofessionnel de la conchyliculture). Il faut associer à ces organisations diverses certains sièges du troisième collège : la fédération régionale de la mutualité agricole obtient un siège, tout comme la fédération des clubs ruraux. Finalement, sur les quatre-vingt neuf conseillers au total, onze constituaient un « groupe agricole » dont les prises de position au CES étaient coordonnées en amont sous l’égide de la Chambre régionale d’Agriculture, contre vingt pour les organisations patronales (et ceci sans compter les associations de professions libérales également représentées à hauteur de trois sièges dans le collège 1).

149 Ainsi J. PALARD et P. MOQUAY, La société régionale en dialogue : le Conseil économique et social d’Aquitaine. 1974-1989 : l’innovation apprivoisée, op. cit., nuancent-ils la relative discrétion de la dimension agricole dans les séances plénières en rappelant la forte intégration de la représentation professionnelle agricole aux institutions régionales de l’époque : « ayant obtenu des canaux efficaces pour exprimer ses demandes à l’institution régionale, le milieu agricole n’éprouve pas le besoin de se manifester outre-mesure dans l’assemblée économique et sociale – ce qui ne l’empêche pas d’y conserver un influence notable », p 93.

Castaing en 1986 a-t-elle été le produit d’un accord entre représentants patronaux et agricoles. L’élection de Marcel Cazalé, reconduit en 1995 et 1998 avec plus de 90% des voix, témoigne également de l’efficacité du groupe agricole à susciter l’adhésion des autres composantes de l’assemblée151.

L’influence déterminante de la dimension agricole au CES a permis le développement de pratiques de coopération poussées avec la représentation politique et son exécutif, dans le contexte conflictuel né de la décentralisation. Les représentants des agriculteurs au CESR ont en effet joué le rôle d’intermédiaires entre le pouvoir régional jaloux de ses nouvelles prérogatives et les socioprofessionnels redoutant une perte d’influence sur la décision publique régionale. Par leur capacité à cumuler les mandats sur la scène régionale, les leaders agricoles ont réussi à occuper des positions dans les deux arènes, et à lier des liens personnels forts avec les figures montantes de l’exécutif régional, et ceci en dépit des alternances. Moins flagrant mais tout aussi déterminant, le fait que la direction des services administratifs du CESR soit assurée pendant 30 ans par un membre influent du milieu agricole a largement contribué aux rapports apaisés entre CES et Conseil régional.

Le cas de Jacques Castaing est particulièrement utile pour illustrer la façon dont se sont instaurées de bonnes relations entre le CES et les jeunes instances décentralisées de la Région en Aquitaine. Il a simultanément cumulé, entre 1980 et 1986, des responsabilités dans l’arène politique (conseiller régional UDF), dans l’arène socioprofessionnelle (président de la Chambre régionale d’Agriculture et du CESR) et au niveau des organes de cogestion des politiques agricoles (président de la CARA). Avant la publication des textes règlementaires normalisant les relations entre les deux assemblées, la capacité de fonctionnement et d’influence des CES était, plus encore qu’aujourd’hui, dépendante des relations personnelles tissées entre les présidents de l’assemblée et du Conseil régional. On voit bien dans ce cadre que le président du CES était en position d’utiliser les liens établis

1974-dans d’autres contextes afin de faciliter les négociations avec l’exécutif régional. Les liens tissés entre les conseillers agricoles et les élus régionaux ont également été forts étroits dans les années suivant les lois de 1982 : trois des élus « agricoles » au conseil régional en 1986 sont également conseillers au CESR, et les deux groupes ont pris l’habitude de se fréquenter lors des réunions du groupe inter-assemblée agricole. Enfin, soulignons que le directeur des services administratifs du CESR de l’époque est issu des rangs agricoles lui aussi. Jean-Louis Breteau a été recruté à la suite de l’élection de Jacques Castaing, deux ans avant la décentralisation de 1982, pour diriger les premiers services de salariés permanents détachés auprès du Comité économique social. Choisi par le président agricole, il était un des collaborateurs de Jacques Castaing à la Chambre régionale d’Agriculture. La taille modeste de l’assemblée à ses débuts, tout comme le nombre réduit de fonctionnaires mis à disposition lui a d’ailleurs permis de continuer à occuper ses fonctions à la CRAA en même temps qu’il mettait sur pied un secrétariat permanent pour le CES152. Resté en poste au CESR jusqu’en 2004, cet homme de réseaux (il a notamment été jusqu'à très récemment l’organisateur du salon de l’agriculture de Bordeaux) a développé des relations d’étroite proximité avec les dirigeants politiques de la Région. En entretien, ce dernier rappelle qu’il a rencontré Alain Rousset à ses débuts, et ne tarit pas sur leur bonne entente : « En

1981, ça c’est très important, j’accueille sur le terrain Alain Rousset, c'est-à-dire que je lui ai fait faire toute l’Aquitaine (...) Je l’ai fait par amitié pour André Labarrère, mais très vite on a sympathisé et on s’est trouvé des points communs, comme la chasse, la bonne bouffe, la culture du jardin et les chiens… ». Le

caractère central du directeur des services et de son « capital relationnel » a d’autant plus joué que, on l’a vu, les présidents de l’assemblée jusqu’en 2004 ont tous cumulé un grand nombre de mandats dans d’autres arènes, en particulier consulaires. Moins présents qu’aujourd’hui dans les activités quotidiennes du CES, les présidents successifs se sont beaucoup reposés sur leur directeur général dans

152 Interrogé sur ses débuts à l’assemblée, Jean-louis Breteau se remémore la modestie des services de l’assemblée au moment de l’EPR et des premières années de la décentralisation : « On avait donc en tout et pour tout un bureau rue Esprit des Lois et un seul bureau meuble, avec trois petits dossiers (…) un crayon papier, une gomme et la revue dont personne ne voulait, la revue de l’assemblée nationale. Dans un petit cabinet juste à côté on a mis la première

la négociation des termes du bicaméralisme153. La présence de Jean-Louis Breteau auprès d’Alain Rousset comme conseiller spécial plus de dix ans après qu’il ait officiellement pris sa retraite et passé les rennes du CES illustre bien la qualité des liens tissés entre exécutif et services du CES en Aquitaine.

1.3.3. Dispositifs et pratiques