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Le recul de la volonté subjective des parties au profit de l’économie générale du contrat

PREMIÈRE PARTIE : L’IDENTIFICATION OBJECTIVE DES DÉSÉQUILIBRES CONTRACTUELS

Chapitre 1 Le recul de la volonté subjective des parties au profit de l’économie générale du contrat

34. La conception volontariste du contrat traditionnellement rattachée à l’autonomie de la volonté134 s’est attelée à sanctionner le déséquilibre contractuel au travers de la volonté interne subjective des parties, de leur « vouloir intime135 ». Était ainsi déséquilibré le contrat

qui ne répondait pas à la volonté des parties entendue comme « l’adhésion psychologique de chaque contractant à l’acte136 ». La difficulté était alors de faire émerger cette volonté

« véritable137 » sur la base de critères suffisamment prévisibles pour les parties. Certains auteurs ont proposé à cette fin de distinguer volonté et consentement, ce dernier n’étant alors qu’« un objet, conséquence de la volonté138 », la manifestation de son extériorité, de sa « capitulation139 ». Loin de s’exclure, la « volonté subjective140 » et le « consentement objectif141 » désigneraient en réalité des espaces contractuels distincts. Alors que la volonté désigne un espace contractuel antérieur et extérieur à l’entrée du contrat sur le marché, le consentement désigne le processus d’objectivation de la volonté, son passage sur le marché142. Confrontée aux limites de la théorie classique de l’autonomie de la volonté, l’une des

134 E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé : contribution à l’étude critique de l’individualisme juridique, Thèse, Université de Bourgogne, 1912 ; V. Ranouil, L’autonomie de la volonté : naissance et évolution d’un concept, Thèse, Paris, 1980.

135 J. Carbonnier, Droit civil, Tomes 4, Les obligations, PUF coll. Thémis Droit privé, 6e éd. 1969, p. 72.

136 J. Carbonnier, Droit civil, Tomes 4, Les obligations, PUF coll. Thémis Droit privé, 6e éd. 1969, p. 60 : « Qu’est-ce que la volonté ?- C’est la volonté interne, l’adhésion psychologique de chaque contractant à l’acte ; la manifestation extérieure n’a de valeur que pas sa conformité à ce vouloir intime. Telle est la conception traditionnelle en France ». L’auteur relativise cette définition exclusivement psychologique quelques lignes plus loin : « On peut regretter que le C.C., montant en épingle la notion de consentement dans l’a. 1108, ait encouragé les exagérations psychologiques et détourné les civilistes de l’études des devoirs concernant l’usage de la

parole, qui était une méthode plus objective et plus sociale d’aborder le contrat ».

137 L’expression est empruntée à G. Rouhette, Contribution à l’étude critique de la notion de contrat, Thèse, Paris, 1965, L’auteur adopte une définition normativiste du contrat plutôt que volontariste § 222, p. 631.

138 M. –A. Frison-Roche, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats,

RTD civ. 1995, p. 573. V. Dans le même sens, G. Farjat, Pour un droit économique, PUF, coll. Les voies du

droit, 2004, p. 54, n°2.2 : « il existe dans la plupart des contrats deux types de « volonté » : une volonté vraie et un consentement. »

139 Ibid. 140 Ibid. 141 Ibid.

142 M.-A. Frison-Roche, Contrat, concurrence, régulation, RTD civ. 2004. 451 : « Ainsi, la volonté d'entreprendre une activité économique est classique, entière, à la fois individuelle et discrétionnaire. Mais une fois cette volonté cristallisée, l'activité économique consiste à mettre des produits sur un marché et l'objet créé par la volonté, à savoir le consentement à la vente, est intégré dans le produit même. Ainsi, le consentement à vendre circule en même temps que le produit ». V. également, P. Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Points, 2000, pp. 23-23 qui distingue les « décisions » qui seraient l’expression de la volonté, des « dispositions acquises à travers les apprentissages associés à une longue confrontation avec les régularités du champ ». L’auteur précise que « l’économie des pratiques économiques […] trouve son principe non dans des « décisions » de la volonté » […] mais dans des dispositions ».

évolutions significatives de la matière contractuelle a consisté à envisager la volonté des parties sous un angle plus objectif143 en reconstruisant une « volonté juridique144 ». « Sans remettre véritablement en cause le pouvoir de la volonté et sa nécessaire intégrité, on est […] tenté de se référer à un “type” objectif de volonté au lieu de s’attacher à la volonté réelle.145 » Appliquée, à la question du déséquilibre contractuel, cette approche a consisté à identifier le déséquilibre non plus seulement par comparaison entre l’équilibre voulu et l’équilibre produit, mais au travers de situations qui compromettent la rationalité de l’objet économique qu’est le contrat. Cette approche a été présentée comme la traduction d’une vision « utilitariste » du contrat inconciliable avec la théorie volontariste. Elle est en réalité la manifestation d’un renouvellement de cette dernière théorie146. Il s’agit de rechercher la volonté des parties non plus seulement au travers des prévisions contractuelles, mais au travers de critères objectifs plus à même d’atteindre la volonté objective des parties, et de sanctionner les déséquilibres dont elles peuvent être victimes147. Ce mouvement de recul de la volonté subjective au profit d’une appréciation économique et objective du contrat s’illustre à travers l’objectivation des vices du consentement (Section 1), ainsi qu’au travers de celle des ensembles contractuels indivisibles (Section 2).

143 P. Lokiec, Le droit des contrats et la protection des attentes, D. 2007, p. 321.V. aussi, Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, Thèse, LGDJ, 2000, p. 489 : « Parmi les rares éléments de certitude qu’il est possible d’avoir sans l’analyse des volontés, la considération du but économique poursuivi par l’opération se signale par son objectivité. Il n’est pas illogique d’en faire un élément majeur d’interprétation de la convention, pouvant au besoin rejeter une application vicieuse de sa lettre. Sauf à analyser le contrat comme une aventure où les contractants s’enferment dans la souveraineté des formes et advienne que pourra, il n’est certainement pas contraire aux postulats de l’autonomie de la volonté d’adopter cette lecture réaliste et finaliste du contrat. »

144 J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique (Contribution à l’étude de la théorie générale de l’acte juridique), Thèse, LGDJ, 1971, n°123 p. 210 : « Le terme de « volonté véritable » semble bien recouvrir l’idée de volonté individualiste et absolue : rien ne permet rationnellement d’affirmer qu’il n’y a de volonté véritable que dans l’individualisme et que faute d’un tel absolu la volonté n’existe pas sur un plan juridique. […] Toutes les notions humaines dont le Droit tient compte ne correspondent que médiatement aux notions corrélatives sur le plan individuel ».

145 J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique (Contribution à l’étude de la théorie générale de l’acte juridique), Thèse, LGDJ, 1971, n°120, p. 207.

146 P. Hébraud, Rôle respectif de la volonté et des éléments objectifs dans les actes juridiques, Mélanges Maury, t. II, Dalloz, 1960, pp. 474 : « La responsabilité, tout comme l’analyse de la cause ou les autres aspects de l’acte juridique révèlent une association intime entre la volonté, principe d’initiative, et le monde objectif, qui forme la matière de son action ou lui en procure les instruments. La part respective qui revient à chacun de ces deux éléments intéresse à la fois la structure technique du contrat et son rôle social ou économique. »

147 G. François, Consentement et objectivation : L’apport des principes du droit européen du contrat à l’étude du consentement contractuel, Thèse, PUAM, 2007, n°500, p. 443 : « L’étude de l’intégrité du consentement […] a mis en lumière les insuffisances de l’analyse subjective du consentement. Outre le fait qu’elle est en réalité impraticable, tant on sait les difficultés qu’il y aurait à scruter la volonté psychologique des parties au contrat, l’analyse subjective se révèle également dangereuse au point de mettre gravement en péril la sécurité juridique. »

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