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La reconnaissance de l’indivisibilité conventionnelle en dehors des ensembles contractuels qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière

PREMIÈRE PARTIE : L’IDENTIFICATION OBJECTIVE DES DÉSÉQUILIBRES CONTRACTUELS

Section 2 : L’objectivation des ensembles contractuels indivisibles

B. La reconnaissance de l’indivisibilité conventionnelle en dehors des ensembles contractuels qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière

151. La Cour de cassation admet, en dehors des ensembles contractuels qui s’inscrivent

dans une opération incluant une location financière, l’indivisibilité conventionnelle de certaines opérations. C’est le cas en matière d’opérations incluant un crédit affecté (1), et de contrat de vente financé par un contrat de crédit-bail mobilier (2).

1. L’indivisibilité conventionnelle des opérations incluant un crédit affecté

152. Alors que l’interdépendance semblait se limiter aux contrats concomitants ou

successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière, la première Chambre civile, par deux arrêts du 10 septembre 2015494, est venue élargir le champ

d’application de l’indivisibilité. Il s’agissait dans les deux arrêts d’époux qui avaient contracté un prêt dans le but d’acquérir un bien meuble, dans un cas495 un toit photovoltaïque, et dans le second une éolienne496. Le droit de la consommation était jusqu’à ce jour le seul à envisager l’interdépendance du contrat de crédit du contrat de vente ou de prestation qu’il finance. Ces crédits affectés sont résolus ou annulés de plein droit lorsque le contrat en vue duquel ils ont été conclus est lui-même judiciairement résolu ou annulé497. Inversement, si le prêt n’est pas accordé ou si l’emprunteur se rétracte, le contrat principal est résolu de plein droit498. Dans les deux arrêts rendus le 10 septembre 2015, les articles du Code de la consommation ne trouvaient pas à s’appliquer dès lors que les montants empruntés dépassaient le plafond de 21 500 499€ fixé par l’article L. 311-3, 2° et que le contrat destiné à financer l’achat d’un toit photovoltaïque écartait expressément les dispositions protectrices du Code de la consommation. C’est donc l’indivisibilité conventionnelle des contrats de prêt et de vente en droit commun qui est consacrée au travers de ces deux arrêts. Plusieurs critères permettaient ici aux juges de mettre en évidence cette indivisibilité. Ces derniers ont ainsi relevé que

494 Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 (n°14-13658 et n°14-17772), L’ESSENTIEL Droit des contrats, 6 octobre 2015 n° 9, p. 1, obs. M. Latina.

495 Ibid. spéc. n°14-13658. 496 Ibid. spéc. n°14-17772.

497 Article L. 311-32 alinéa 2 C. consom. 498 Article L. 311-36 C. xonsom.

499 Plafond relevé à 75 000€ depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation.

l’offre de crédit était affectée à l’acquisition du matériel, que le vendeur avait lui-même renseigné l’offre de crédit et que les fonds avaient ensuite été déposés entre les mains du vendeur500. La Première Chambre civile avait, dans le second arrêt, relevé que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur. L’« indivisibilité conventionnelle » semble donc subordonnée à la connaissance par le vendeur de l’existence du contrat de prêt et inversement. Ce critère est celui retenu par l’ordonnance en date du 10 février 2016 dont l’article 1186 alinéa 3 subordonne la caducité du contrat à la connaissance par le cocontractant à l’encontre duquel elle est invoquée, de l’opération d’ensemble.

153. Il s’agit, comme précédemment, d’une analyse objective dans la mesure où les juges

ne s’attachent pas à identifier la volonté des parties, mais redonnent aux contrats l’indivisibilité dont ils sont dépourvus formellement. Il est important de noter que ces deux arrêts ne formulent pas de règle générale comme le font les arrêts du 17 mai 2013501, et semblent retenir une solution centrée sur le critère de la connaissance réciproque de l’existence des contrats de prêt et de vente. Il aurait été intéressant de savoir si une clause de divisibilité fait obstacle à l’application d’une telle solution comme cela est le cas en matière de location financière. S’agissant enfin du fondement textuel, la cause était invoquée par l’un des demandeurs au pourvoi,502 mais il semble qu’influencée par l’arrivée de la réforme du droit des contrats, cette dernière ne soit plus mobilisée par les juges pour fonder leurs décisions. L’article 1218 du Code civil est en revanche mobilisé par les juges 503comme il avait déjà pu l’être quelques années plus tôt504. Ce fondement n’est toutefois pas pertinent puisqu’il s’agissait ici de l’indivisibilité de plusieurs contrats et non de plusieurs obligations. Certains auteurs505 ont souligné au travers de cette décision la prégnance de la politique juridique à l’œuvre dans le domaine de l’indivisibilité contractuelle. L’arrêt rendu par la Chambre mixte le 13 avril 2018 confirme la tendance à l’œuvre en étendant l’indivisibilité conventionnelle aux contrats de vente financés par un crédit-bail mobilier.

500 Préc. Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 n°14-13658.

501 Cass. ch. mixte 17 mai 2013 n°11-22768 ; Cass. ch. mixte 17 mai 2013 n°11-22927. 502 Préc. Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 n°14-17772.

503 Préc. Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 n°14-13658.

504 J.-B. Seube, obs. sous Civ. 3ème 6 déc. 2011, RDC 2012, n°2, p. 518.

505 O. Deshayes, Th. Génicon, Y.-M. Laithier op. cit. p. 360 : « C’est dire si le mécanisme de l’interdépendance contractuelle ne peut tenir dans un cadre strictement technique mais dépend en opportunité, pour une part au moins, d’impératifs économiques ou sociaux. »

2. L’indivisibité conventionnelle des contrats de ventes financés par un crédit-bail mobilier

154. Par un arrêt en date du 13 avril 2018506, la Chambre mixte de la Cour de cassation est venue étendre le domaine de l’indivisibilité conventionnelle. Cette dernière était saisie des faits suivants : la société A. avait commandé un camion équipé d’un plateau et d’une grue à la société L financé au moyen d’un contrat de crédit-bail mobilier507 prévoyant le versement de

quatre-vingt-quatre loyers mensuels. Le contrat de vente prévoyait que la charge utile restante du véhicule devait être de huit cent cinquante kilogrammes au minimum. Néanmoins, la société A. découvrait, à la suite de la livraison du camion, que le poids à vide du véhicule était supérieur à celui indiqué sur le certificat d’immatriculation et que la charge disponible était inférieure à celle contractuellement prévue. La société A. avait alors assigné la société L. ainsi que la banque en nullité de la vente et du contrat de crédit-bail, ainsi qu’en restitution des loyers versés. La Cour d’appel avait alors prononcé la résolution de la vente et la caducité du contrat de crédit-bail. Deux pourvois étaient formés, l’un par la société venderesse et la banque qui portait sur la contestation de la résolution judiciaire du contrat de vente pour inexécution ; et l’autre par la banque seulement qui contestait la caducité du contrat de crédit- bail au motif que la jurisprudence du 17 mai 2013 se limitait aux seuls ensembles contractuels incluant une opération de location financière.

155. La Chambre mixte rejette, de manière prévisible, le premier pourvoi, mais également

le second au moyen d’une démonstration particulièrement fournie et motivée. Retraçant les étapes précédemment décrites, la Chambre mixte rappelle que si la jurisprudence du 17 mai 2013 n’est pas transposable au contrat de crédit-bail mobilier, accessoire au contrat de vente, « la caducité qu’elle prévoit, qui n’affecte pas la formation du contrat et peut intervenir à un moment où celui-ci a reçu un commencement d’exécution, et qui diffère de la résolution et de la résiliation en ce qu’elle ne sanctionne pas une inexécution du contrat de crédit-bail mais la disparition de l’un de ses éléments essentiels, à savoir le contrat principal en considération

506 Cass. ch. mixte, 13 avr. 2018, n° 16-21345.

507 Le contrat de crédit-bail mobilier, prévu à l’article L. 313-7 du code monétaire et financier, est un contrat de louage d’un matériel professionnel, qui permet au preneur de jouir immédiatement du bien en contrepartie du paiement d’un loyer, assorti d’une promesse unilatérale de vente (option d’achat) qui permet au locataire d’accéder à la propriété du bien en fin de contrat pour un prix déterminé à l’avance et prenant pour partie en compte les loyers versés. Ce contrat se distingue du contrat de location financière dans la mesure où le locataire dispose ici d’une option d’achat dont il ne dispose pas dans le contrat de location financière.

duquel il a été conclu, constitue la mesure adaptée ». La Chambre mixte poursuit en indiquant « qu’il y a lieu, dès lors, modifiant la jurisprudence, de décider que la résolution du contrat de vente entraîne, par voie de conséquence, la caducité, à la date d’effet de la résolution, du contrat de crédit-bail et que sont inapplicables les clauses prévues en cas de résiliation du contrat ».

156. La note explicative508 rédigée par la Cour de cassation et le Rapport du Conseiller-

rapporteur sont éclairants. La Chambre mixte a, selon les termes de ce dernier, entendu « mixer509 » la jurisprudence du 23 novembre 1990510 avec celle du 17 mai 2013. La solution est directement inspirée des dispositions nouvelles de l’article 1186 du Code civil puisque la chambre mixte prend soin d’indiquer que le contrat de vente constitue un des « éléments essentiels » du contrat de crédit-bail, de sorte que la disparition du premier entraîne nécessairement la caducité du second. L’indivisibilité conventionnelle est ici établie objectivement dans la mesure où ça n’est pas la volonté des parties qui détermine cette indivisibilité mais la nature même de l’ensemble contractuel envisagé. Le contrat de crédit- bail n’ayant aucun sens en l’absence du contrat de vente qu’il finance, la chambre mixte décide que la résolution de la vente conduit inévitablement à la caducité du contrat de crédit- bail. Alors même que l’article 1186 alinéa 3 du Code civil subordonne l’indivisibilité conventionnelle à la connaissance par le cocontractant contre lequel elle est invoquée de l’opération d’ensemble, la Cour de cassation ne fait aucune mention, en l’espèce, d’une telle connaissance511. Cela s’explique sans doute par la connaissance implicite de cette opération qui découlait des termes mêmes du contrat. Néanmoins, l’absence de référence explicite à cette condition confère à cet arrêt une automaticité et une impérativité particulières512.

508 Note explicative relative à l’arrêt n° 285 du 13 avril 2018 - Chambre mixte - (H 16-21.345, M. 16-21.947)

disponible sur le site internet de la Cour de cassation.

https://www.courdecassation.fr/IMG///20180413_mixte_note_explicative_16-21.435_21.947.pdf V. également le Rapport du Conseiller-rapporteur, Monsieur Maunaud, ainsi que l’Avis du premier avocat général Monsieur Le Mesle.

509 Rapport préc. p. 2.

510 Ch. mixte., 23 novembre 1990, pourvois n° 86-19.396, n° 88-16.883 et n° 87-17.044, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 1 et 2, RTD com. 1991, 441, obs. B. Bouloc. Pour des applications postérieures : Com. 22 mai 1991, pourvoi n° 89-21.578, Bull. 1991, IV, n° 169 ; Com. 12 octobre 1993, pourvoi n° 91-17.621, Bull. 1993, IV, n° 327 ; Com. 16 janvier 2001, pourvoi n° 98-17.822 ; Com. 16 janvier 2001, pourvoi n° 98-19.679 ; Com. 28 janvier 2003, pourvoi n° 01-00.330 ; Com. 14 décembre 2010, pourvoi n° 09-15.992.

511 Ce qui n’était pas le cas dans les arrêts Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 (n°14-13658 et n°14-17772),

L’ESSENTIEL Droit des contrats, 6 octobre 2015 n° 9, p. 1, obs. M. Latina.

512 Rapport préc. du Conseiller-Rapporteur, spéc. p. 5 qui indentifie quatre caractéristiques essentielles dans la jurispridence du 23 novembre 1990. La règle édictée y est « purement prétorienne », « impérative », « automatique » et « asymétrique ».

L’intensité de la règle édictée serait en quelque sorte plus forte que dans le cas d’une application des critères posés par l’article 1186 du Code civil. Dit autrement, l’indivisibilité conventionnelle des contrats de vente et de crédit-bail découlerait de la nature même de ces contrats, tandis que celles des contrats appartenant à un ensemble incluant une opération de location financière supposerait de caractériser l’existence d’une « opération » commune513. Le Conseiller-Rapporteur précise à cet égard que « la jurisprudence “crédit-bail” résulte d’une forme d’évidence liée à l’économie même des contrats », là où la jurisprudence location financière « repose, quant à elle, sur une démarche intellectuelle ».

157. La décision rendue par la Chambre mixte présente un autre intérêt, relatif cette fois au

sort des clauses prévues en cas de résiliation du contrat. Le contrat de crédit-bail prévoyait en l’espèce d’une part que « le locataire renonçait expressément à exercer contre le bailleur quelque recours que ce soit pour obtenir la résolution du contrat de crédit-bail et s’engageait à ne pas interrompre le paiement des loyers si, sans faute du bailleur, le matériel était défectueux ou atteint de vices et renonçait à mettre en jeu la garantie du bailleur » ; et d’autre part que « dans l’hypothèse où le contrat de crédit-bail était résilié du fait de la résolution de la vente, les loyers versés jusqu’à la résiliation resteraient acquis au bailleur et une indemnité serait due par le locataire, égale aux loyers restant dus et à la valeur résiduelle à la date de la résiliation.514 » La Cour de cassation vient neutraliser les clauses litigieuses au motif que le contrat de crédit-bail ne se trouve pas ici résilié mais caduc. La question demeure néanmoins de la faculté pour les parties d’inscrire à l’avenir dans ces ensembles contractuels une clause qui subordonnerait la caducité du contrat de crédit-bail au paiement d’une indemnité. La Cour de cassation ne répond pas sur ce point, mais l’esprit de la décision rendue voudrait que la réponse soit négative. La Chambre mixte précise à cet effet que sont inapplicables les clauses de garantie et de renonciation à recours, lesquelles ne sont pas propres à l’hypothèse d’une résiliation anticipée. Ce ne sont pas en conséquence les seules clauses visant la résiliation du contrat qui sont visées par la Cour mais toutes celles qui reviendraient à compromettre l’effectivité de cette indivisibilité objective, qui en contredirait la portée.

158. Cet arrêt fournit par conséquent un exemple de contrôle objectif de l’équilibre

contractuel de même nature que celui existant en matière d’ensemble contractuel incluant une

513 Le Conseiller-Rapporteur précise à cet égard, p. 9 : « elle suppose toujours la recherche, derrière la segmentation artificielle des contrats, des éléments d’une opération unique. »

opération de location financière. La question demeure néanmoins de l’articulation, en pratique, de ces indivisibilités objectives avec les conditions posées par l’article 1186 du Code civil.

II. L’indivisibilité contractuelle dans l’ordonnance portant réforme du droit des contrats

159. L’ordonnance portant réforme du droit des contrats ne traite pas à proprement parler

de l’interdépendance contractuelle. Cette question est indirectement abordée au travers du paragraphe 2 de l’article 1186 de la Section 4 du Chapitre II consacrée aux sanctions. Cette disposition va au-delà de la règle posée par les arrêts du 17 mai 2013515 en matière de contrats s’inscrivant dans une opération incluant une location financière. Sont donc interdépendants, aux termes de cet article, les contrats conclus en vue d’une opération d’ensemble lorsque la disparition de l’un d’eux rend impossible l’exécution d’un autre ou lorsque l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. Alors que le Projet d’ordonnance du 25 février 2015 semblait consacrer une conception exclusivement objective de l’interdépendance contractuelle516, l’ordonnance du 10 février 2016 opère une conciliation plus nuancée entre les éléments objectifs d’indivisibilité (A) et la nécessaire connaissance de l’opération d’ensemble (B).

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