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L’économiste Bernard Baudry a mis en évidence trois critères cumulatifs d’une situation de dépendance économique Elle est caractérisée, selon lui, lorsqu’un des

PREMIÈRE PARTIE : L’IDENTIFICATION OBJECTIVE DES DÉSÉQUILIBRES CONTRACTUELS

Section 1 : L’objectivation des vices du consentement

A. L’abus de dépendance économique en droit de la concurrence

89. L’économiste Bernard Baudry a mis en évidence trois critères cumulatifs d’une situation de dépendance économique Elle est caractérisée, selon lui, lorsqu’un des

professionnels, de taille modeste, réalise au moins 30 % de son chiffre d’affaires avec un

308 Com. 3 mars 2004, obs. E. Baccichetti et J.-Ph. Dom, LPA 27 juin 2005, n°126, p. 5. Précédemment Cons. conc. n° 01-D-49 du 31 août 2001.V. aussi CA Paris, Pôle 5, ch 4, 6 mai 2015, n°13/01886, Inédit : « Considérant que la société Elstar ne démontre pas qu'elle ne disposerait pas de la possibilité de substituer d'autres produits aux produits de son fournisseur à des conditions techniques et économiques comparables » ; CA Paris, 14 oct. 2015, n°2014/14035, numéro JurisData 2015-024366 : « Considérant que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise » ; CA Paris 15 oct. 2008 JurisData n° 2008-004654 : « l’état de dépendance économique se définit comme la situation d’une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu’il s’ensuit que la seule circonstance qu’un distributeur réalise une part importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d’un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l’article L. 420-2 du Code de commerce ». V. enfin, Com. 12 févr. 2013, no 12-13603, PB note C. Grimaldi, RDC 2013, n°3, p. 988 : « Attendu que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise ».

309 CA Paris, Pôle 5, Chambre 5, 12 mai 2016, N°14/22005, Inédit : « La dépendance s’apprécie objectivement en déterminant si l’entreprise se trouve dans l’impossibilité de trouver d’autres débouchés dans des conditions techniques et économiques comparables. » ; V. également la Proposition de loi n° 3571, de M. Bernard ACCOYER et plusieurs de ses collègues visant à mieux définir l'abus de dépendance économique, déposée le 15 mars 2016 devant l’Assemblée nationale, et particulièrement l’amendement n°2 présenté par M. Abad visant à instaurer une présomption de dépendance économique dès lors que la part du chiffre d’affaires d’un fournisseur réalisée auprès d’un distributeur excède 22%. L’amendement a été retiré.

310 Com. 12 oct. 1993, B. IV n°337 ; CA Paris, 4 juin 2002 n° JurisData 2002-246492 ; Cons. conc. 20 janv. 2009, n° 09-D-02 ; ADLC 3 mars 2010, n° 10-D-08. Plus récemment la Chambre commerciale a défini l’état de dépendance économique au travers de quatre critères cumulatifs V. Com. 6 oct. 2015, n°14-13.176, Inédit : « Considérant que la démonstration de la dépendance économique de la société BOAT DEVELOPPEMENT par rapport à la société SPBI, au sens de cet article nécessite la réunion de quatre critères : une part de marché de la société SPBI prédominante, la notoriété de sa marque ou de ses produits, l'importance de la part de la société SPBI dans le chiffre d'affaires de BOAT DEVELOPPEMENT, à condition toutefois que cette part ne résulte pas d'un choix délibéré de politique commerciale de cette dernière, et enfin, la difficulté, pour la société BOAT DEVELOPPEMENT, d'obtenir des produits équivalents auprès d'autres fournisseurs ; que ces conditions doivent être cumulativement réunies pour entraîner la qualification de dépendance économique ». V. précédemment dans le même sens CA Paris, Pôle 5, ch 4, 18 mars 2015, n°12/21497, Inédit. « que la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part de marché, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur et, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, ces conditions devant être simultanément remplies, sans que la circonstance que cette situation de dépendance économique résulte de clauses volontairement souscrites puisse être opposée à la victime ».

même partenaire, et qu’il ne peut en conséquence redéployer rapidement et sans coût ses actifs vers un autre client, compte tenu de sa subordination professionnelle311. L’expression de « contrat économique » utilisée par le Professeur Gilles Martin pour désigner « ceux dont l’objet (au sens du droit des contrats) est la concentration et/ou l’organisation de l’économie312 » permet d’appréhender ces contrats d’affaires fondés sur une forme de subordination professionnelle. Se distinguant de la classification des contrats économiques établie par le Professeur Martin313, le Professeur Boy distingue trois types de contrats

économiques : les contrats servant à l’organisation complexe de la production, ceux servant à l’organisation de la force de travail et ceux enfin servant à l’organisation de la consommation314. Le Professeur Boy range ainsi dans la catégorie des contrats servant l’organisation de la force de travail, le « contrôle par intégration contractuelle 315 ». « L’essentiel de l’intégration réside dans le fait que l’entreprise intégrée est une articulation d’un ensemble économique plus vaste316. » Cette intégration passe dans les contrats de distribution sélective, de franchise, de concession ou d’intégration agricole par un lien de subordination professionnelle se traduisant par l’imposition d’obligations contractuelles telles qu’elles existent en matière de contrat de travail. C’est dans ces contrats que le risque d’abus de dépendance apparaît donc le plus probable317. Ces contrats d’intégration dans le domaine de le production318 comme de la distribution319 donnent naissance à une situation de dépendance « caractérisé [e] par la subordination totale de l’activité intégrée à l’entreprise intégratrice, ainsi que par l’utilisation d’un contrat commercial comme cadre juridique d’une relation de travail.320 »

311 B. Baudry, L’économie des relations interentreprises, coll. Repères, n°165, La Découverte, 1995, p. 44. 312 G-J. Martin, Droit économique, cours de D.E.A polycopié, Nice, 1996-1997 cité dans L. Boy Les « utilités » du contrat, LPA, n°109, 10 sept. 1997, p.8 : « Le découverte de l’objet économique du contrat n’est pas toujours aisée. […] Dans les hypothèses les plus nombreuses, ce n’est que par une analyse à « double détente » que l’on découvre l’objet économique du contrat, dans la mesure où, à l’objet classique des obligations des parties, se superpose un objet économique du contrat lui-même. »

313 L. Boy op. cit. Les « utilités » du contrat, LPA, n°109, 10 sept. 1997, p. 9 : Le Professeur Martin distingue les contrats de restructuration du capital, les contrats de marchés, les contrats collectifs et les contrats de souveraineté.

314 Ibid.

315 L. Boy, op. cit. spéc. p. 9, ce terme fait référence aux « techniques d’organisation contractuelle des marchés » décrites par G. Farjat in Droit économique, Thémis, PUF, 1971, p. 77.

316 L. Boy, op. cit. Les « utilités » du contrat, LPA, n°109, 10 sept. 1997, p. 9.

317 F. De Boüard, La dépendance économique née d’un contrat, Thèse, LGDJ, 2007, sépc. n°799, p. 439. 318 Contrat d’intégration agricole, fourniture de produits sous marque distributeur.

319 Concession exclusive, franchise. 320 F. De Boüard, op. cit.

90. Comme pour l’« avantage manifestement excessif321 », l’abus produit un résultat que la liste non exhaustive qu’en fait l’alinéa 2 de l’article L. 420-2 tente de reproduire. Ainsi, l’absence de solution équivalente pour le fournisseur dont les relations avec son distributeur ont été rompues ne suffit pas à caractériser un abus322. Il faut encore que l’exploitation de cet état de dépendance produise un résultat. Abus et dépendance économique n’en sont pas moins dépourvus de liens, l’abus pouvant dans certains cas renforcer la dépendance, ou du moins en constituer un indice323. Ces deux conditions s’alimentent ici au contact l’une de l’autre de

telle sorte que leur mise en évidence peut sembler délicate. La thèse du Professeur Stoffel Munck324 a contribué au renouvellement de l’approche doctrinale de la notion d’abus de manière remarquable. L’auteur a cherché à proposer une définition autonome de l’abus visé en droit de la concurrence. Pour ce faire, il distingue l’abus en matière de pratiques anticoncurrentielles de celui qui existe en matière de pratiques restrictives de concurrence. Cette distinction reposerait selon l’auteur, sur les finalités assignées à ces disciplines. Alors que le droit des pratiques anticoncurrentielles viendrait au premier chef protéger l’intérêt public, les pratiques restrictives de concurrence viendraient au contraire protéger des intérêts privés325. La protection de l’équilibre contractuel serait donc l’apanage des pratiques restrictives tandis que les pratiques anticoncurrentielles poursuivraient un objectif de

321 Art. 1143 C. civ.

322 Com. 16 déc. 2008, n°08-13423 Inédit.

323 P. Reis, Marques de distributeurs et accès au marché des fournisseurs de la grande distribution, https://halinéaarchives-ouvertes.fr/hal-00759845, p. 3 : « Les distributeurs peuvent en raison du cumul des fonctions d’acheteur et de concurrent des fournisseurs procéder à des discriminations ou des alliances stratégiques tendant à restreindre, pour les fournisseurs concurrents directs des MDD, l’accès aux linéaires. » 324 Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, Thèse, LGDJ, 2000, p. 446 : « Il semble donc acquis que, du point de vue du droit positif et du point de vue de l’esprit du texte, l’abus par entrave à la concurrence soit bien spécifique par rapport aux autres formes d’abus rencontrés en matière contractuelle. » Dans la continuité de cette thèse Audrey Cathiard a mis en évidence la notion d’abus dans les contrats conclus entre professionnels en distinguant ici les contrats transactionnels des contrats relationnels. Alors que pour les premiers l’abus « résulte d’un déséquilibre de puissance économique entre professionnels et touche la teneur du contenu du contrat. » dans l’autre « il conduit à s’intéresser à l’exécution de l’accord, à la mise en œuvre des engagements contractuels et au comportement des parties. » A. Cathiard, L’abus dans les contrats conclus entre professionnels : L’apport de l’analyse économique du contrat, Thèse, PUAM, 2006, spéc. P. 229. Cette distinction bien que pertinente ne semble pas être la voie prise par les juges en matière de contrôle de l’équilibre contractuels, les contrats relationnels étant analysés à la fois sous l’angle des prérogatives contractuelles qu’ils offrent à une partie et sous celui du contenu. La sanction des clauses abusives en droit commun en atteste. 325 Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, Thèse, LGDJ, 2000 p. 437 : « Les règles de la concurrence déloyale viennent au premier chef protéger des intérêts privés. Elles ont donc lieu de s’appliquer aussitôt que ceux-ci sont violés. En revanche, l’atteinte matérielle à la concurrence n’est réprimée qu’à condition que la pratique litigieuse ait franchi un certain seuil de sensibilité. Cela est acquis en droit communautaire mais vaut aussi en droit français. Peu importe à ce stade que le caractère sensible de l’infraction soit une condition de la qualification ou de la sanction de l’abus, sa seule exigence montre la différence de perspective opposant les questions de concurrence déloyale et d’anticoncurrence. Celle-là protège des intérêts privés et joue même si l’atteinte est minime ; celle-ci protège l’ordre public et ne joue que s’il est sensiblement menacé. »

protection du marché326. Cette solution ne semble pas aussi clairement tranchée par les autorités publiques concernées, la directrice générale de la DGCCRF affirmant qu’il s’agit au travers des pratiques restrictives de « protéger un ordre public de direction et non un ordre public de protection327 », « les pouvoirs publics interv [enant] au nom de l’intérêt général328 ».

91. La qualification de l’abus en matière anticoncurrentielle repose alors, selon le

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