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Les éléments caractéristiques objectifs de l’indivisibilité contractuelle

PREMIÈRE PARTIE : L’IDENTIFICATION OBJECTIVE DES DÉSÉQUILIBRES CONTRACTUELS

Section 2 : L’objectivation des ensembles contractuels indivisibles

A. Les éléments caractéristiques objectifs de l’indivisibilité contractuelle

160. Deux éléments objectifs caractérisent l’indivisibilité contractuelle de droit commun à

savoir l’exécution impossible (1) et le caractère déterminant du consentement de l’exécution du contrat disparu (2).

515 Préc. Cass. ch. mixte 17 mai 2013 n°11-22768 ; Cass. ch. mixte 17 mai 2013 n°11-22927.

516 Art. 1186 alinéa 2 « Il en va encore ainsi lorsque des contrats ont été conclus en vue d’une opération d’ensemble et que la disparition de l’un d’eux rend impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre. La caducité de ce dernier n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. » Il ne s’agit pas ici de savoir si lors de l’échange des consentements les parties ont entendu rendre les contrats interdépendants, mais de poser comme règle unique que les contrats qui participent à une opération économique commune sont interdépendants lorsque la disparition de l’un d’eux rend impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre.

1. L’exécution impossible

161. L’alinéa 2 de l’article 1186 dispose qu’est caduc le contrat dont l’exécution devient

impossible à la suite de la disparition d’un des contrats participant à la même opération d’ensemble. Ce critère objectif témoigne d’une restriction manifeste du champ d’application que pouvaient annoncer les arrêts rendus par la Cour de cassation en matière d’opération incluant une location financière, comme en matière de contrat de prêt et de vente. L’impossibilité matérielle d’exécuter le contrat limite en effet la portée de ces décisions517 qui

se limitaient à constater dans un cas que l’opération contenait un contrat de location financière, et dans l’autre que le contrat de prêt était bien destiné à financer le contrat de vente principal. Toutefois, cet article ne permet pas d’apporter une réponse claire aux réserves soulevées relativement à la possibilité pour la partie qui invoque la caducité du contrat de conclure avec un autre cocontractant. L’impossibilité s’entend-elle de l’impossibilité relative d’exécuter le contrat tel qu’il a été conclu entre les parties ou s’agit-il d’une impossibilité absolue de poursuivre ce contrat ? La décision rendue par la Chambre commerciale le 16 septembre 2014518 faisait apparaître une impossibilité relative dans la mesure où la société d’animation publicitaire ayant cessé de distribuer les CD-ROM, le locataire financier ne pouvait plus diffuser la publicité pour les besoins de laquelle il avait conclu un contrat de location financière. Cette impossibilité n’était toutefois pas absolue puisque les moyens annexés au pourvoi révélaient que le matériel mis à disposition par le bailleur pouvait tout aussi bien fonctionner avec un autre logiciel que celui fourni par la société d’animation publicitaire. L’ordonnance du 10 février 2016 ne répond pas à cette question, mais l’impossibilité visée par l’article 1186 alinéa 2 semble devoir être entendue comme une impossibilité relative519 de manière à pouvoir poursuivre la jurisprudence précédemment développée en matière de location financière et de contrat de prêt accessoire à une vente. « Cette impossibilité est en réalité à la mesure des obligations des parties520. » L’arrêt rendu

517 Cass. ch. mixte 17 mai 2013 n° 11-22768 et 11-22927, RDC 1er oct. 2013, n°4, p. 1331, obs. Y.-M. Laithier ; Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 (n°14-13658 et n°14-17772), L’ESSENTIEL Droit des contrats, 6 octobre 2015 n° 9, p. 1, obs. M. Latina.

518 Com. 16 sept. 2014, RDC 31 mars 2015, n°1, p. 58, obs. J-B. Seube.

519 P. A. Foriers op. cit. La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, Bruxelles, 1998, n°66, p. 63 : « L’impossibilité d’exécution n’est jamais absolue et elle est intimement liée au contenu et à l’étendu des obligations des parties. ».

par la première Chambre civile le 10 septembre 2015521 faisait apparaître une impossibilité subjective dans la mesure où la société venderesse avait été placée en liquidation judiciaire le matériel n’ayant pu être intégralement livré et installé. La condition posée par l’ordonnance en matière d’indivisibilité contractuelle semble donc traduire avec fidélité les fondements de la jurisprudence développée en matière d’opération incluant un contrat de location financière comme en matière de contrat de prêt destiné à financer une vente.

162. Un autre critère, alternatif, permettrait toutefois au cocontractant de solliciter la

caducité du contrat auquel il est partie lorsque l’exécution du contrat disparu constituait un élément déterminant de son consentement.

2. Le caractère déterminant du consentement de l’exécution du contrat disparu

163. Alors que l’impossibilité de l’exécution d’un autre contrat de l’ensemble se présente

comme un critère objectif de l’interdépendance, la seconde partie de l’alinéa 2 de l’article 1186 laisse plus de place à une analyse subjective de la volonté des parties. Les juges peuvent en effet prononcer la caducité d’un contrat qui participe à une même opération économique lorsque l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. Cette disposition soulève plusieurs interrogations. Le caractère déterminant du consentement s’apprécie-t-il à l’aune des prévisions contractuelles ou les juges adopteront-ils la même démarche qu’en matière de vices du consentement ? L’esprit de ce texte ferait plutôt choisir la seconde option. Le caractère déterminant des vices du consentement s’apprécie toutefois avec une souplesse qui offrirait à cette disposition un vaste champ d’application. C’est en effet du rapport de causalité que les juges déduisent souverainement le caractère déterminant du dol, de l’erreur ou de la violence. Les juges opèrent ainsi en matière d’erreur un glissement entre l’objet de l’erreur et son effet déterminant, assimilant l’objet de l’erreur à la qualité déterminante du consentement522. Il

s’agira pour eux de se demander si la qualité sur laquelle a porté l’erreur était une qualité

521 Préc. M. Latina, obs. sous Cass. 1ère civ. 10 sept. 2015 (n°14-13658 et n°14-17772), L’ESSENTIEL Droit des

contrats, 6 octobre 2015 n° 9, p. 1.

522 G. Vivien, De l’erreur déterminant et substantielle, RTD civ. 1992, 305 : « Mais surtout, à vouloir à la fois

protéger l'errans et son cocontractant grâce aux seules qualités substantielles, on a abouti à une confusion entre

l'objet de l'erreur, ce sur quoi elle doit porter, et l'effet de l'erreur, c'est-à-dire son caractère déterminant. Peu à

peu, tous les éléments de la nullité pour cause d'erreur, l'existence du vice, ses caractères et sa preuve notamment, furent mêlés. La difficulté a fini par résider principalement dans la seule appréciation de la substance à laquelle on a voulu faire remplir deux fonctions opposées ce qui interdit toute définition nette. »

essentielle et donc déterminante du consentement de l’errans. Si cette appréciation doit se faire in concreto523, les juges procèdent le plus souvent à une analyse objective de ce critère qu’ils superposent au caractère essentiel de la qualité sur laquelle a porté l’erreur. Partant, si l’erreur a porté sur une qualité essentielle, l’erreur est alors déterminante du consentement de l’errans. Si l’on applique cette méthode d’analyse à l’article 1186 alinéa 2, cela signifie que les juges devront s’attacher à démontrer que l’exécution du contrat disparu était une « qualité essentielle de la prestation due524 ». La substitution des contrats « pour lesquels l’exécution du

contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie », aux contrats dont la disparition rend « sans intérêt l’exécution d’un autre525 » témoigne-t-elle de la volonté du législateur de limiter la conception exclusivement objective que semblait consacrer le Projet d’ordonnance par l’introduction d’une référence à la volonté interne ? Ou s’agit-il d’habiller d’un vocable plus juridique l’expression d’« intérêt à l’exécution du contrat » ? Rien ne nous permet de l’affirmer, mais la première version du texte a suscité chez de nombreux auteurs quelques réticences face à la conception exclusivement objective de l’interdépendance contractuelle retenue par le texte. Il est donc permis de penser que le législateur a entendu renforcer la dimension subjective de l’indivisibilité contractuelle au travers de cette ultime modification. Cette subjectivité peut toutefois paraître artificielle tant il est vrai que le juge est souvent contraint de procéder objectivement à l’appréciation du caractère déterminant de l’erreur, ou de l’exécution du contrat comme l’exige ici le texte. Les prévisions contractuelles et les éléments échangés entre les parties ne fournissent pas toujours les éléments de faits de nature à permettre au juge d’y déceler une volonté subjective. Cette référence à la volonté interne est également artificielle dans la mesure où le texte de l’article 1186 alinéa 2 intègre déjà à la définition de l’ensemble contractuel le caractère « nécessaire » des contrats à la « réalisation d’une même opération ». Si les contrats qui compensent l’ensemble contractuel doivent être nécessaires à l’exécution de l’opération, cela signifie implicitement que leur exécution est une condition déterminante du consentement des parties. Cette superposition du caractère déterminant de l’exécution à son caractère nécessaire pose problème dans la mesure où elle induit l’idée qu’une partie pourrait solliciter la caducité d’un contrat de l’ensemble dès lors que l’un des contrats qui le composent disparaît sans qu’il soit besoin de remplir d’autres conditions.

523 P. Malinvaud note sous Civ. 1re, 22 févr. 1978, Bull. civ. I, n° 73, D. 1978.J.601 ; Civ. 1re, 26 janv. 1972, D. 1972.J.517.

524 Art. 1132.

164. Enfin, certaines opérations témoignent d’une interdépendance structurelle526 c’est-a- dire intrinsèque au contrat comme elle existe pour les contrats de location financière ou les crédits affectés, qui pourrait faire dire qu’ici le cocontractant a par principe fait de l’exécution du contrat qui lui est concomitant une condition déterminante de son consentement. C’est d’ailleurs la solution privilégiée par la Cour de cassation en matière de location financière qui a posé en principe l’incompatibilité des clauses de divisibilité avec les opérations incluant une location financière, sans qu’il soit besoin de démontrer que l’exécution du contrat était devenue impossible ou que l’exécution du contrat disparu avait été une condition déterminante du consentement du demandeur.

165. Si la condition relative à l’impossibilité d’exécuter le contrat à l’égard duquel la

caducité est invoquée semble pertinente, celle qui concerne le caractère déterminant du consentement de l’exécution du contrat disparu l’est moins. Si le législateur a entendu introduire dans le contrôle de l’indivisibilité contractuelle une part de subjectivité, celle-ci contribue néanmoins à une insécurité juridique importante. L’appréciation de ce critère semble en effet ouvrir à l’article 1186 un champ d’application plus vaste encore que celui qui avait été mis en évidence par la Cour de cassation dans des cas bien précis. Les juges devront en conséquence veiller à préciser la méthode d’appréciation de ce dernier critère.

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