• Aucun résultat trouvé

L’erreur sur les qualités essentielles à l’origine d’une erreur sur la valeur

PREMIÈRE PARTIE : L’IDENTIFICATION OBJECTIVE DES DÉSÉQUILIBRES CONTRACTUELS

Section 1 : L’objectivation des vices du consentement

B. L’erreur sur les qualités essentielles à l’origine d’une erreur sur la valeur

44. Pour certains auteurs, l’erreur sur la valeur pourrait être sanctionnée de nullité lorsque celle-ci est la conséquence « d’une erreur distincte sur la substance177 ». Elle opérerait alors comme un critère de conversion de l’erreur sur la valeur en une erreur sur les qualités essentielles. Le Professeur Goubeaux distingue à cet égard l’erreur sur la « valeur d’usage » de l’erreur sur la « valeur d’échange178 ». La valeur d’usage désignerait l’utilité de la chose, tandis que la valeur d’échange désignerait « le rapport entre différentes choses, permettant leur comparaison179 ». Le premier type d’erreur se rattacherait ainsi à une erreur sur les qualités essentielles, tandis que le second constituerait une erreur pure sur la valeur. Les juges distinguent à cet effet l’erreur indifférente sur le choix du placement qui constitue une erreur sur la valeur simple180, de l’erreur sur la substance du placement laquelle aurait permis de conclure à sa nullité. Dans le même sens, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 avril 2003181 a refusé de sanctionner de nullité l’erreur qui portait sur le

régime fiscal applicable aux revenus issus de l’exploitation de services annexes dans un parking. Il s’agissait en l’espèce d’acquéreurs d’emplacements de parking dans un immeuble en état futur d’achèvement. Le développement au sein du parking de services annexes devait

de nombreux avantages elle n’en demeure pas moins dangereuse pour la sécurité des transactions, et inutile du fait que la méprise sur la substance et la cause s’identifient[…] le contrôle de l’erreur sur les qualités essentielles nous paraît plus approprié, parce qu’il exige des conditions spécifiques « tenant au comportement des parties », et notamment à son caractère excusable chez celle qui en est victime. Au contraire, avec la notion de cause, le risque est grand de sanctionner le déséquilibre contractuel entre les droits et les obligations des parties indépendamment de sa source, et de déresponsabiliser les débiteurs. […] La cause se présente en outre comme un instrument inutile de contrôle du contenu du contrat, parce qu’en présence d’erreur essentielle, le but normal de la conclusion du contrat ne peut guère être atteint et la cause se trouve objectivement altérée. » V. T. com.

Basse-Terre, 17 mars 1993, D. 1993. 449, note P. Dienier.

177 F.-X. Testu, Qualité du consentement, Dalloz référence Contrats d’affaires, 2010, n°12.07.

178 G. Goubeaux, À propos de l’erreur sur la valeur, in Études en l'honneur de J. Ghestin, LGDJ, 2015, p. 392. 179 Ibid.

180 L’erreur sur la valeur retrouve alors sa définition classique à savoir : « une appréciation économique erronée, effectuée à partir de données exactes » J. Ghestin, La notion d'erreur dans le droit positif actuel, 2e éd., LGDJ, 1971, n° 74.

permettre à l’exploitant des lieux de soumettre ses revenus au régime fiscal des bénéfices industriels et commerciaux. Cet avantage fiscal était ainsi mis en valeur par la plaquette publicitaire confectionnée par les vendeurs. L’exploitation commerciale n’ayant pu être développée, les bénéficiaires n’avaient pas pu bénéficier du régime fiscal précité et sollicitaient la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles. Les juges du fond ont néanmoins refusé de prononcer la nullité du contrat et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif qu’il s’agissait ici d’une erreur sur un « motif extérieur à l’objet de celui-ci [le contrat]182 ». La Cour ajoute que ce type d’erreur n’est pas une cause de nullité quand bien

même le motif en question aurait été déterminant. L’on peut regretter une telle solution dans la mesure où elle s’appuie sur une lecture purement formaliste du contrat quelque peu artificielle183. Il semble néanmoins que la Cour de cassation se livre dans certains cas à une analyse substantielle de l’erreur sur les qualités essentielles.

45. La Chambre commerciale dans un arrêt du 1er novembre 2015184 a mis en évidence les limites d’une telle analyse. MM. X et Y avaient constitué un Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC) dont M. X avait entendu se retirer. Une convention prévoyait ainsi que M. X cédait au GAEC, transformé en EARL, ses 7000 parts au prix unitaire de 21 F, et que son compte courant débiteur, après déduction du prix de rachat de ses parts, s’élevait à la somme de 168 576 F. (25 699,35 euros). Il était également prévu que M. X reprenait le passif correspondant aux emprunts souscrits auprès du Crédit Agricole de l’Eure pour l’achat d’un tracteur et d’une remorque. Suite à une expertise judiciaire, il ressortait du rapport que la valeur réelle des parts sociales, de M. X, déterminées selon les méthodes couramment utilisées en prenant les chiffres du bilan et les comptes de résultat du GAEC, se situait dans une fourchette comprise entre 129 € et 234 €. Le rapport d’un expert-comptable avait également mis en évidence que le bilan produit avant la signature du contrat ne permettait pas à M. X d’avoir une vision de la situation financière de l’entreprise conforme à

182 « l'erreur sur un motif extérieur à l'objet de celui-ci n'étant pas, faute de stipulation expresse, une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant ».

183 En ce sens, G. Chantepie, M. Latina, La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2016, n°317, p. 257, les auteurs déplorent que la défiscalisation recherchée par l’acquéreur immobilier ait été qualifiée de « simple motif » : « Le statut fiscal ne devrait pas être, en toute hypothèse, considéré comme extérieur aux qualités essentielles de la chose, objet du contrat. » ; V. aussi sur ce point Ph. Malinvaud, D. Fenouillet et M. Mekki, Droit des obligations, LexisNexis, coll. Manuels, 14e éd, 2017, n°193, p. 172 ; Sur des commentaires de la réforme en ce qui concerne l’articulation des articles 1133 et1135 du C. civ. Et la difficulté de distinguer la qualité essentielle du motif : O. Deshayes, Th. Génicon, et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, LexisNexis, 2016, p. 190.

la réalité, les comptes ayant anticipé la comptabilisation de l’attribution des biens de l’actif social et des transferts d’emprunts au profit de M. X. La Cour d’appel de Caen185 statuant sur renvoi après cassation a accueilli la demande de M. X sur le fondement de l’erreur en indiquant qu’« au vu de la présentation erronée des documents comptables qui lui ont été soumis, M. X, qui ne disposait d’aucun autre élément d’appréciation, a été induit en erreur sur les données objectives du contrat de cession de ses parts sociales. L’erreur sur la valorisation de ses parts n’est que la conséquence de cette méprise. Il s’agit donc d’une erreur sur les qualités substantielles du contrat. Il est évident que si M. X qui n’est pas comptable avait disposé des données correspondant à la situation réelle du GAEC, il n’aurait pas donné son consentement à la cession de ses 7000 parts au prix de 21 F. Cette erreur qui a donc été déterminante de son consentement doit conduire au rétablissement de l’équilibre rompu par l’erreur. » La Chambre commerciale reprend à son compte l’argumentation de la Cour d’appel pour rejeter le pourvoi, mais précise toutefois que « l’erreur portait sur la situation financière de la société186 ».

46. Une telle solution est surprenante tant elle semble a priori venir contredire la solution précédemment étudiée187, qui portait pourtant sur une situation similaire puisque les demandeurs avaient invoqué la nullité pour erreur sur la substance, ces derniers pensant acquérir une société saine qui était en réalité malade. Malgré la similitude des faits, le problème était ici posé différemment dans la mesure où la cession de parts n’avait pas pour objectif la reprise de l’activité commerciale par les nouveaux actionnaires. La Cour de cassation ne pouvait pas, en conséquence, comme elle le faisait jusqu’ici, se référer à la possibilité pour le cessionnaire de réaliser son objet social pour qualifier l’erreur d’erreur sur la valeur lorsqu’elle cela était possible, et d’erreur sur la substance lorsqu’il était manifeste que le cessionnaire n’y parviendrait pas. La Cour de cassation procède à un raisonnement en deux temps destiné à démontrer que l’erreur sur la valeur n’était en l’espèce que la conséquence d’une erreur sur les qualités essentielles. Cette dernière erreur portait plus précisément sur la situation financière de l’entreprise. Pourtant, l’objet du contrat litigieux

185 CA Caen 20 juin 2013, n° 12-02026.

186 « Mais attendu que l'arrêt relève que la présentation erronée du bilan, qui devait servir de référence à la fixation de la valeur des parts sociales a eu pour conséquence l'établissement d'une valorisation très inférieure à la valeur réelle de celles-ci et ajoute que l'erreur de M. X.. sur la valorisation de ses parts n'est que la conséquence de cette méprise ; que de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l'erreur portait sur la situation financière de la société dont les parts étaient cédées, la cour d'appel a pu déduire que cette erreur affectait les données objectives de la cession et avait été déterminante du consentement de M. X. ; »

portait ici sur les actions et non sur l’actif de la société, de sorte que l’erreur sur la substance ne devrait pas pouvoir porter sur la situation financière de la société laquelle n’est pas l’objet du contrat en question. Cette solution de la Cour de cassation n’est pas satisfaisante, et ce à plusieurs niveaux. L’erreur sur la substance peut être ici remise en cause dans la mesure où la substance de la chose objet du contrat, à savoir les actions, ne se confond pas avec la situation financière de l’entreprise. Ensuite, cette solution souligne une fois de plus l’insuffisance de l’analyse retenue jusqu’ici par la Cour de cassation dans des hypothèses similaires. L’analyse consistant à s’intéresser à la possibilité pour le cessionnaire de poursuivre l’objet social est tout à la fois limitée dans les hypothèses qu’elle se propose d’embrasser, mais également dans ses fondements même puisqu’il s’agit d’un raisonnement plus causal que psychologique, comme il a été vu plus haut.

47. S’il semble a priori plus avantageux et plus commode d’agir sur le fondement de la

contrepartie convenue, en ce qu’elle évite d’avoir à se placer sur le terrain glissant de la psychologie des parties188 et du caractère excusable de l’erreur189, il n’en demeure pas moins que l’erreur permet dans certains cas d’invoquer la nullité du contrat là où la contrepartie convenue ne le permettrait pas. Cantonnée en effet à une définition stricte, la contrepartie convenue limite son champ d’application là où l’erreur semble au travers de la jurisprudence, se frayer de nouveaux chemins. C’est ainsi que la Cour de cassation affirme depuis une dizaine d’années que la rentabilité économique de certains contrats justifie leur annulation lorsque l’erreur du cocontractant s’est portée sur celle-ci.

188 G. François, Consentement et objectivation : L’apport des principes du droit européen du contrat à l’étude du consentement contractuel, Thèse, PUAM, 2007, p. 16 : « L’impossibilité d’appréhender le psychisme des parties au contrat rend illusoire l’analyse volontariste du consentement […] Il y a donc une véritable hypocrisie à vouloir toujours raisonner en termes volontaristes, et à vouloir appréhender le consentement à travers le psychisme des parties. Outre son caractère incongru, il faut d’ailleurs évoquer les dangers d’une telle analyse si la présomption de volonté n’est pas le fruit d’une induction réfléchie, mais qu’elle procède tout à l’inverse de la plus hypothétique conjecture. Dans ce cas, le juge déterminera l’existence du consentement, ou en appréciera la qualité, en s’attachant à ce que les cocontractants ont certainement voulu exprimer, ce qui est flou et incertain : cela entraînera sans doute des situations anti-contractuelles sur le terrain de l’existence du consentement, ou créera une insécurité juridique inopportune sur le terrain de l’intégrité du consentement. »

189 L’erreur sur l’existence de la cause est toujours excusable M. Fabre-Magnan, obs. sous Civ. 1re, 10 mai 1995,

II. L’erreur substantielle sur la rentabilité économique

48. L’erreur substantielle sur la rentabilité économique permet de sanctionner de nullité le contrat lorsque l’une des parties a fait une appréciation erronée de la rentabilité économique qu’elle pouvait attendre du contrat conclu. Cette erreur se présente de manière autonome lorsqu’elle est spontanée (A), tandis qu’elle est une des composantes du dol lorsqu’elle a été provoquée (B).

Outline

Documents relatifs