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1 Construction de la méthodologie

1.2 Recrutement des familles pour les entretiens

1.2.1 À Laplace, un mot dans le carnet

Avec l’aide de Mme Oussine, l’enseignante de SVT, j’ai décidé d’une stratégie consistant à introduire dans le carnet de correspondance un mot. Au début du cours du 11 juin en 5ème B, Mme Oussine a demandé aux élèves de sortir leur carnet. J’ai expliqué que je voudrais rencontrer leurs parents chez eux pour leur poser des questions sur l’alimentation. Mme Oussine ramasserait les mots remplis au prochain cours. Le voici :

Bonjour,

Je suis Aurélie MAURICE, étudiante en thèse à l’INRA.

En accord avec Mme Oussine, professeur de SVT, je fais un travail sur l’alimentation des collégiens. Pour le réaliser, je souhaiterais rencontrer des familles à domicile.

Êtes-vous d’accord ? Oui Non

Numéro de téléphone pour vous joindre :……….

Si vous avez des questions, vous pouvez me joindre au 01 49 …

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Cette stratégie a abouti à un échec cuisant : une seule élève a rapporté une réponse positive. Les autres avaient oublié de montrer le mot à leurs parents ou bien leurs parents n’avaient pas accepté l’entretien. Ma technique consistant à utiliser les préadolescents comme intermédiaires entre leurs parents et moi n’a apparemment pas fonctionné. Je n’avais sans doute pas réussi à établir suffisamment de contact avec les élèves pour qu’ils aient envie de me recevoir chez eux ou même pour qu’ils sachent expliquer à leurs parents qui je suis. J’ai alors décidé d’obtenir des numéros de téléphone de parents sans que ce soient eux qui me les aient donnés. Pour ce faire, j’ai rencontré la principale qui a m’a seulement communiqué le numéro de téléphone d’un parent FCPE de la 5ème

B. En appelant cette mère, j’ai réussi à obtenir d’autres numéros. J’ai également demandé directement à des élèves à la cantine le numéro de leurs parents. Au final, j’ai obtenu neuf rendez-vous : trois 5ème

A et six 5ème B.

1.2.2 À Malraux, téléphoner directement aux parents

Au collège Malraux, j’ai tout d’abord décidé de rencontrer les parents « en chair et en os » en me rendant à la réunion parents-professeurs organisée en novembre. Cependant, seulement cinq familles étaient présentes. Je me suis tout de même présentée aux parents (cf Annexe 4) et ils ont tous accepté de me donner leur numéro de téléphone. J’ai ensuite croisé une autre mère d’une élève de 5ème

4 : elle a accepté elle aussi de me donner son numéro. La récolte était ainsi bien maigre. Une telle absence des parents à la réunion avec les enseignants de la classe est significative de la relation qu’entretiennent ces parents avec l’école. J’ai obtenu les numéros de téléphone des parents sans doute les plus impliqués dans la scolarité de leurs enfants : la mère de Julie, le père de Quentin, la mère de Martial, le père de Jérôme et le père d’Hakim (ainsi que la mère d’Imane, qui était convoquée par le principal pour sa fille).

Pour obtenir les numéros de téléphone des autres élèves de la classe, j’ai décidé de ne pas utiliser de mot comme à Laplace, mais de m’adresser directement à Mme Patais, l’infirmière. Elle a accepté de demander au principal à ce que je dispose des numéros de téléphone des parents de la 5ème que j’observais, celui-ci a donné son accord. Ainsi, j’ai eu accès au classeur contenant les numéros de téléphone de tous les élèves de la classe (ainsi que le lieu de naissance, la date de naissance et la profession des parents). Après avoir prévenu les élèves lors d’une séance du projet alimentation que j’avais créée pour l’occasion, j’ai commencé à téléphoner aux parents mi-janvier. Lors de cette séance qui a eu lieu en cours de technologie – j’ai choisi cette matière volontairement parce que je savais que les élèves étaient très disciplinés avec cet enseignant – j’ai montré aux élèves des photographies de familles de

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différents pays devant leurs achats alimentaires d’une semaine (photographies de Menzel), puis je leur ai annoncé que j’allais venir chez eux discuter avec leurs parents de ce qu’ils mangent. L’information a été reçue différemment dans les deux demi-groupes, le premier demi-groupe, plus agité, a très mal réagi dans l’ensemble.

Quand j’annonce que je vais venir dans leurs familles : « Oh non ! J’habite loin ! » M. Pequigno : Vous mangez pas bien ? C’est pour ça que vous voulez pas ? Sanata : Madame vous savez où j’habite ?

Aurélie : Je vais demander à ta mère. Sanata : Moi je vais dire non !

Sami : Madame vous allez venir quand chez nous ? Ma mère elle travaille. Aurélie : Le soir sinon, quand elle veut.

Sami : Vous allez dormir chez nous ? Aurélie : Non !

Sanata : Vous allez pas venir chez moi, ma mère elle va dire non.

(Collège Malraux, carnet d’observations, séance pendant le cours de technologie, 18/01/11)

Le deuxième demi-groupe ne réagit pas quand j’annonce que je vais téléphoner à leurs parents. Mais par la suite, à la cantine ou en cours, les élèves m’en reparlent en disant qu’ils ne sont pas d’accord. Et effectivement, quand je téléphone aux parents, la plupart me disent non sauf douze d’entre eux. Finalement, deux parents reculent le rendez-vous jusqu’au moment où je renonce à les rappeler. J’arrive finalement à rencontrer dix familles sur 25. Au téléphone, les autres parents me disent qu’ils n’ont pas le temps ou même certains, que leur enfant ne veut pas (c'est le cas de la mère de Sanata). Il apparaît donc plausible que les parents déclinent le rendez-vous en grande partie car leurs enfants ne souhaitent pas que je vienne chez eux. Ma relation encore assez distante avec les élèves en janvier ne permet pas – pour la plupart – qu’ils acceptent de me recevoir chez eux. Il faut cependant nuancer ces propos puisque j’ai quand-même réussi à en rencontrer dix. Le taux de réponses positives est tout de même plus élevé qu’à Laplace. L’enquête évolue progressivement. Il apparaît donc qu’en milieu populaire, il m’est difficile de rencontrer autant de familles que je le souhaiterais. Ce constat est partagé par un grand nombre de chercheurs qui enquêtent dans ces milieux. Les familles populaires sont plus difficiles à rencontrer que les autres, notamment du fait de la distance sociale avec les enquêteurs et de la violence symbolique qu’elle engendre : comment parler d’alimentation à un étranger (d’autant plus s’il est perçu comme un nutritionniste ou un enseignant) alors que l’on ne mange pas « comme il faut » ? Plusieurs élèves (notamment à

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Laplace, où j’étais davantage perçue par les élèves comme une nutritionniste) m’ont dit qu’ils ne mangeaient pas bien et que ça n’avait donc pas d’intérêt de venir chez eux. Je n’ai ainsi pu rencontrer à Malraux que les parents les plus proches de l’institution scolaire (présents à la réunion parents-professeurs) ou intéressés par l’alimentation (le père de Quentin), à part quelques exceptions (la mère de Moustafa, le père de Nathan, les parents de Kelly, et également les parents de Yacine). Ainsi, l’échantillon à Malraux est plus petit qu’escompté et sans doute biaisé : je n’ai pas pu rencontrer les familles les plus précaires ou éloignées de l’institution scolaire.

1.2.3 À Renoir, une lettre destinée aux parents

Au collège Renoir, étant donné que ma relation avec les élèves était bonne et que je savais qu’ils penseraient à transmettre le message à leurs parents, j’ai utilisé une stratégie proche de celle initialement prévue pour Laplace. J’ai préparé une lettre (cf Annexe 5), plus longue que le mot dans le carnet des élèves de Laplace, et demandant directement un numéro de téléphone pour les joindre. Leur accord n’est pas sollicité, il est implicitement supposé acquis : ils n’ont pas vraiment le choix de donner leur numéro. Cette lettre a été relue par la principale-adjointe et légèrement corrigée par elle. Elle a été distribuée le 23 mars 2012 en TP de SVT (donc en demi-groupes), j’ai expliqué à l’oral très rapidement que je souhaitais rencontrer les parents. Il y a eu peu de réactions de la part des élèves, seulement des demandes de précision sur le type de numéro demandé (un fixe ou un portable). Cette méthode a été particulièrement fructueuse dans ce collège, puisque dès le lendemain, la moitié des lettres étaient rapportées remplies. Ce qui est donc très différent de Laplace : les élèves communiquent davantage sur l’école avec leurs parents (et j’étais mieux intégrée). Au bout d’une semaine, j’avais 27 lettres sur 29. Fatimatou oubliait constamment de la montrer à ses parents (c'est la seule élève de la classe à vivre dans la cité non loin du collège), Iris également. Finalement, elles me donnent le numéro de téléphone de chez elles sans montrer la lettre à leurs parents. J’avais donc à disposition les coordonnées de l’ensemble des parents de la classe. J’ai rencontré finalement 25 familles : une mère a refusé (la mère de Maxime) parce que son enfant « n’a pas de problème de poids », une mère a constamment déplacé le rendez- vous du fait que sa maison était en travaux (la mère d’Iris) et il y a deux familles que je n’ai pas eu le temps d’appeler (les parents de Romain et de Fatimatou). En entretien, il est arrivé que le parent interrogé me dise que son enfant l’avait incité à me recevoir chez lui, en disant que toute la classe le faisait. Une élève, Caroline, m’explique en entretien que « c'est normal » : « J’avoue que ça m’a pas motivée, mais je trouve ça normal, on fait un projet, c'est

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normal d’y participer. Ben oui, je trouve ça normal moi. » Le fait que ma relation avec les élèves soit bonne et qu’ils soient beaucoup plus réceptifs au projet alimentation a facilité la décision positive des parents pour me recevoir chez eux. Les élèves de Renoir apparaissent comme beaucoup plus dociles vis-à-vis de l’institution scolaire que les élèves de Malraux ou de Laplace. L’échantillon à Renoir est cette fois beaucoup plus conséquent, et donc moins biaisé, bien que dans les quatre élèves que je n’ai pas rencontrés, il y ait des élèves de milieux plus défavorisés (notamment Fatimatou) qui auraient pu compléter mes connaissances sur les familles populaires. J’ai tout de même pu rencontrer à Renoir plusieurs familles clairement issues des milieux populaires.

Ainsi, la prise de contact avec les parents des différents collèges a été semée d’embûches, et il a fallu trouver des stratégies permettant d’obtenir des rendez-vous. Il apparaît qu’il est beaucoup plus difficile de rencontrer des familles de milieu populaire que des familles de classe moyenne. Cela peut être expliqué par le rapport de domination assez fort10 que subissent les familles populaires : elles peuvent avoir honte de montrer un logement exigu, parfois insalubre et il est possible qu’elles appréhendent de se faire questionner par une étudiante. Ma relation aux élèves est également une explication assez plausible puisqu’il semble que leur motivation par rapport à ma venue compte dans la décision que prennent les parents. Une plus grande docilité et réceptivité des élèves par rapport au projet alimentation est à l’origine d’une acceptation plus forte de ma visite par les parents. Tous ces éléments sont liés au milieu social des familles : leur proximité avec l’institution scolaire étant variable, passer par l’école pour les rencontrer est plus ou moins efficace.

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