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Le pre adolescent construit comme homo medicus par les pouvoirs publics dans le cadre de l’e ducation pour la sante

3 L’éducation alimentaire à l’école et la naissance du Programme National Nutrition Santé

3.2 Création du PNNS puis deux reconductions

La mise sur l’agenda de l’obésité en France s’est faite à la fin des années 90, sous l’impulsion d’un petit groupe d’experts français chargés de rédiger un document sur l’obésité à la suite d’un rapport de l’OMS préconisant des recommandations nationales124

. En 2000, le Haut Comité de Santé Publique publie un rapport sur la situation nutritionnelle en France intitulé « Pour une politique nutritionnelle de Santé Publique en France ». Ce rapport avait été demandé en mai 1999 par la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité et le Secrétaire d’État à la Santé et à l’Action sociale pour faire une étude globale de la situation française qui était perçue comme alarmante (avec notamment une augmentation des maladies cardio-vasculaires, liées en partie au surpoids). À la suite de ces événements, un vaste programme de santé publique est lancé, le Programme National Nutrition Santé. Le PNNS est créé en 2001 pour une durée de 5 ans (jusqu’en 2005). On le nommera par la suite PNNS 1 puisqu’il sera reconduit deux fois. Dans le document synthétique sur le PNNS 1125, un contexte assez sombre est présenté : à côté de l’énumération des conséquences néfastes sur la santé d’une mauvaise alimentation (maladies cardiovasculaires, tumeurs malignes, obésité, ostéoporose, diabète), la question du coût économique est abordée : il est qualifié de « considérable126 ». Il est donc temps pour l’État de réagir, pour ne pas suivre l’exemple Américain. Le PNNS a pour objectif général « d’améliorer l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant

sur l’un des ses déterminants majeurs qu’est la nutrition127

». Ce programme se veut « conforme à la culture alimentaire française128 », en effet il est censé reposer sur « le respect

du plaisir, de la convivialité, et de la gastronomie129 » avec une « approche positive130 ». Neuf objectifs prioritaires sont avancés :

- « Augmenter la consommation de fruits et légumes […]. - Augmenter la consommation de calcium […].

124 Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l'obésité, op. cit., p. 165-166.

125 Bernard ouchner, « Programme National Nutrition-Santé PNNS ». Paris, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 1-40, 2001.

126 Ibid., p. 4. 127

Ibid., p. 6.

128 CREDOC, Du discours nutritionnel…, op. cit.

129 Serge Hercberg, « Eléments de bilan du PNNS 2001-2005 et propositions de nouvelles stratégies pour le PNNS 2 2006-2008 », janvier 2006, p. 13.

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- Réduire la contribution moyenne des apports lipidiques totaux […]. - Augmenter la consommation de glucides (notamment de fibres) […]. - Réduire l’apport d’alcool […].

- Réduire de 5% la cholestérolémie moyenne dans la population des adultes. - Réduire de 10 même de mercure la pression artérielle systolique chez les adultes. - Réduire de 20% la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les adultes et

interrompre l’augmentation, particulièrement élevée au cours des dernières années, de la prévalence de l’obésité chez les enfants.

- Augmenter l’activité physique quotidienne […]. »

Les objectifs sont assez ambitieux, comme celui concernant le surpoids : réduire de 20% la prévalence du surpoids et de l’obésité. Découlent de ces objectifs neuf repères simples, sur les habitudes alimentaires et d’exercice physique à adopter, visibles sur le site internet créé à l’occasion du lancement du programme : www.mangerbouger.fr. Ces repères ont été élaborés dans le souci d’apporter une clarté et une cohérence aux messages délivrés à la population. Les pouvoirs publics veulent éviter une « cacophonie » qui a été relevée par certains sociologues131. Ceux-ci remarquent une profonde incohérence des messages qui arrivent aux oreilles des mangeurs. Par exemple, les médias véhiculent à un instant donné un éloge du plaisir gustatif par des publicités alléchantes et un discours sur une alimentation saine et équilibrée. D’autre part, l’incohérence peut se situer au sein même des messages d’éducation alimentaire. C'est le cas pour la diversification alimentaire des nourrissons : selon les périodes, l’on conseille une diversification précoce (pour développer le goût des enfants) ou tardive (du fait des risques d’allergies)132

. Les initiateurs du PNNS ont donc pour principal objectif de donner des repères simples, clairs et de les diffuser sur l’ensemble du territoire. Le premier repère concerne les fruits et légumes. Ces aliments sont donc mis au premier plan des recommandations nutritionnelles. Il est conseillé d’en consommer au moins cinq par jour – au départ, l’APRIFEL (Agence Fruits et Légumes Frais) souhaitait que soit recommandé de consommer dix fruits et légumes par jour, c’est cette agence qui a été à l’origine de campagnes allant dans ce sens. Mais jugeant cette recommandation difficile à mettre en pratique, les acteurs du PNNS l’ont revue à la baisse. Des repères de consommation (il s’agit

131 Claude Fischler, L'Homnivore. Le goût, la cuisine et le corps., Paris, Odile Jacob, 2001. 132

Séverine Gojard, « Changement de normes, changement de pratiques? Les prescriptions alimentaires à destination des jeunes enfants dans la France contemporaine », Journal des anthropologues, N° 106-107, 2006.

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des neuf repères visibles sur le site internet) sont ainsi délivrés pour chaque groupe d’aliments, qui sont au nombre de sept. De plus, il est conseillé de limiter ses apports en sel et de pratiquer une activité physique régulière. Dans le document de synthèse, la question de la cohérence est bien mentionnée : « Les stratégies et actions doivent être cohérentes, sans

contradiction, ni explicite ni par omission133 ». Un des moyens utilisé pour atteindre cette cohérence est la création du « logo PNNS », il permet « d’authentifier toute action conçue et

menée en conformité avec les objectifs nutritionnels du PNNS134 ». Par une demande volontaire, toute action, publique ou privée, identifiée conforme au PNNS pourra en bénéficier. Des guides grand public sont édités tels que « La santé vient en mangeant, le guide

alimentaire pour tous », ils visent à informer la population des repères nutritionnels.

Une équipe d’experts sous la direction du Professeur Serge Hercberg – à la tête du comité de pilotage du PNNS – a mené une évaluation qualitative (mais aussi quantitative) du PNNS 1 et a formulé des propositions de nouvelles stratégies pour le PNNS 2. Les évaluateurs ont cherché à savoir si les actions du PNNS sont suffisamment visibles (le logo PNNS est-il connu ?), comment les guides sont perçus par la population, dans quelle mesure les campagnes de promotion des fruits et légumes ou de l’activité physique sont mémorisées. Les résultats sont plutôt encourageants. Aucune évaluation concernant la consommation de certains aliments en rapport avec les repères fixés n’a été faite. Dans l’introduction à cette partie « éléments d’évaluation », il est rappelé que « les évaluations présentées ne visent pas à

tester leur impact direct et quantifiable sur tel ou tel objectif du PNNS. En effet, il était précisé dès la mise en place du PNNS, en 2001, qu’aucune action, mesure ou outil développé au niveau national, quelle que soit sa qualité, ne peut à lui-seul avoir un impact directement mesurable sur les objectifs nutritionnels du PNNS.135 » Cette explication donnée par les promoteurs du PNNS est un moyen d’esquiver les critiques quant à des chiffres peu concluants concernant l’efficacité du programme. Les auteurs du rapport s’appuient sur des données ponctuelles ou indirectes permettant d’avoir une idée sur l’évolution des consommations, avec les achats des ménages de fruits et légumes frais par exemple, récoltées par SECODIP en 2003. L’évolution de la prévalence du surpoids et de l’obésité a elle aussi été mesurée par la DRESS (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des

133 Bernard Kouchner, op. cit., p. 9. 134 Ibid., p. 13.

135

Serge Hercberg, « Eléments de bilan du PNNS 2001-2005 et propositions de nouvelles stratégies pour le PNNS 2 2006-2008 », op. cit., p. 100.

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statistiques) et par l’enquête ObEpi-Roche136. Les conclusions sont qu’ « il est possible de

penser que certains "frémissements" sont réellement en cours depuis 2003, dont on peut penser qu’ils sont dus aux effets directs ou indirects du PNNS137

». Ainsi, le PNNS 2 arrive sans qu’il n’y ait vraiment eu d’évaluations positives du PNNS 1, ce qui représente une critique importante faite au PNNS : ce n’est pas du fait de retombées positives qu’il est reconduit, mais, d’après Jean-Pierre Poulain, du fait d’un « sentiment plus ou moins confus

que les "choses vont dans le bon sens", que les "acteurs se mobilisent"138 ». Un groupe d’experts de l’Institut français pour la nutrition écrit que : « Pour le PNNS 2, il

est indispensable de prévoir, dès le début, un dispositif d’évaluation139 ». Les fondateurs du PNNS 2 prennent en compte ces recommandations et prévoient qu’ « en fin de programme

(2010), une évaluation externe de l’efficacité des mesures mises en place sera commandée afin de pouvoir, à l’issue de ce deuxième programme, réorienter les mesures en fonction de leur efficacité observée140 ». Néanmoins, les stratégies envisagées pour le PNNS 2 sont avant tout celles d’un maintien des objectifs du PNNS 1. Trois plans d’actions sont proposés :

- « Prévention nutritionnelle globale : offrir à tous les conditions d’une alimentation et

d’une activité physique favorable à la santé. Rendre réellement réalisables les repères de consommation du PNNS

- Prendre en charge l’obésité de l’enfant et de l’adulte

- Améliorer la prise en charge transversale de la dénutrition ou de son risque,

notamment chez le sujet âgé (en ville et dans les établissements de santé et médico- social)141 »

Le PNNS 2 est donc lancé en 2006 et vise à prolonger le PNNS 1. Dans les fondements de ce programme, est rappelée l’importance de « la promotion de la culture alimentaire

française142 ». Les neuf objectifs prioritaires sont gardés, avec deux légères modifications dans des bornes chiffrées (apport en alcool et pression artérielle). Les trois plans d’action proposés dans le rapport du Professeur Serge Hercberg sont adoptés.

136 Il s’agit d’une enquête nationale sur l’obésité et le surpoids menée régulièrement en France. 137 Ibid., p. 143.

138 Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l'obésité, op. cit. 139 Ibid., p. 263.

140

Xavier Bertrand, « Deuxième Programme national nutrition santé (PNNS) ». Paris, Ministère de la Santé et des Solidarités, 2006, p. 10.

141 Serge Hercberg, « Eléments de bilan du PNNS 2001-2005 et propositions de nouvelles stratégies pour le PNNS 2 2006-2008 », op. cit., p. 148-149.

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Un rapport d’évaluation du PNNS 2 est écrit, qui constate des avancées encore insuffisantes par rapport au problème de l’obésité143

. Il est également question des actions auprès des populations défavorisées, dont l’impulsion au niveau national est jugée trop faible, elles sont donc relayées par des actions locales ponctuelles. Il est ainsi recommandé de « redonner la priorité aux actions en faveur des plus démunis144 ».

Ainsi, dans le PNNS 3 (2011-2015), la question des inégalités sociales de santé est mise au centre. Elle constitue l’objet du premier axe stratégique du programme : « Réduire par des

actions spécifiques les inégalités sociales de santé dans le champ de la nutrition au sein d’actions générales de prévention145

». L’importance de ces inégalités, surtout dans le domaine de la nutrition (prévalence du surpoids, des cancers), et les difficultés qu’éprouvent les politiques à diminuer ces écarts de niveau de santé, font que les forces sont rassemblées pour œuvrer en faveur de la réduction de ces inégalités. Le PNNS 3 n’est pas dans la continuité directe des deux PNNS précédents, les principes généraux sont remaniés et les leviers stratégiques aussi, avec quatre axes stratégiques, dont nous avons évoqué le premier. Le Programme National pour l’Alimentation (PNA) est présenté par le gouvernement en septembre 2010, il vise à (1) « faciliter l’accès de tous à une alimentation de qualité », (2) « améliorer l’offre alimentaire », (3) « améliorer la connaissance et l’information sur

l’alimentation », (4) « promouvoir le patrimoine alimentaire et culinaire français matériel et immatériel », (5) « innover et développer des outils pour bâtir des modèles alimentaires durables et de qualité », (6) « conduire des actions de communication146 ». Ce programme

vient compléter le PNNS en apportant une nouvelle dimension centrée davantage sur les aliments, le « modèle alimentaire français » que sur la nutrition et la santé.

Ainsi le PNNS s’oriente vers des actions dirigées vers des populations spécifiques comme les plus démunis, notamment par des actions locales. Le programme EPODE (Ensemble Prévenons l’Obésité des Enfants), créé et mis en place en 2004147

, avait pour stratégie initiale de « transposer les messages du PNNS dans le cadre d’opérations locales visant la vie

143 Danièle Jourdain Menninger, Gilles Lecoq et Jérôme Guedj, « Evaluation du programme national nutrition santé PNNS2 2006-2010 ». Paris, France, Inspection générale des affaires sociales

Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, 248, 2010, p. 70. 144

Ibid., p. 127.

145 Programme national nutrition santé 2011-2015, Ministère du travail, de l’emploi et de la santé. 146 Programme National pour l’Alimentation, document de présentation, février 2011, p. 4,5,6,7. 147

L’étude Fleurbaix Laventie Ville Santé a été menée bien avant le programme EPODE : de 1992 à 2004 dans deux villes du nord de la France.

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quotidienne de la population148 ». Ce programme, du fait de son succès, s’est développé par la suite en Europe mais également en Australie. L’un des objectifs explicites du dispositif est la diffusion d’informations par les enfants aux parents. L’action étudiée dans cette thèse est elle aussi locale, et c'est cet objectif de diffusion ascendante, bien qu’il soit implicite, qui est regardé à la loupe. Est-ce qu’une action locale est plus efficace que les campagnes nationales, comme le suggèrent les rapports des experts travaillant sur le PNNS ? D’autres types d’actions locales peuvent être menées dans les écoles, mais également certaines règlementations modifient l’offre alimentaire, participant à une éducation alimentaire des élèves.

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