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Analyse du projet au regard des modèles d’éducation à la santé

Le pre adolescent construit comme homo medicus par les pouvoirs publics dans le cadre de l’e ducation pour la sante

4 Le « projet alimentation », un projet d’éducation alimentaire en milieu scolaire

4.2 Analyse du projet au regard des modèles d’éducation à la santé

Dans le livret de présentation du dispositif « Éducation des adolescents à la consommation », il est décrit comme suit : « [Il s’agit d’] un dispositif d’éducation critique à

la consommation alimentaire. Il a pour objectif d’aider les adolescents à mieux maîtriser leurs choix en matière d’achat et de consommation de produits alimentaires ». Ceci fait

résonnance avec le modèle de l’homo medicus que nous avons décrit plus haut. Il s’agit de rendre les adolescents capables de faire leurs choix en connaissance de cause.

Il est précisé ensuite que ce dispositif a été conçu dans « le souci de placer les jeunes en

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d’acteur177

par la recherche de supports pédagogiques diversifiés ». L’importance de rendre

acteurs les jeunes dans la situation éducative est soulignée : l’élève n’est pas seulement un récepteur passif mais il produit le savoir qu’il acquiert au cours de la séance.

Ce dispositif est pensé comme une action continue, sur une année scolaire, menée par les enseignants d’une classe, donc avec un travail d’équipe et une dynamique collective. Cela reprend bien certaines idées défendues par les pouvoirs publics, comme celle exprimée dans le bulletin officiel du 3 décembre 1998, Orientations pour l’éducation à la santé à l’école et

au collège : « l’éducation à la santé doit s’inscrire dans un projet éducatif global ». Le

principe selon lequel les actions d’éducation à la santé doivent s’inscrire dans la durée pour être efficaces a été énoncé par plusieurs experts ou acteurs d’éducation à la santé. De plus, les enseignants sont vus par certains comme les mieux placés pour réaliser des activités d’éducation à la santé puisque les élèves sont habitués à eux et ont confiance en eux. « Les

études sociologiques sur les degrés d’influence des adultes auprès des jeunes montrent qu’en dehors des parents, les enseignants sont désignés comme personnes de référence178. »

Les différents modules du dispositif EduConso peuvent être analysés au regard des principes d’éducation à la santé. Ils sont au nombre de cinq.

Le premier module, intitulé « se connaître en tant que consommateur » correspond à deux livrets pédagogiques. Le premier consiste en un questionnaire (réalisé en partenariat avec une école d’ingénieurs agronomes) rempli par les élèves en classe. Ce questionnaire fait ensuite l’objet d’une analyse statistique des résultats pouvant aboutir à une comparaison de la classe avec les résultats d’une autre classe, donnés sur le CD allant avec le livret. Le deuxième livret est appelé atelier « Goûts, sens, préférences », il a été réalisé avec un laboratoire d’analyse sensorielle. Le questionnaire « Quel mangeur je suis ? » permet à l’élève de « mieux repérer

les éléments liés à l’environnement social et culturel qui interfèrent dans [ses] choix d’achat et de consommation ». Le questionnaire a été réalisé par une sociologue, qui a en tête des

idées concernant les éléments qui influencent les comportements, qu’elle a envie de faire pointer du doigt aux élèves. Un temps de discussion en groupe est prévu : « Il est important de

prévoir que les élèves puissent discuter de la restitution, soit à la fin, soit pendant ». Il s’agit

donc d’une séance interactive, se basant sur le vécu de chacun, et pas sur des informations « parachutées ». Le deuxième livret de ce module, l’atelier « Goûts, sens, préférences » est une « sensibilisation des jeunes à la connaissance de leurs propres goûts et préférences

177

Souligné par moi.

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alimentaires », il s’agit de permettre « à chaque jeune de développer des notions liées à son

épanouissement personnel179 par une meilleure connaissance de lui-même, son corps, son fonctionnement et ses capacités à exprimer ses sensations. » Il est question ici de découverte

de ses sensations par un atelier pratique, au cours duquel les élèves goûtent différents aliments et doivent exprimer leurs réactions. À nouveau, cet atelier part de l’expérience propre des élèves et de leurs réactions verbalisées pour enrichir la discussion. La question de l’épanouissement des élèves est soulignée dans le livret : les compétences psychosociales, chères à l’éducation à la santé moderne, sont valorisées.

Le deuxième module s’intitule « Décrypter les étiquettes et les publicités ». Il correspond à deux livrets pédagogiques. Le premier concerne l’atelier « La lecture des étiquettes ». L’objectif est de permettre aux adolescents de « reconnaître et déchiffrer les informations

réglementaires, celles qui sont transmises par le fabricant à son initiative et celles qui sont à visée publicitaire, reconnaître les signes de qualité et savoir les hiérarchiser ». Il s’agit

finalement de donner les clés aux adolescents pour qu’ils puissent choisir le mieux possible les produits qu’ils consomment. Il s’agit donc d’en faire des homo medicus. Cet atelier, tel qu’il est conçu, consiste davantage en un apport d’informations qu’en une participation active des élèves. Nous verrons comment il est remanié par les enseignants des deux collèges. Le deuxième livret concerne l’exposition « Le goût de la publicité ». Il vise la « compréhension

des techniques publicitaires mises en œuvre pour inciter les jeunes à acheter ». Cette action a

été conçue en partenariat avec le Musée des Arts Décoratifs et de la Publicité. Une exposition d’affiches publicitaires peut être empruntée au Conseil général sur demande, à l’issue de l’exposition, l’enseignant explique les techniques publicitaires qui ont été utilisées. Il peut suivre une formation pour se préparer à cet atelier avec une intervenante du musée. Enfin, il peut être proposé aux jeunes de réaliser eux-mêmes une publicité visant à illustrer un message nutritionnel. À nouveau ici un apport d’informations mais qui peut se transformer en action par la conception d’une affiche publicitaire. Je n’ai pas pu observer cet atelier puisqu’il n’a pas été réalisé dans les collèges enquêtés.

Le troisième module, « découvrir la chaîne agroalimentaire », est composé d’un classeur pédagogique. Il permet de « mieux appréhender l’ensemble de la chaîne agroalimentaire par

le biais de visites de sites agroalimentaires ». Il s’agit donc de rétablir le lien entre les

aliments et leur origine. Ce module fait écho au discours de certains sociologues sur la

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situation actuelle de « déconstruction180 » de l’alimentation par l’éducation nutritionnelle. En effet, les nutritionnistes décomposent les aliments en calories, lipides, protéines et glucides : les aliments perdent alors leur globalité et l’on oublie d’où ils viennent et comment ils arrivent dans nos assiettes. Ce qui entretient, selon Jean-Pierre Corbeau, les peurs actuelles autour de ces aliments auxquels on ne fait plus confiance181.

Le quatrième module s’intitule « Approfondir les liens entre alimentation et santé ». Le but est de permettre aux élèves « de comprendre comment se construit l’équilibre alimentaire

dans la vie de tous les jours ». Il est bien précisé que « l’objectif n’est pas de donner des consignes précises tels que des menus types mais de donner des éléments de réflexion qui permettent aux jeunes de faire des choix plus pertinents ». Cet atelier aborde le thème

classique du rôle de l’alimentation dans la santé, mais de façon assez originale. Dans les activités pédagogiques proposées, l’on trouve par exemple la participation des élèves à la commission menu. C'est lors de cette commission que les menus de la cantine pour le mois suivant sont décidés. Cependant, il n’y a pas de commission menu dans tous les collèges (entre autres du fait que certaines cantines sont satellites et ne font que réchauffer des plats venant d’une cuisine centrale). Une autre fiche propose de créer un potager au collège. Ce sont donc des activités qui sortent de la simple transmission d’informations sur l’équilibre alimentaire. Une fiche aborde le thème : « transmettre aux autres l’importance de bien

manger au quotidien ». Il est conseillé d’associer cette activité aux semaines de distribution

de fruits, lors desquelles les élèves de la classe « projet » peuvent aider à la préparation des fruits, à la décoration du réfectoire, à la réalisation de panneaux,… Il est proposé également de faire préparer aux élèves un petit déjeuner pour une autre classe, petit déjeuner qu’ils animeront. Les enfants sont ainsi rendus acteurs de la propagation de l’action sur l’ensemble du collège et même en dehors : dans leurs familles. Nous aborderons ce point dans la sous- partie suivante.

Le cinquième et dernier module, « Explorer ses goûts à travers art et alimentation », a été construit en partenariat avec un musée d’art contemporain. Il « offre aux adolescents des

outils pour mieux explorer leurs goûts à travers des visites gustatives ». Il s’agit d’une visite

guidée dans le musée accompagnée d’une dégustation lors de laquelle les élèves « expérimenteront par la dégustation et le regard les points communs entre le goût et la

180 Jean-Pierre Corbeau, Nourrir de Plaisir. Régression, transgression, transmission, régulation? , Paris, Les Cahiers de l'Ocha n°13, 2008.P. 6.

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Jean-Pierre Corbeau, « Pour une approche plurielle de notre alimentation », Cholé-Doc, N° 104, novembre- décembre 2007.

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vue ». L’alimentation est vue ici avant tout comme un plaisir gustatif, donc de façon positive.

Il s’agit par cette activité de « réenchanter » l’alimentation, thème cher à certains sociologues182.

Ce dispositif est donc proche des idées actuelles à la fois sur les méthodes à employer en éducation à la santé et sur la conception de l’éducation alimentaire, qui ne doit plus être qualifiée de nutritionnelle. Un des objectifs des promoteurs de cette action est de rendre les adolescents messagers de la bonne parole « alimentation saine » auprès des autres élèves et même de leur famille, d’en faire des homo medicus.

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