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Comment se comporter avec les adultes du collège et les préadolescents ?

2 Une ethnographie auprès de préadolescents

2.2 Relation de l’enquêtrice avec les enquêtés

2.2.2 Comment se comporter avec les adultes du collège et les préadolescents ?

N’ayant pas défini à l’avance de comportement précis à adopter et me laissant davantage guider par le terrain, j’ai oscillé entre différentes positions. La difficulté que j’ai rencontrée était de me faire accepter à la fois des adultes du collège – sans quoi je risquais de perdre l’accès au terrain – et des élèves – pour pouvoir recueillir un matériau intéressant. Séverine Depoilly a rencontré le même problème lors de son enquête en lycée professionnel : « La

difficulté de l’entrée et du maintien sur les terrains scolaires tient alors à la fois de la qualité du contact entretenu avec les adultes de l’établissement et de celui que l’on parvient à établir avec les élèves56 ». Ainsi mon statut était pour le moins ambigu puisque j’étais d’un côté, pour

les enseignants ainsi que l’infirmière (à Malraux) et le personnel administratif, une coordinatrice du projet alimentation et une aide à sa mise en place. Cette casquette était la condition de mon accès au terrain : j’étais tolérée dans les deux collèges du fait de ce « contre-don » qui consistait à prendre la charge de la réalisation du projet. Pour les personnels du collège, il ne s’agissait pas vraiment d’un contre-don mais de la raison principale de ma venue au collège. La gestionnaire de Malraux, voyant que la durée de ma présence au collège s’allongeait par rapport à ce qui était prévu, m’a demandé plusieurs fois si j’étais là non pas pour des objectifs personnels mais bien pour travailler pour le collège. En effet, celle-ci s’inquiétait du nombre de repas que je prenais au collège qui dépassait ce qui était prévu : j’avais annoncé que je quittais le collège en février. Il avait été décidé en début d’année que mes repas seraient gratuits puisque sinon j’étais obligée de payer le prix le plus élevé, celui pour une extérieure. À la fin de l’année, j’ai eu à payer ce prix-là : j’avais dépassé les limites de la générosité de l’intendante. J’avais donc à tenir ce rôle d’adulte référent pour le projet, voire d’experte en nutrition, auprès des adultes du collège. D’un autre côté, je jouais (à) l’élève puisque je m’asseyais à côté des élèves en cours, je mangeais à la cantine avec eux (d’ailleurs, les surveillants avaient beaucoup de mal à comprendre pourquoi je n’allais pas dans la salle réservée aux professeurs). Ma double casquette a gêné un certain nombre

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d’adultes au collège, comme la professeure d’arts plastiques de Malraux qui, un jour, a trouvé que j’avais perturbé son cours et que j’avais l’air d’être « copine avec les élèves »57

. Ses propos m’ont été rapportés par l’infirmière qui avait été avertie de la situation par la CPE. La professeure d’arts plastiques n’était pas venue me parler directement mais avait immédiatement prévenu la CPE. Mme Patais, l’infirmière m’a conseillé de me faire plus discrète en cours et de me placer à l’écart des élèves pour ne pas les perturber. J’ai pu finalement en discuter avec Mme Maure (l’enseignante d’arts plastiques), un peu par hasard en salle des professeurs.

Mme Chappes, enseignante de SVT (à moi): T’aurais dû venir à la réunion, tu connais bien les 5ème 4.

Mme Maure : Oui mais on dirait qu’ils la prennent pour sa copine. J’engueulais Laurent et il la regardait comme pour dire « c’est pas grave ce que j’ai fait », pour la prendre à partie. Il la regardait en souriant. Ça va pas du tout s’ils la prennent pour leur copine.

Aurélie : Je sais, mon statut est ambigu. Je suis un peu entre les deux. Mme Chappes : Hier c’est vrai que Jérôme faisait que de te parler. Faut que tu gardes de la distance en cours. Faut que tu leur dises de pas te parler.

(Collège Malraux, carnet d’observations, salle des professeurs, 4/02/11)

C'est à partir de ce moment que je me suis installée au fond de la classe (et que l’incident en cours de musique s’est produit), et je ne suis plus retournée en cours d’arts plastiques. Mon statut particulier était alors source de méfiance pour l’enseignante : de quel côté étais-je ? Du côté des enseignants ou des élèves ? Mon statut d’adulte-élève était instable, je passais de l’un à l’autre au gré des événements. Il me fallait à la fois gagner la confiance des adultes et celle des élèves : des adultes, en leur montrant que j’étais de leur côté, par exemple en ne répondant pas lorsqu’un élève m’adressait la parole en cours ; des préadolescents, en leur montrant que je réagissais différemment des autres adultes, ne les reprenant jamais s’ils parlaient « mal » ou se comportaient « mal » (en cours ou ailleurs), refusant ainsi d’exercer de l’autorité sur les enfants. D’autre part, j’ai voulu m’éloigner d’un statut d’experte en nutrition en ne diffusant aucun discours nutritionnel aux élèves, en évitant absolument des remarques comme « C'est bien de manger ça » ou « c'est pas bon pour toi ». En d’autres termes, j’ai cherché à rester neutre sur ce sujet. Cet effort a l’air d’avoir porté ses fruits, puisque les élèves ne m’ont presque jamais posé de questions sur l’alimentation et n’ont pas hésité à me parler librement

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de leurs préférences alimentaires, souvent détachées des normes nutritionnelles qu’ils connaissent par ailleurs très bien. Ainsi, j’ai oscillé entre différents statuts.

Il m’est arrivé, malgré mes efforts pour ne pas jouer ce rôle, d’avoir à intervenir de façon autoritaire auprès des élèves. Ceci a été notamment le cas quand je me suis retrouvée seule à devoir m’occuper des élèves. C'est arrivé à Renoir pendant une séance sur les natures mortes réalisée par le documentaliste. Ayant des problèmes pour imprimer, celui-ci m’a laissée seule pendant une heure. J’ai essayé tant bien que mal de maintenir le calme et de faire de la discipline, mais étant donné mon statut ambigu d’adulte-élève, j’ai eu beaucoup de difficultés à me faire respecter. À Malraux, l’enseignante d’anglais m’a demandé de surveiller les élèves en train de « plancher » sur un contrôle, le temps qu’elle aille chercher un magnétophone.

La professeure me demande de surveiller pendant qu’elle va chercher un autre magnétophone. Au début, il y a un peu de bruit. Je chuchote à mi-voix : « Yacine ! »

Jérôme me pose une question. Je rétorque : « Je ne réponds à aucune question. » Puis le silence s’installe.

(Collège Malraux, carnet d’observations, cours d’anglais, 6/12/10) Je n’ai pas pu refuser aux enseignants de les aider en surveillant la classe, même si j’étais embêtée d’avoir à jouer ce rôle. Pendant les séances du projet alimentation, notamment celles que j’animais, les choses sont allées encore plus loin puisque je devenais l’enseignante. Je reprenais alors mon statut d’adulte compétent, dominant par rapport aux élèves. À Malraux, la première séance de ce type a eu lieu fin novembre : j’étais inquiète du changement que cela allait impliquer dans mes relations avec les élèves. Finalement, aucun changement ne s’est fait ressentir : ma relation avec eux était déjà installée et ce nouveau rôle d’enseignante ne l’a pas modifiée. À Renoir, ma crainte était dissipée du fait de l’expérience à Malraux. La première séance (les étiquettes en technologie) a eu lieu le 2 décembre et n’a pas non plus modifié ma relation aux élèves.

J’ai également usé de mon autorité à d’autres occasions, comme par exemple une sortie au cinéma à Renoir. Le principal avait réussi à me déclarer accompagnatrice en me faisant passer pour une parent d’élèves. Lors de notre trajet jusqu’au cinéma, j’étais placée à la fin du cortège et j’ai eu à reprendre certains élèves.

Romain s'écarte du trottoir.

Je crie: Romain ! Remets-toi sur le trottoir! […] Arthur ! Rejoins les autres!

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J’ai par ailleurs choisi de jouer le rôle de l’ « accompagnatrice scolaire » pendant certains cours où les enseignants me laissaient circuler entre les rangs, j’allais voir les élèves individuellement pour leur expliquer ce qu’ils n’avaient pas compris ou aider le professeur en TP par exemple. Du fait de mes compétences en biologie, lors de la séance de dissection de la souris à Renoir, j’ai épaulé l’enseignante pour aider les élèves dans la réalisation de la dissection. De même à Malraux, j’ai participé lors d’un TP de SVT utilisant des microscopes. Ainsi, j’ai choisi de me servir de mes compétences, à la fois pour me faire apprécier des enseignants et également pour me rapprocher des élèves en ayant des interactions avec eux de manière individuelle. Il m’est souvent arrivé de me déplacer dans la classe pour discuter avec les élèves plutôt que pour les aider (seulement dans les cours où je sentais que l’enseignant ne m’en tiendrait pas rigueur).

Enfin, le dernier rôle que j’ai tenu, et celui qui pour moi devait être le plus souvent endossé était celui de l’élève. J’ai cherché à sortir d’une relation hiérarchique adulte / élève en me comportant différemment d’un adulte « normal ». Je n’ai pas hésité à parler le langage des préadolescents, à entrer dans leurs jeux, même s’ils pouvaient être déviants. La limite à ces agissements devait toujours être de ne pas perdre la confiance des adultes. Cette limite a parfois été frôlée et m’a valu quelques frayeurs.

Gaétan: On va aller manger en premier parce qu’on a Aurélie à notre table! Loïc : Pourquoi?

Gaétan : Ben on a une adulte. Aurélie : Non, ils s’en foutent !

Gaétan : Vous connaissez le langage jeune!

(Collège Renoir, carnet d’observations, cantine, 8/11/11)

On voit ici que pour les préadolescents, je garde mon statut d’adulte, mais de complice qui peut leur faire obtenir des droits inhabituels. La façon dont je réponds interpelle Gaétan, qui a suffisamment de distance avec « le langage jeune » pour le qualifier ainsi. J’ai adopté une attitude décontractée, ce qui n’était pas si difficile pour moi puisque j’étais encore une « jeune » (25- 26 ans). Mon âge a certainement joué dans la facilité que j’ai eu à me mettre dans la peau d’une élève de 5ème. D’ailleurs à la cantine, il est arrivé que des élèves d’autres

classes viennent me voir en me demandant si j’étais une élève. Par contre, du côté des adultes, cette proximité d’âge avec les élèves n’a fait qu’accentuer la méfiance de certains quant à

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mon « double jeu » d’adulte-élève. En cours de musique, j’ai pu aller assez loin dans ce rôle d’élève, puisque l’enseignante ne me reprenait pas :

On écoute de la musique orientale. Sanata et moi dansons assises sur nos chaises.

(Collège Malraux, carnet d’observations, cours de musique, 4/02/11)

Le cours de musique est particulièrement propice pour jouer à l’élève, puisque je peux participer aux exercices. Par exemple, quand il est demandé de chanter, je n’hésite pas à m’exécuter. À Malraux, je suis même allée sur l’estrade avec mon groupe (la moitié de la classe), j’étais dans le groupe des timides et étais la seule à chanter. Cet épisode a marqué les élèves du groupe-classe, notamment Sanata, qui m’en a reparlé plusieurs fois.

La façon de me comporter avec les élèves a donc été très variable : j’ai cherché à m’adapter aux situations telles qu’elles se présentaient. Ce statut multiple m’a permis d’avoir des interactions très variées avec les élèves et ne m’a pas semblé être une entrave à l’établissement d’une relation de confiance avec eux, en tout cas à Renoir (puisque l’ensemble des élèves a accepté de « m’inviter » chez eux). À Malraux, comme cela a été dit en infra, la présence d’une triple barrière (l’âge mais aussi le milieu social et souvent l’ethnie) a été une entrave à cette relation de confiance, sans doute davantage que la pluralité de mon statut.

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