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1 Construction de la méthodologie

1.3 Une méthodologie combinant plusieurs techniques qualitatives

1.3.1 Des guides d’entretien semi-directifs

Mener des entretiens dans les familles, à leur domicile, avec les parents et le préadolescent enquêté, était la méthodologie pensée au départ de l’enquête, pour avoir accès à la façon dont les normes alimentaires circulent au sein de la famille et pour interroger le rôle d’intermédiaire joué par le préadolescent concernant les normes apprises à l’école lors du projet alimentation.

La prise de conscience de l’importance de la scène scolaire, et notamment du groupe de pairs, dans la réappropriation par les préadolescents du projet alimentation, m’a conduite à considérer les entretiens comme une méthode permettant de compléter les informations obtenues par observation, et plus comme la méthode principale de cette enquête.

Ce volet du dispositif méthodologique était tout de même important à plusieurs titres. Il a permis d’apporter des informations sur les trajectoires sociales des familles, mais aussi migratoires pour certaines, ainsi que sur les événements familiaux qui ont pu bouleverser le quotidien de la famille. Il a été l’occasion d’avoir une idée précise des pratiques alimentaires familiales, en tout cas de recueillir un discours sur ces pratiques (j’ai eu l’occasion de prendre un repas avec certaines familles, quand elles m’y invitaient). Le fait d’interroger les parents (ou l’un des parents) et le préadolescent séparément ou en coprésence m’a permis soit de croiser des informations données par les uns et les autres, soit d’observer des interactions parfois très intéressantes pour avoir une idée précise des relations intrafamiliales.

J’ai fait le choix de réaliser des entretiens semi-directifs, suffisamment longs (d’une moyenne d’1h30 avec les parents et de 50 minutes avec les jeunes) pour avoir le temps d’aborder un grand nombre d’aspects de la vie quotidienne de la famille et accordant suffisamment de liberté de parole pour entamer une véritable discussion, beaucoup plus riche à mon sens.

Les guides d’entretien ont été repris avant chaque nouvelle étape de l’enquête (entre la préenquête et la première année de l’enquête principale, et entre la première et la deuxième année). Les entretiens menés à chaque étape ayant été retranscrits et analysés avant le début de la suivante, j’ai pu reprendre les guides pour y ajouter des questions qui manquaient ou pour en corriger ou en enlever d’autres qui étaient apparues peu pertinentes.

130 Guide d’entretien avec les parents

Le guide est composé de plusieurs parties, avec quelques questions dans chacune, qui constituaient plutôt des pense-bêtes que des questions qui ont été posées systématiquement telles quelles. Je ne détaille ici que les guides d’entretien de l’enquête principale.

Celui qui a servi pour la première année était composé de 6 thèmes. Il commençait par un récit des prises alimentaires de la veille. Cette première question, très factuelle, permettait de mettre à l’aise l’interlocuteur et d’amorcer la discussion en lui faisant comprendre que j’attendais des détails dans ses récits (par des questions de relance). Le deuxième thème, qui est plutôt une rubrique, consistait en des scénarios. Je détaillerai cette partie du guide d’entretien dans la prochaine sous-partie. J’abordais ensuite, pas forcément dans l’ordre qui était inscrit sur mon guide, l’histoire familiale : la trajectoire sociale et migratoire en remontant aux grands-parents du préadolescent, les événements familiaux mais aussi les habitudes alimentaires pendant l’enfance. Tous ces éléments se sont révélés particulièrement importants pour comprendre le rapport aux normes alimentaires et les relations parents-enfant des familles enquêtées. Il était ensuite question de la façon dont les parents géraient l’alimentation de leurs enfants. Cette question avait déjà été largement abordée avec les scénarios (cf infra), mais elle permettait d’aborder d’autres sujets comme l’argent de poche. Le thème suivant portait sur les discussions que les parents pouvaient avoir avec leurs enfants au sujet de l’alimentation : il était question par exemple des repas à la cantine ou, ce qui était précisément notre sujet de départ, du contenu des séances du projet alimentation. Enfin, je m’enquérais d’éléments plus factuels concernant la vie quotidienne de la famille comme par exemple le rythme en semaine (heure des repas, coucher, devoirs). Ces éléments permettaient de mieux comprendre l’environnement familial dans lequel se trouvait le préadolescent enquêté : mange-t-il à table avec ses parents ? Fait-il ses devoirs avec leur aide ? Le but était notamment de savoir quel type de relation entretenaient parents et enfants.

Le guide qui a servi pour la deuxième année contenait les mêmes thèmes parfois légèrement modifiés (surtout au niveau des questions) auxquels s’ajoutaient deux nouveaux thèmes : les relations parent-préadolescent et le rapport à l’école. Ces thèmes avaient émergé après les analyses faites à partir du premier terrain de l’enquête principale. Je m’étais aperçue que ces deux éléments étaient centraux pour comprendre le rapport qu’entretiennent les préadolescents avec le projet. Ainsi, j’ai interrogé les parents sur les moments de discussion qu’ils pouvaient avoir avec leur enfant, sur les sujets abordés, et plus généralement sur les moments passés avec lui. Pour appréhender leur rapport à l’école, je leur ai demandé de me

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raconter comment s’étaient passées leurs études, mais aussi de me dire s’ils appréciaient le collège de leur enfant et s’ils étaient préoccupés par ses résultats scolaires.

Guides d’entretien avec les préadolescents

Mes enquêtes précédentes (préenquête et enquête de M2R) m’avaient montré à quel point il était plus difficile d’obtenir de longs discours de la part d’adolescents ou de préadolescents. De nombreux chercheurs ont eu la même expérience, comme par exemple Le Pape11 qui l’explique dans sa thèse. Mes observations en collège avaient pour seul objectif au départ de contourner cet obstacle en gagnant la confiance de mes enquêtés. J’avais effectivement l’impression que leur manque de volubilité était en grande partie lié à leur timidité face à une adulte qui leur était inconnue. Ma présence fréquente au collège et mon intégration au sein du groupe-classe a été en effet favorable à la libération de leur parole, d’autant plus à Renoir où mon intégration a été plus facile et plus rapide. Pendant l’entretien, j’ai utilisé une technique pour démarrer l’entretien par une activité plutôt ludique et ainsi éveiller leur intérêt : j’ai demandé aux jeunes enquêtés d’aller chercher dans leur cuisine les cinq aliments qu’ils préféraient, je les ai ensuite photographiés et leur ai demandé à quelles occasions ils les consommaient. Cette activité pratique permettait de détendre l’atmosphère et de commencer l’entretien par quelque chose de vraiment concret. Les photographies ainsi recueillies permettaient d’avoir une image précise des préférences alimentaires des préadolescents et du type d’aliments présents chez eux (des produits de marque, ou au contraire sans marque). La comparaison est facilitée par ce support, c’est pourquoi elle est de plus en plus utilisée en sociologie12. La seconde partie de l’entretien consistait en des scénarios, qui eux-aussi étaient pensés de manière à rendre l’entretien plus ludique. La suite du guide d’entretien était proche de celui proposé aux parents. La première année, j’avais simplement noté quelques éléments à ne pas oublier d’aborder : entre autres les relations avec la fratrie, avec les parents, les préférences alimentaires, les prises alimentaires de la veille. La seconde année, j’avais défini des thèmes, comme pour le guide d’entretien des parents, et qui s’en rapprochaient assez.

11 Marie-Clémence Le Pape, « La famille à l'épreuve des risques. Logiques éducatives et stratification sociale », thèse de doctorat, op. cit., p. 238.

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Voir par exemple Hervé Glevarec, « Les trois âges de la "culture de la chambre" », Ethnologie française, vol. 40, N° 1, 2010.

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