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À l’école : des règlementations apparaissent sur les prises alimentaires

Le pre adolescent construit comme homo medicus par les pouvoirs publics dans le cadre de l’e ducation pour la sante

3 L’éducation alimentaire à l’école et la naissance du Programme National Nutrition Santé

3.3 À l’école : des règlementations apparaissent sur les prises alimentaires

L’école est un lieu de prise alimentaire, notamment le midi (pour les élèves demi- pensionnaires) avec la cantine, mais aussi dans la journée par des prises que l’on pourrait qualifier de « grignotage », ou, de façon moins normative, de « collations ». La cantine, telle qu’elle est instituée en France, est un cas particulier si l’on se place au niveau international149

. Dans beaucoup de pays, les élèves apportent des « lunch box150 » provenant de chez eux ou peuvent acheter des aliments (souvent peu diététiques) à la cafétéria, tenue par une entreprise privé, ou à d’autres endroits. En France, la cantine est un « service public facultatif151

», ce qui signifie que les élèves ne sont pas obligés d’y manger mais qu’ils ont tous la possibilité de le faire. Les parents payent une somme variable selon leurs ressources financières. Des aides à la demi-pension (provenant souvent des collectivités territoriales) sont prévues pour les familles en situation de précarité. Il existe également un « fonds social pour les cantines » (FSC) qui permet la gratuité aux familles les plus précaires152. La restauration scolaire – c'est ainsi que la cantine est nommée de façon officielle – est un lieu collectif dans lequel les enfants mangent des repas préparés sur place (cuisine « autonome ») ou livrés et réchauffés d’une cuisine « centrale » vers une cuisine dite « satellite ». Les repas sont le plus souvent conçus par une équipe constituée entre autres d’une diététicienne. Des recommandations assez

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Henri Bergeron, Patrick Castel et Etienne Nouguez, « Un entrepreneur privé de politique publique. La lutte contre l'obésité, entre santé publique et intérêt privé », Revue française de science politique, vol. 61, N° 2, 2011, p. 217.

149 Kevin Morgan et Roberta Sonnino, The School Food Revolution: Public Food and the Challenge of

Sustainable Development, London, Earthscan, 2008.

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Alan Metcalfe, Jenny Owen, Geraldine Shipton et Caroline Dryden, « Inside and outside the school lunchbox: themes and reflections », Children's Geographies, vol. 6, N° 4, 2008.

151 « L'égal accès des enfants à la cantine de l'école primaire 28 mars 2013 - Rapport du Défenseur des droits »,

Journal du droit des jeunes, vol. 2013/7, N° 327, 2013, p. 24.

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précises existent depuis 2001 sur la qualité nutritionnelle des repas. En effet, une circulaire153 a modifié les recommandations de la circulaire précédente qui datait de 1971, appelée « circulaire de l’écolier154 ». Dans cette première circulaire (de 1971), il était expliqué que « l’alimentation d’un enfant d’âge scolaire doit lui apporter des aliments de qualité suffisante

pour répondre à ses besoins de croissance […] l’alimentation doit être équilibrée, variée et la ration alimentaire quotidienne fractionnée155 ». Elle fait état de « l’aspect éducatif du repas » qui peut faire acquérir « un bon comportement alimentaire156 ». « En règle générale, le repas

comportera toujours : une crudité (légumes crus râpés, salade ou fruit en dessert), des protéines animales, dont une partie sous forme de lait ou de fromage, des légumes frais cuits, deux fois par semaine, des pommes de terre, pâtes, riz ou légumes secs, les autres jours157. »

La circulaire de 2001 fait suite au constat par l’AFSSA en 2000 de « l’insuffisance de

produits laitiers et [d’] un excès de matière grasse dans les menus158

». Ainsi la circulaire

prévoit « une restructuration des repas assurant viande ou poisson et privilégiant légumes

verts, fromage et fruits aurait donc un effet bénéfique159 ». La diversité des cultures et des façons de cuisiner est valorisée laissant libre cours à la « créativité des cuisiniers et des

gestionnaires160 ». La cantine peut ainsi « assurer une formation élémentaire du goût, en multipliant les occasions de découverte et une éducation nutritionnelle en expliquant la nécessité de la diversité alimentaire et les inconvénients des stéréotypes161 ». Le temps du repas est fixé à une demi-heure minimum. Nous avons observé que cette durée n’est pas respectée dans les collèges étudiés. La question de l’obésité est présente dans les recommandations de cette circulaire : « Une attention particulière sera apportée aux matières

grasses162 ». Les observations effectuées dans les cantines des établissements enquêtés permettent de voir qu’entre ce qui est servi aux élèves, donc ce qu’ils sont supposés manger pour bénéficier d’un repas « sain et équilibré » et ce qu’ils mangent réellement, il y a souvent un écart important.

153 Bulletin Officiel du ministère de l’Éducation Nationale et du ministère de la Recherche, spécial n° 9 du 28 juin 2001.

154 Circulaire du 9 juin 1971 relative à la nutrition de l’écolier, ministère de la santé publique et de la sécurité sociale, Journal Officiel du 24 septembre 1971.

155 Ibid., p. 9486. 156 Ibidem. 157 Ibidem.

158 de sécurité sanitaire des aliments Agence française, Nutrition et restauration scolaire, de la maternelle au

lycée : états des lieux, Maisons-Alfort, AFSSA, 2000.

159 Bulletin Officiel, spécial n° 9, op. cit. 160 Ibidem.

161

Ibidem. 162 Ibidem.

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La cantine en France est donc régie par tout un ensemble de règlementations – ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Cette tradition de la cantine comme service public de restauration collective a une longue histoire. La première cantine scolaire maternelle voit le jour à Lannion (Côtes-du-Nord) en 1844, elle accueille des enfants de familles défavorisées163. À ses débuts, la cantine scolaire a pour objectif « d’améliorer les conditions

hygiéniques dans lesquelles sont élevés les jeunes enfants164 » et est réservée aux « familles

nécessiteuses ». Après la Première Guerre mondiale, le nombre de cantines augmente

beaucoup, mais souvent, elles ne prodiguent pas des repas de très bonne qualité et le font dans une hygiène assez douteuse. Dans les années 50, Raymond Paumier imagine une toute autre cantine : « la nouvelle cantine doit faire naître une nouvelle collectivité. Le restaurant

remplace la soupe populaire165 ». Elle devient ainsi « un constituant indispensable de la vie

"moderne" », « un apprentissage du "bien manger" », « un instrument d’éducation166 ». De nos jours, les cantines des collèges souffrent d’une baisse de fréquentation, notamment dans les collèges en ZEP167, du fait de plusieurs éléments, dont le prix trop élevé pour certaines familles, mais aussi des cultures alimentaires éloignées des habitudes culinaires françaises et d’une forte présence des mères le midi.

Depuis 2001, de nouvelles règlementations sont apparues au sujet de la restauration scolaire et des distributeurs automatiques, qui étaient présents dans l’enceinte des établissements scolaires pour combler les « petites faims ». En 2004, la loi relative à la politique de santé publique, dans son article 30, interdit les boissons et les produits alimentaires payants: « Les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires

payants et accessibles aux élèves sont interdits dans les établissements scolaires à compter du 1er septembre 2005168 ». Cette loi a été suivie par la grande majorité des établissements scolaires et les distributeurs ont disparu des collèges et lycées. Certains établissements vont même plus loin en interdisant aux élèves d’apporter à l’école de la nourriture venant de l’extérieur. Ces règles ne sont pas très claires dans les collèges de notre étude. Dans l’un des collèges, certains élèves pensent qu’ils n’ont pas le droit d’apporter à manger, mais lorsque

163 Didier Nourrisson, « Des cantines pour l'école »,in A votre santé! : éducation et santé sous la IVe

République, Saint-Etienne, Publication de l'Université de Saint-Etienne, 2002b, p. 71.

164 Ibid., p. 73. 165

Ibid., p. 79. 166 Ibid., p. 80.

167 Annick Hermet, « De la faible fréquentation de la cantine en collèges de ZEP », op. cit. 168

Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, Journal Officiel n°185 du 11 août 2004.

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j’en discute avec l’infirmière, elle me dit qu’elle a demandé à ce que les enfants aient le droit d’apporter des encas. En effet, selon elle beaucoup d’enfants ne prennent pas de petit déjeuner chez eux le matin et risquent une hypoglycémie avant le repas de midi. Elle m’a confirmé que rien n’est écrit au sujet d’une interdiction d’aliments extérieurs au collège dans le règlement intérieur et que c'est elle-même qui l’a demandé. Nous verrons que ce flou autour de l’autorisation à apporter des aliments à l’école n’empêche pas les élèves de s’acheter des paquets de bonbons ou de sucettes avant les cours et de les manger dans la cour de récréation ou même pendant les cours (cf chapitre 5).

L’école est, comme nous l’avons déjà vu, un lieu privilégié pour faire de l’éducation à la santé. L’alimentation est un thème qui revient souvent dans les campagnes locales d’éducation à la santé menées dans les établissements scolaires. En effet, l’école est un lieu où une partie des élèves mangent l’un des repas principaux de la journée. Ainsi, la cantine doit être le théâtre d’une éducation au goût et à l’alimentation, et ceci est rappelé dans la circulaire de 2001. Néanmoins, les actions n’ont pas toujours lieu à la cantine, et certains pensent même qu’il est beaucoup plus pertinent qu’elles aient lieu en dehors du temps du midi. C'est le cas du Conseil général dont il est question dans cette thèse, qui cherche à multiplier les actions en dehors du temps du midi. L’action d’éducation alimentaire qui nous intéresse, a lieu en cours et non à la cantine. De même, une action de distribution de fruits en projet devait se dérouler en dehors du temps du repas169. Ce choix stratégique est motivé par le constat d’un taux d’élèves externes assez élevé (pouvant dépasser 50%) dans un grand nombre de collèges, et notamment dans les plus défavorisés. En effet, une enquête menée par le Conseil général a montré que ce sont les élèves les plus démunis qui ne mangent pas à la cantine170. Mener des actions d’éducation alimentaire à l’école est une démarche répandue à l’international. Par exemple concernant la distribution de fruits en Europe, on trouve des exemples norvégiens (avec « Skolefrut »), hollandais (avec « Schoolgruiten »), britanniques (« School fruit and vegetable Scheme »), danois (« Frugtvarter »), espagnols ou italiens171. C’est dans ce contexte européen qu’est apparue l’opération « Un fruit pour la récré » en France, initiée par le

169 Voir Maurice Aurélie, « Chacun son fruit : une action de santé publique confrontée à la réalité sociale des familles populaires », mémoire de M2 Recherche en Sociologie, Université de Paris X-Nanterre.

170 Cette enquête rejoint les résultats de différentes recherches : cf Annick Hermet, « De la faible fréquentation de la cantine en collèges de ZEP », op. cit, Christine Tichit, « L'émergence de goûts de classe chez les enfants de migrants. Modèles concurrents de goûts et pratiques alimentaires », Politix, vol. 3, N° 99, 2012.

171 Tout un ensemble d’articles existent sur ces différentes actions, voir par exemple K Eriksen, J Haraldsdottir, R Pederson et HV Flyger, « Effect of a fruit and vegetable subscription in Danish schools », Public Health

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Ministère de l’Agriculture et de la Pêche en 2008. Cette opération permet de distribuer un fruit par semaine aux enfants des écoles primaires en ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire). L’action s’est étendue à l’ensemble des écoles primaires à la rentrée 2009 grâce au soutien financier d’un programme européen. Plus largement, des programmes d’éducation à la santé dans les écoles existent un peu partout dans le monde, avec par exemple les « Healthy Schools » en Grande-Bretagne ou les « Comprehensive school health programs » aux États- Unis, au Canada et en Hollande172. Le projet alimentation s’inscrit donc dans une démarche d’éducation à la santé à l’école qui se développe dans le monde entier.

L’école est ainsi considérée comme un lieu privilégié pour éduquer les enfants au goût et à la consommation raisonnée. À travers les siècles et les découvertes scientifiques, les liens entre aliments et santé évoluent. C'est avec l’apparition de l’obésité comme menace pour la santé publique que les choses s’accélèrent et que l’État Français décide de prendre des mesures de grande envergure. L’alimentation arrive aux devants de la scène publique. Des actions locales voient le jour un peu partout, notamment dans les établissements scolaires. C'est le cas du projet étudié dans cette thèse : il a été conçu par une collectivité locale, à destination des collégiens et des lycéens.

4 Le « projet alimentation », un projet d’éducation alimentaire en

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