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Des enseignants à convaincre : une motivation moins grande à Renoir

Re alisation du « projet alimentation » dans les deux colle ges

1 Des contextes de mise en place différents

1.3 Des enseignants à convaincre : une motivation moins grande à Renoir

Le rôle que j’ai eu à jouer dans les deux collèges a été assez différent du fait de la configuration des deux établissements concernant le projet alimentation. À Malraux, quand je suis arrivée, le projet avait déjà démarré. Ma première séquence d’observation a d’ailleurs été une séance du projet, celle intitulée « analyse sensorielle » (le 11 octobre 2010). Il n’y a donc pas eu de travail de motivation des enseignants à faire : celui-ci avait déjà été effectué par Mme Patais. Certains enseignants ont participé au cours de l’année (le professeur de mathématiques, de français, de SVT, de physique-chimie, d’EPS), d’autres non. Les choses

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Extrait d’entretien avec Mme Patais, 16 juin 2011. 7 Livret du Conseil général, p. 7.

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avaient déjà été décidées avant que je n’arrive et c'est l’infirmière qui avait eu à recruter les enseignants.

À Renoir, je suis arrivée au tout début de l’année, le 2 septembre 2011. Mme Larineau m’avait assuré par téléphone (le 19 mai 2011) qu’elle avait discuté du projet avec plusieurs enseignants qui avaient donné leur accord pour participer, notamment le professeur de technologie et d’arts plastiques. À la rentrée, elle choisit la classe de 5ème C sous mes yeux en fonction des enseignants intéressés. Elle m’écrit sur un post-it les enseignants volontaires : M. Danabo, professeur d’histoire-géographie, Mme Babilo, professeure d’arts plastiques, M. Labi, professeur d’EPS, Mme Villier, professeure de SVT, M. Teng, professeur de technologie (elle me précise que celui-ci est un peu fâché contre elle donc qu’elle n’est pas sûre qu’il soit toujours prêt à participer), Mme Mlari, professeure de physique-chimie et Mme Robère, professeure de français. Donc, « sur le papier », un grand nombre d’enseignants de la classe de 5ème C sont motivés. En réalité, ce nombre est bien moins important. Je rencontre en premier lieu Mme Villier, la professeure principale de la classe. Elle entre dans le bureau de Mme Larineau et cette dernière me présente à elle. Les premiers mots de Mme Villier sont les suivants : « Ah mais je ne voudrais pas que ça me prenne trop d'heures de cours, je n’en ai pas beaucoup ! Ça va être beaucoup d'interventions ? » (Collège Renoir, carnet d’observations, bureau de Mme Larineau, 6/09/11). Un mouvement de recul et une certaine inquiétude se font donc immédiatement sentir de la part de Mme Villier. J’essaie de la rassurer en lui disant que je n’interviens pas et que je ne fais qu’observer au fond de la classe. Ceci a l’air de ne la rassurer qu’à moitié : mes propos ne semblent pas l’enthousiasmer, bien au contraire. Mme Villier, chargée par Mme Larineau de me présenter à l’équipe enseignante de la 5ème C, me conduit en salle des professeurs, dans laquelle je fais tout d’abord la connaissance de Mme Babilo, beaucoup plus souriante et accueillante. Elle donne tout de suite son accord pour participer et me propose de réaliser des natures mortes et peut-être même des vidéos « si on est deux ». Elle accepte sans hésiter que je vienne observer son cours. Mme Robère arrive, je lui explique qui je suis. Elle rétorque assez froidement : « Dans quel cadre êtes-vous ici ? ». Encore une fois, une certaine méfiance à mon égard se fait sentir. Elle ajoute un peu plus tard dans la conversation : « Parce que moi je suis prof de français […] donc l’alimentation… ça me concerne pas trop ». Par cette intervention, elle signifie l’incompatibilité de la matière qu’elle enseigne avec le projet alimentation : elle ne souhaite donc pas y prendre part. L’atmosphère se détend finalement, puisqu’elle en vient à parler d’un projet qu’elle mène dans une ville d’Afrique, mon écoute sans faille la flatte et son attitude change peu à peu, elle

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propose finalement d’étudier des textes : Zola, ou Colette, qui parle de la gourmandise, mais un peu plus tard dans l’année. Je sors la feuille que j’avais préparée avec les différentes séances réalisées à Malraux l’année précédente (voir Annexe 9). Elle s’écrie : « Ça c'est en SVT ! C'est de la SVT tout ça. » Mme Villier, qui écoute d’une oreille, répond : « Je vais voir ce que je peux faire ». Mme Robère me propose de lui donner mon adresse e-mail, Mme Babilo se joint à cette proposition. Donc sur trois professeurs supposés être intéressés, seulement une (la professeure d’arts plastiques), l’est réellement. Mme Babilo m’explique plus tard : « Mme Larineau des fois on lui dit oui pour qu’elle nous foute la paix. Parce qu’elle nous harcèle ! Moi aussi j’avais dit oui et puis quand je t’ai vue, que j’ai vu que ça pourrait être intéressant… Et puis quand on a une personne en plus pour s’occuper de ça je trouve ça super ! » (Collège Renoir, carnet d’observation, après le cours d’arts plastiques, 12/04/12). Je continue les présentations en me dirigeant vers M. Moulines, le professeur de mathématiques, qui n’avait pas été cité sur le post-it. Il a tout de suite un ton enjoué, qui détend l’atmosphère encore davantage. Ses collègues rient quand je lui dis que je fais une thèse en sociologie de l’alimentation en s’écriant : « Quel rapport avec les maths ! ». Une enseignante, qui a vu ma feuille, précise : « Si, y a des stats ! ». Je montre le document à M. Moulines qui accepte immédiatement en disant qu’il travaillera les statistiques plus tard dans l’année. Je lui réponds qu’il n’y a aucun problème. Je m’adresse ensuite à Mme Mlari, qui déclare, après avoir regardé ma feuille : « c'est pas du tout au programme de physique-chimie, c'est les phases aqueuses cette année ! Ça ne va pas être possible. » Elle m’autorise par contre à venir assister à ses cours. Mme Villier me présente enfin à M. Danabo, en chuchotant à mon oreille : « Il a un caractère fort ! ». Il me serre la main et après que je me sois présentée, il propose de « faire ça en éducation civique qui commence à la Toussaint ». Je lui demande ensuite si je peux assister à ses cours. Il me répond « oui pour l’éducation civique, il y a 20h dans l’année ». Plus tard (le 15 septembre), je rencontre M. Labi qui semble intéressé et prend la feuille mais qui finalement ne me proposera pas de participer. Le 16 septembre, je rencontre M. Teng, qui reste très froid mais se propose pour les séances sur les étiquettes alimentaires. Il a l’impression que les séances indiquées sur mon petit document ne correspondent pas aux fascicules du Conseil général qu’il a lus auparavant. Je lui explique qu’elles en sont fortement inspirées.

Au final, trois enseignants sont réellement intéressés par le projet. Il s’agit des professeurs d’arts plastiques, de technologie et de mathématiques. Au cours de l’année, d’autres professeurs y participent, du fait sans doute de la sympathie qu’ils éprouvent à mon égard

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(c'est le cas de Mme Robère par exemple, ou de Mme Villier) mais la plus motivée reste Mme Babilo : elle a permis au projet de prendre de l’ampleur.

Ainsi, dans les deux établissements, la configuration a été très différente. À Malraux, les enseignants étaient dans l’ensemble davantage motivés qu’à Renoir. Ceci peut tout d’abord s’expliquer par la présence du projet alimentation depuis bien longtemps à Malraux, et donc par la légitimité qu’il a acquise au fil des années. Mme Patais, qui porte ce projet, a de bonnes relations avec les enseignants : ceux-ci sont donc plus enclins à y participer, alors qu’à Renoir, la situation est inverse puisque c'est finalement Mme Babilo qui s’approprie le projet, et que celle-ci ne s’entend pas très bien avec la plupart des enseignants du collège. J’ai pu m’en apercevoir car Mme Babilo est syndiquée et très engagée dans de nombreuses causes8

, elle pousse donc souvent ses collègues à signer des pétitions ou à faire des réunions, et très peu d’entre eux y répondent favorablement. Elle se retrouve donc assez en marge par rapport à l’équipe enseignante. Je l’ai d’ailleurs vue se disputer assez violemment avec certains (comme M. Moulines). Celle-ci me fait part de ses relations avec ses collègues dès la première fois que je la rencontre : « Ici c'est vraiment nul l’ambiance, les profs sont distants » (Collège Renoir, carnet d’observations, salle des professeurs, 6/09/11). La dernière raison pour laquelle les enseignants ont été moins volontaires à Renoir tient au fait que ceux-ci sont plus âgés et n’ont pas envie de modifier leurs habitudes, et comme Renoir est un assez bon collège, les professeurs sont très attachés à finir le programme. C'est d’ailleurs le souci de Mme Villier et Mme Mlari quand je les rencontre la première fois, qui ne veulent pas faire de hors-programme étant donné le peu d’heures dont elles disposent. Ceci est en grande partie du à la pression des parents d’élèves pour que le programme soit entièrement bouclé en temps et en heure9.

Ainsi, les deux collèges enquêtés offrent des conditions très différentes pour la réalisation du projet alimentation. À Malraux, le cadre est plus propice à sa mise en place, bien que les choses ne se passent pas exactement comme l’infirmière l’avait imaginé. À Renoir, tout est à

8 La vie syndicale est limitée dans cet établissement, Yves Dutercq arrive à la même conclusion dans un autre collège lors d’une observation participante dans la salle des professeurs, cf Yves Dutercq, « Thé ou café ? ou comment l'analyse de réseaux peut aider à comprendre le fonctionnement d'un établissement scolaire », Revue

française de pédagogie, 1991, p. 88.

9 Les parents des classes moyennes et supérieures ont de fortes attentes concernant l’offre éducative du collège dans lequel se trouvent leurs enfants, puisque leur réussite scolaire est primordiale à leurs yeux. Cf Agnès Van Zanten, Choisir son école. Stratégies familiales et médiations locales, Paris, Presses Universitaires de France, 2009a.

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construire puisque le projet n’a jamais été réalisé, qui plus est, la plupart des enseignants sont assez réticents pour se lancer dans un nouveau projet. Nous allons voir que dans ces deux contextes contrastés, les séances réalisées tout au long de l’année diffèrent pour une bonne part, bien que je sois arrivée à Renoir avec un document retraçant ce qui avait été fait à Malraux (cf Annexe 9).

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