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La reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, une amélioration du principe de l’indemnisation forfaitaire

LA RÉPARATION DE L’INCAPACITÉ PERMANENTE PARTIELLE DE TRAVAIL

Paragraphe 3. La reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, une amélioration du principe de l’indemnisation forfaitaire

Le principe posé par la législation est le suivant : la personne victime d’un accident du travail ou du trajet perçoit une indemnité journalière pour la période d’incapacité temporaire. Lorsque cette dernière se termine par une inaptitude permanente partielle, la victime perçoit

473 Art. L.434-8 et L.434-12 du Code de la sécurité sociale.

474

une indemnité en capital ou en rente, selon la gravité du préjudice qui subsiste. En cas d’accident mortel, les ayants droit peuvent percevoir une rente en compensation de la perte de ressources due au décès de la victime.

Cependant, la grande lacune de ce modèle de réparation réside dans le caractère forfaitaire de l’indemnisation. Dès lors, l’ensemble des préjudices consécutifs à un accident du travail ou du trajet ne sont pas pris en compte. La victime peut se retrouver dans une situation de précarité.

Toutefois, le droit475 a introduit la notion de faute inexcusable de l’employeur qui permet à la victime et à ses ayants droit d’obtenir une réparation complémentaire. Comme il a été vu plus haut, la faute inexcusable est une notion purement jurisprudentielle qui s’est construite jusqu’à donner la conception telle qu’arrêtée actuellement. Désormais, constitue une faute inexcusable le fait que l’employeur avait ou devait avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver476.

L’étendue de l’obligation de sécurité réside dans le contrat de travail qui lie l’employeur au salarié. Ainsi, en qualifiant l’obligation de sécurité en obligation de résultat, la Haute Cour contraint l’employeur à mettre tout en œuvre afin que le travailleur soit à l’abri d’un accident. L’employeur n’a, dès lors, pas droit à l’erreur en matière de sécurité au travail. La Cour de cassation l’a indiqué dans un arrêt du 30 novembre 2010477. Elle a jugé que le fait, pour un employeur, d’exposer son salarié à un risque identifié sans pour autant prendre les mesures nécessaires de protection est un manquement à son obligation de résultat.

Cette obligation de résultat est un leurre pour la victime. Alors que dans certaines hypothèses d’obligation de résultat, la charge de la preuve est facilitée pour la victime, dans l’hypothèse de la faute inexcusable de l’employeur, la charge de la preuve n’est pas facilitée. En effet, il appartiendra à la victime et à ses ayants droit de démontrer que l’employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son subordonné, ou qu’il n’a pas pris toutes les mesures nécessaires afin d’éviter l’accident478. La preuve peut être apportée par tout moyen, ce qui semble assouplir l’obligation de preuve qui pèse sur la victime.

Depuis les arrêts fondateurs de la faute inexcusable du 28 février 2002, la 2e chambre civile de la Cour de cassation a adopté une position protectrice du salarié. L’agriculteur victime

475 Articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale.

476 Cour de cassation, 28 févr. 2002, n°00-10-051, n°99-17.201, n°99-21-17-555, n°99-17-221.

477 Soc., 30 novembre 2010, n°08-70-390.

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d’un accident du travail ou du trajet était couvert par sa jurisprudence. Cette dernière établit que l’obligation de sécurité constitue une obligation de résultat. La faute inexcusable de l’employeur est caractérisée dès lors qu’il aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Cependant, depuis un arrêt de principe en date du 25 novembre 2015479, la chambre sociale de la Cour de cassation a adouci sa jurisprudence sur l’obligation de résultat des employeurs, se mettant « en repli » par rapport à la 2e chambre civile. En effet, selon la chambre sociale, l’employeur peut éviter une condamnation pour faute inexcusable s’il démontre qu’il a pris les mesures nécessaires afin d’empêcher la survenance du risque professionnel. La nouvelle solution prônée par la juridiction précitée change la nature de l’obligation de sécurité en la faisant basculer de l’obligation de résultat à celle de moyen renforcé. Par ces termes, la chambre sociale retient pour la première fois « que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L.4121-2 du Code du travail ». Avant cette décision, même si l’employeur apportait la preuve qu’il avait bien mis en œuvre toutes les diligences requises, cela ne suffisait pas à l’exonérer de sa responsabilité. Dorénavant, la solution énoncée par la chambre sociale lui est applicable.

Cette nouvelle position de la chambre sociale est inquiétante pour l’agriculteur victime d’un accident du travail ou du trajet, et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, le travailleur aura des doutes quant à la prise en compte réelle de la faute inexcusable de l’employeur, dont la reconnaissance constitue un véritable enjeu financier pour la victime. Si l’agriculteur salarié ne peut plus travailler comme il le faisait avant son accident professionnel, il ne sera pas indemnisé de manière adéquate. Cette position de la juridiction précitée peut nous faire craindre, de la part des employeurs, un laxisme en matière de prévention. Cependant, elle responsabilise aussi les salariés sur leur propre sécurité. La faute inexcusable ne pouvant pas être invoquée facilement, le travailleur devra être plus vigilant sur sa sécurité pendant le temps professionnel. Ensuite, la différence de position concernant la faute inexcusable entre la chambre sociale et la 2e chambre civile de la Cour de cassation est inquiétante pour l’agriculteur comme pour tout salarié. En effet, selon que le litige est tranché par telle ou telle chambre de la Haute Juridiction, la décision variera et sera plus ou moins clémente, entraînant

479 Soc., 25 novembre 2015, n°14-24-444.

une regrettable insécurité juridique. En outre, cette divergence de position va nécessairement créer une inégalité entre les justiciables, car tous ne seront pas jugés de la même manière.

La reconnaissance de la faute inexcusable engendre d’importantes répercussions financières sur l’indemnisation de la victime. Elle va faire passer la réparation du stade de la réparation forfaitaire à la réparation intégrale du préjudice de la victime. L’établissement d’une telle faute commise par l’employeur ouvre droit, à la victime ou à ses ayants droit, à une indemnisation versée par les caisses de protection sociale, et donc de MSA480.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est une véritable amélioration du principe de l’indemnisation forfaitaire des accidents du travail. En effet, la victime va pouvoir bénéficier d’une indemnisation complémentaire de son préjudice. Ces compléments vont se situer à deux niveaux. Tout d’abord, l’accidenté aura une majoration de la rente d’incapacité qui sera évaluée, dans la limite d’un plafond, en fonction de la gravité de la faute de l’employeur et atténuée, le cas échéant, par celle de la victime. Ensuite, une indemnisation des autres préjudices peut être allouée à la victime. En plus de la majoration de la rente, le sinistré aura la possibilité de demander, devant les tribunaux de sécurité sociale, la réparation du préjudice prévu à la nomenclature Dintilhac, comme la réparation des préjudices causés par les souffrances physiques et morales, dits premium doloris, le préjudice d’agrément et esthétique et les préjudices relevant de ses possibilités de promotion professionnelle. Les ayants droit pourront également demander l’indemnisation d’un préjudice moral si la victime vient à décéder d’un accident du travail résultant d’une faute inexcusable de l’employeur. Dans ces conditions, la réparation intégrale de l’accident est pratiquée par l’organisme de mutualité sociale agricole qui devient un « garant payeur ».

En effet, la caisse de protection sociale va verser à la victime ou à ses ayants droit les majorations de la rente d’accident du travail et les indemnisations complémentaires afin que la victime ait la certitude d’être dédommagée et ne soit pas confrontée aux difficultés de recouvrement de ses créances vis-à-vis de l’employeur. Toutefois, la caisse de MSA récupérera les sommes versées auprès de l’employeur au moyen d’une cotisation complémentaire en ce qui concerne la majoration de la rente, et d’une action récursoire aux fins de recouvrer les sommes versées pour les autres préjudices481.

480 Art. L.452-1 du Code de la sécurité sociale.

481

Cependant, les textes sont lacunaires et n’indiquent pas les modes de remboursement, par l’employeur, des indemnisations complémentaires que l’organisme de protection sociale aurait versées à la victime en réparation de ses différents préjudices. Il est à remarquer que dans ces hypothèses, les caisses de MSA, au même titre que les autres caisses de protection sociale, agissent comme des créanciers de droit commun et disposent d’un délai de cinq ans afin de récupérer les sommes versées à la victime auprès de l’employeur. Il convient de préciser que si l’employeur a commis une faute, les sommes que la caisse pourra récupérer seront à prendre sur son patrimoine professionnel et non sur son patrimoine personnel. La différenciation des deux patrimoines est importante afin de ne pas mettre l’employeur, personne physique, en difficulté.

Les sommes mises à la charge de l’employeur peuvent être lourdes et difficiles à honorer. Pour cela, la législation a prévu une possibilité de s’assurer contre sa propre faute inexcusable. Pour cela, il sera redevable d’une cotisation supplémentaire qui sera facturée par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail482. Ce qui est dommage, c’est que cette assurance contre la faute inexcusable de l’employeur ne soit qu’une faculté pour lui et non une obligation car, en cas d’insolvabilité, ce sont les caisses de mutualité sociale agricole qui supporteront les sommes, ce qui aura pour effet de désolidariser et de déresponsabiliser l’employeur. Il serait donc nécessaire d’envisager une obligation d’assurance de la faute inexcusable de l’employeur.

À l’heure actuelle, le monde du travail voit l’émergence de risques psychosociaux tels que le stress, la souffrance au travail, le suicide sur le lieu de travail. Ces situations sont des champs possibles de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. La cour d’appel de Versailles a tranché en ce sens par une décision du 19 mai 2011483 impliquant Renault. Cette position de la juridiction précitée ne met pas en cause un agriculteur, mais peut être transposée à celui-ci. En l’espèce, une faute inexcusable a été retenue contre le constructeur automobile à la suite du suicide de l’un de ses salariés. Les juges ont relevé que le drame aurait pu être évité si des mesures de prévention avaient été mises en place par les managers. Des mesures de prévention adéquates auraient dû être adoptées en vue de préserver la santé des salariés.

482 CRAM, devenue CARSAT.

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En outre, dans une QPC du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale conforme à la Constitution484. Dans cette même QPC, le Conseil constitutionnel a élargi le champ des préjudices indemnisables à la suite de la faute inexcusable de l’employeur en estimant que la victime d’un accident du travail détient la possibilité de demander au tribunal des affaires de sécurité sociale une réparation intégrale des préjudices subis et ne se limite pas seulement à ceux prévus à l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale.

Au regard de la situation des victimes d’accidents de la route, d’accidents médicaux, de produits défectueux, la réparation intégrale interpelle les accidentés du travail. Pourquoi ne pas envisager le dédommagement total des préjudices afin de compenser la perte de gain faisant suite à un sinistre professionnel ? Roland Masse en propose le principe dans un rapport de 2001. Il reprend l’article 1er de la résolution du Conseil de l’Europe adoptée en 1975, qui définit la réparation intégrale des dommages donnant lieu à des lésions corporelles : « Compte tenu des règles concernant la responsabilité, la personne qui a subi un préjudice a droit à la réparation de celui-ci en ce sens qu’elle doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit. »

Certes, la notion de réparation intégrale n’est pas clairement définie. Cependant, il découle de cette proposition d’interprétation que tous les préjudices sont réparables : les pertes financières, les souffrances morales et physiques, les préjudices esthétiques et la perte de capacité. Le coût financier est un frein certain à la mise en place de la réparation intégrale, mais il n’est pas infranchissable.

Face aux nombreuses questions soulevées par ce principe de réparation, quelques pistes de solutions sont possibles.

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