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Les conséquences de la reconnaissance

LA DÉTERMINATION DE LA PRISE EN CHARGE DU SALARIÉ AGRICOLE EN CAS D’ACCIDENT DU TRAVAIL

Paragraphe 2. Les conséquences de la reconnaissance

La reconnaissance de l’accident du travail présente certaines caractéristiques (A). Par ailleurs, il existe des dérogations liées au principe de la faute inexcusable de l’employeur (B).

A. Les caractères de la reconnaissance

Une fois établi le caractère professionnel de l’accident subi par l’agriculteur, sur le fondement de la présomption d’imputabilité décrite plus haut, les modalités de reconnaissance de cet accident sont plus avantageuses pour la victime, puisqu’elles donnent un caractère automatique (1) à l’indemnisation. Pourtant, elles sont aussi dommageables lorsque la réparation du préjudice n’est que forfaitaire (2).

1) Le caractère automatique

Le caractère automatique des prestations s’inscrit dans la lignée de la présomption d’imputabilité. Dès que l’accident du travail est défini comme tel, la victime, en tant que salarié agricole, n’a pas à intenter un procès à son employeur ou à la caisse de MSA afin de percevoir ses prestations en nature et en espèces au titre de sa pathologie. Dès lors que l’accident répond aux exigences légales prévues par le livre VII du Code rural et de la pêche maritime et du livre IV du Code de la sécurité sociale, la prestation revêt un caractère automatique. Cependant, une exception peut faire obstacle à ce caractère d’automaticité ; il

95 J.-J. DUPEYROUX, « Un deal en béton », Droit social, juillet-août 1998.

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Loi n°46-2425 du 30/10/1946 modifiant l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale et fixant les modalités relatives à l’élection des membres des conseils d’administration des organismes de sécurité sociale, JO-LD du 31/10/1946, p. 9270.

97 Loi n°72-965 du 25 octobre 1972 relative à l’assurance des travailleurs de l’agriculture contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, JO du 26 octobre 1972.

s’agit de la faute inexcusable de l’employeur. Cette dernière est une faute que l’employeur agricole aurait commise et qui aurait provoqué l’accident du travail98.

En principe, les indemnisations se font sur une base forfaitaire.

2) Le caractère forfaitaire

La notion de prestation forfaitaire pourrait prêter à confusion quant à sa signification. En effet, dire que les indemnisations des accidents du travail ont un caractère forfaitaire ne signifie pas que les prestations sont soumises à une somme prédéfinie à l’avance par les pouvoirs publics et que toutes les personnes peuvent s’attendre à la recevoir.

Une des définitions du terme « forfaitaire » implique que « le forfait est un élément de tarification prédéfini à l’avance99». Ce sens trop général ne correspond pas à la réalité de la qualité des prestations des accidents du travail qui se veulent forfaitaires. Le qualificatif veut simplement dire que les prestations servant à l’indemnisation des travailleurs accidentés ne sont pas prédéfinies à l’avance par le législateur mais correspondent à une indemnisation qui ne couvre pas tous les chefs de préjudice. Ce qui justifie le caractère forfaitaire des prestations, c’est le fait que le système français de sécurité sociale, dont le régime agricole fait partie au même titre que les régimes spéciaux, n’indemnise pas la totalité des préjudices résultant de l’accident du travail, contrairement à l’indemnisation des accidents liés à certaines circonstances : les accidents de la circulation sous couvert de la loi Badinter100, par exemple. Cependant, dans cette forme d’indemnisation totale des préjudices, c’est l’assurance qui prend le relais ; le risque n’est pas socialisé en totalité. Ainsi, le préjudice esthétique, le

premium doloris, le préjudice d’agrément, le préjudice de perte de chance ne sont pas indemnisables par la législation des accidents du travail, d’où la signification du caractère forfaitaire des prestations.

Dès lors, les caisses de sécurité sociale et de MSA n’indemnisent pas la totalité des préjudices subis par le salarié et, en l’occurrence, le salarié agricole. Le caractère forfaitaire suppose que seuls la perte de salaire liée à l’accident du travail et les soins résultant de l’accident seront couverts et pris en charge par les caisses de MSA. Par conséquent, l’accidenté qui a une

98 T. TAURAN, « Accidents du travail et maladies professionnelles en agriculture », JurisClasseur, fasc. 50, dernière mise à jour : 10 novembre 2015.

99 www.internet-juridique.net.

100 Loi n°85-977 du 5 juillet 1985 relative à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation, et à l’accélération des procédures d’indemnisation, dite communément loi Badinter, JO du 6 juillet 1985.

cicatrice à la suite d’un accident du travail ne sera pas indemnisé pour le préjudice esthétique ; s’il subit une opération, il n’aura pas de premium doloris ; et s’il ne peut plus faire de sport ou un loisir qu’il avait l’habitude de pratiquer, il n’aura pas d’indemnisation au titre du préjudice d’agrément. De même, il ne pourra pas demander un dédommagement pour perte de chance si son accident l’a empêché d’obtenir une promotion ou un nouveau poste.

Ce caractère forfaitaire de l’indemnisation du préjudice professionnel en cas d’accident du travail possède un tempérament : la faute inexcusable de l’employeur.

B. Les dérogations à ces conséquences : la faute inexcusable de l’employeur

La faute inexcusable de l’employeur est une véritable dérogation au compromis de 1898 dans la mesure où le caractère forfaitaire de la réparation et le principe de la présomption d’imputabilité sont remis en cause. Cette notion n’est pourtant pas définie par la loi ; le législateur l’a prévue mais c’est la jurisprudence qui a posé les conditions de son application. Ce concept est primordial en matière de protection sociale du salarié, qu’il relève du régime agricole ou du régime général ; son enjeu financier est certain pour l’agriculteur salarié comme pour son employeur. En réalité, le législateur s’est contenté de prévoir les effets qu’elle produirait. La doctrine, quant à elle, a pris le parti de la situer entre la faute lourde et la faute intentionnelle101 sur l’échelle de gravité.

À l’heure actuelle, la définition de la faute inexcusable de l’employeur reste purement prétorienne et a été ajustée au gré des difficultés tenant à son application. La Cour de cassation s’est approprié le contrôle de la définition qu’elle a construite en deux étapes essentielles. La première étape est la pose des premières pierres de la définition avec la jurisprudence Dame veuve Villa102. La seconde étape de la définition de la faute inexcusable de l’employeur s’est construite autour des arrêts de 2002, dits arrêts « amiante103 ». Mais, dans tous les cas, un principe subsiste : la victime ou ses ayants droit doivent apporter la preuve de la faute inexcusable car elle n’est pas présumée.

En 1941, la Cour de cassation réunie en chambre décide que « la faute inexcusable doit s’entendre d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute

101 G. VINEY, Remarques sur la distinction entre la faute intentionnelle, Paris, Dalloz, 1975, p. 265.

102 Cour de cassation, chambres réunies, 15 juill. 1941, II, n°1705, J. MIHURA ; Gaz. Palais, 1942, 2, 254, D., 1941, p. 117, note A. ROUAST.

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cause justificative, mais ne comportant pas d’éléments intentionnels ». Cette définition se voulait être une référence car elle a été reprise entièrement dans plusieurs arrêts. Cependant, la jurisprudence Veuve Villa a révélé une première définition inopérante de la faute inexcusable.

Afin de ne pas donner un aspect purement utopique à la définition de la faute inexcusable, les juges de la Cour de cassation ont voulu l’assouplir en la revisitant. Le 28 février 2002, la Haute Cour réunie en chambre va montrer qu’elle est consciente des critiques apportées à la jurisprudence exigeante du 15 juillet 1941, en donnant une nouvelle définition plus souple de la faute inexcusable. La jurisprudence « amiante » est venue revisiter la définition de la faute inexcusable.

La Cour de cassation a redéfini la faute inexcusable de l’employeur par une série d’arrêts du 28 février 2002, dits arrêts « amiante ». Les hauts magistrats ont décidé qu’« en vertu d’un contrat de travail, l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par l’intéressé du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452.1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver104 ».

Initialement, cette définition de la faute inexcusable était prévue pour les maladies professionnelles, mais elle a été transposée, quelques mois plus tard, aux cas des accidents du travail105.

Afin de permettre une indemnisation complémentaire des victimes de l’amiante, liée à leur préjudice prévu par la loi de 1898, les juges de la Cour de cassation vont revoir des éléments de définition tels qu’on les connaissait depuis la jurisprudence Dame veuve Villa. Certains critères ont été abandonnés afin d’alléger la qualification et faciliter l’indemnisation des victimes.

Il n’est plus nécessaire de cumuler cinq éléments pour qualifier la faute inexcusable de l’employeur ; deux seulement sont suffisants. Il n’est plus question de faire référence à

104 Soc., 28 février 2002. Bulletin civil n°81, JCP G 20021110053, conclusions Benmakhlouf ; Gazette du Palais, 5-7 mai 2002, jurisprudence, p. 599, conclusions Benmakhlouf ; Droit social, 2002, p. 533.

l’exceptionnelle gravité de la faute mais à une obligation de résultat de sécurité pesant sur l’employeur. Cette dernière se conjugue avec une conscience du risque. Cette obligation de résultat aurait mis l’employeur dans une situation juridiquement difficile si elle avait été adoptée dans les mêmes conditions que pour les transporteurs. En effet, depuis 1880, la doctrine suggère une obligation de résultat qui ne sera prise en compte qu’au début du XXe siècle par la jurisprudence106. Le 21 novembre 1911107, la chambre civile de la Cour de cassation rend un arrêt fondateur en matière d’obligation de sécurité pour les transports de personnes. Dorénavant, il pèse sur les transporteurs une obligation d’emmener les personnes saines et sauves à leur destination. La Cour n’a pas voulu reproduire la responsabilité de l’employeur sur celle du transporteur de personnes. Celle de l’employeur est plus souple car elle implique que le commettant ait eu ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il exposait le préposé.

Ainsi, avec la jurisprudence du 27 février 2002, deux conditions cumulatives sont nécessaires à la qualification d’une faute inexcusable : l’obligation de résultat quant à la sécurité de l’employé et une conscience du danger de l’employeur.

Cependant, cette obligation de sécurité, si elle repose sur l’employeur en tant qu’obligation patronale de sécurité, est également mise à la charge du salarié qui doit veiller à sa sécurité et à sa santé ainsi qu’à celles des personnes qui pourraient être atteintes. Cette obligation a été consacrée pour la première fois par la Cour de cassation dans l’arrêt DESCHLER contre Société TEXTAR FRANCE108, en visant l’ancien article L.230-3 du Code du travail afin de décider que tout salarié, même s’il ne possède pas de délégation de pouvoir en matière de sécurité, est tenu légalement de cette dernière.

La loi et la jurisprudence se sont construites afin de s’adapter à la protection sociale du travailleur. Le salarié agricole fait partie de ce dispositif de protection. Cependant, il doit être identifié comme étant salarié agricole ou non-salarié agricole afin d’être couvert par ce dispositif protecteur des accidents du travail.

106 K. PALERMO, thèse, op. cit., p. 295.

107 Civ., 21 novembre 1911, Cie Générale Transatlantique c/Zbidi Hamida ben Mahmoud, DP, 1913, 1, p. 249.

108 Soc., 28 février 2002, Deschler contre Textar France R. Vatinet. Droit social n°5, mai 2002. En marge des affaires de l’amiante, l’obligation de sécurité du salarié.

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