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Le régime juridique de l’entraide agricole, un régime dérogatoire au droit commun

LA PRISE EN CHARGE DU NON-SALARIÉ AGRICOLE À LA SUITE D’UN ACCIDENT DU TRAVAIL

Paragraphe 4. Le régime juridique de l’entraide agricole, un régime dérogatoire au droit commun

Se réunir entre agriculteurs afin de s’aider mutuellement dans des travaux agricoles est une vieille habitude qui témoigne de la solidarité des membres d’une profession face à la charge de travail. Durant cette activité d’entraide, il se peut qu’un accident du travail se produise ; initialement, la jurisprudence s’est fondée sur la loi du 22 décembre 1922223 relative aux accidents du travail en agriculture224 pour indemniser les victimes d’accidents corporels survenus dans le cadre de l’entraide. De cette manière, les collaborateurs occasionnels dans le domaine agricole, qu’ils soient salariés ou non, ont pu bénéficier de la législation productrice en matière d’accident du travail225. Dès lors, la jurisprudence pose le principe qu’un agriculteur aidant un autre agriculteur peut avoir la même couverture que toute personne collaborant de façon bénévole sur l’exploitation. Le bénéficiaire de l’entraide ne devient pourtant pas responsable des atteintes à l’intégrité physique de l’aidant bénévole. Cette responsabilité repose sur une présomption, et la réparation sera forfaitaire s’il est démontré qu’il existe un lien de subordination entre l’aidant et le bénéficiaire de l’aide. Cependant, si l’ouvrier agricole est mis à disposition d’un agriculteur, c’est l’employeur initial qui reste responsable en cas d’accident du travail. Critiquée par la doctrine, relevée comme étant complexe à mettre en œuvre par la jurisprudence226, une réforme législative a dû intervenir pour améliorer la loi de 1922.

La réforme législative s’est faite malgré le gouvernement ; elle est issue de l’article 20 de la loi du 8 août 1962227. La volonté première des pouvoirs publics de l’époque n’était pas de réformer la réparation résultant des accidents survenus à l’occasion de l’entraide entre agriculteurs ; le projet de loi de l’époque devait seulement préciser les conditions sociales et fiscales des échanges de services entre agriculteurs228. Le régime de la réparation des accidentés lors de la convention d’entraide, posé préalablement, a été revu par les parlementaires, sans travail préparatoire, à leur propre initiative229. L’Assemblée nationale voulait que cette loi soit moins avantageuse pour le prestataire qui devenait seul responsable

223 Modifiée par la loi du 30 avril 1926, DP 1927, 4, p. 160.

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DP 1923, 4, p. 305, tiré du fascicule unique « Entraide en agriculture », Ph. CASSON, op. cit.

225 Ph. CASSON, op. cit.

226 J. LE CALONNEC, Solidarité et responsabilité en droit de l’entraide entre agriculteurs, Paris, Economica, 1990, p. 37 et 39-40.

227 Loi n°62-933 du 8 août 1962, JO du 10 août 1962.

228 JOAN 4 juillet 1962, p. 468, spéc. p. 473 et 479, Ph. CASSON, op. cit.

229 JOAN 4 décembre 1963, annexes n°1852, rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi complémentaire à la loi d’organisation agricole, p. 348, Ph. CASSON, op. cit.

des accidents qui lui seraient arrivés ; non seulement il rendait service bénévolement, mais en plus, il devait assumer les conséquences de son bénévolat.

Pourtant, lors des débats législatifs, le ministre de l’Agriculture s’est opposé en vain à l’amendement qui prévoyait une telle responsabilité, car selon lui, elle aurait pour conséquence de décourager l’entraide entre agriculteurs. Il a argumenté en disant que « mettre à la charge du seul prestataire la totalité de la responsabilité, c’est décourager définitivement l’entraide, puisque le seul prestataire supportait la charge des risques qui résultent de l’aide qu’il apporte. Le Gouvernement souhaiterait que ces alinéas soient écartés et qu’on laisse le soin à la jurisprudence de dégager progressivement des règles comme cela a été fait depuis bien des décennies. En cette matière, le législateur s’est toujours montré très prudent et je crois qu’il a été fort sage230 ».

Le ministre de l’Agriculture n’a pas été suivi par les députés, qui ont justifié leur position par le principe de réciprocité qui existe entre le prestataire et le bénéficiaire d’une telle convention : « En effet, lorsque le prestataire travaille chez le bénéficiaire de l’entraide, seul ou avec des aides, individuellement ou avec du matériel, en fait, il travaille pour lui-même, soit qu’il rende un service dont il a déjà bénéficié, soit qu’il fournisse un service qui sera rendu lorsqu’il en aura besoin. En définitive, chaque fois qu’un cultivateur rend service à un de ses voisins, c’est qu’il travaille et c’est à juste titre que l’on a retenu la notion de responsabilité du prestataire231 ».

Le législateur va anticiper sur une loi à venir. Afin de justifier que cette dernière ne cause pas de préjudice au prestataire, le texte législatif indique expressément : « Nous entendons que le prestataire garde maintenant pour lui ce risque et comme, dans un délai très court, les accidents du travail seront intégrés à l’assurance maladie agricole, il n’en résulte pas, au total, de préjudice certain pour le prestataire de service… Il est tout à fait normal que le prestataire garde pour lui le risque encouru du fait de ses préposés ou du fait de son matériel dans toute la mesure où préposé et matériel sont employés et utilisés sous son contrôle. Au surplus (…), lorsque, au titre de l’entraide, le prestataire va chez son voisin lui rendre service, on peut considérer, au total, qu’il se trouve dans une situation très proche de celle dans laquelle il se trouvait s’il était sur sa propre exploitation. Or, sur sa propre exploitation, il assume la totalité des risques. Il est normal qu’il en soit ainsi en cas de service rendu au

230 JOAN 19 juillet 1962, p. 2698, Ph. CASSON, op. cit.

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titre de l’entraide232. » À partir de ces propos, l’article 20 de la loi du 8 août va être voté et sera codifié aux articles L.325-1 à 325-3 du Code rural et de la pêche maritime.

L’article L.325, alinéa 1er concerne donc les accidents du travail dont sont victimes les prestataires dans le cadre de l’entraide. Selon ses termes : « Le prestataire reste responsable des accidents du travail survenus à lui-même ou aux membres de sa famille, ou à toute personne considérée légalement comme aide familiale, ou à ses ouvriers agricoles. » Il pose la responsabilité de plein droit des prestataires en cas d’accidents corporels survenus dans le cadre de l’entraide.

Dans ce chapitre, nous avons vu que l’agriculteur victime d’un accident du travail est couvert par une législation protectrice. La difficulté pour qu’elle lui soit appliquée consiste à rattacher l’activité au domaine agricole et à lier l’accident à cette même activité. Le législateur et la jurisprudence ont forgé des concepts afin de prendre en compte les diverses situations de la vie courante et professionnelle du travailleur. Il n’en demeure pas moins que la prévention des risques accidentels au travail est une donnée efficiente de la protection sociale contre les sinistres professionnels ; une notion qui va être analysée dans le chapitre suivant.

CHAPITRE III

LA PRÉVENTION : UNE PROTECTION SOCIALE EN

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