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Le difficile accès au juge

LE CONTENTIEUX COMPLEXE DE LA PROTECTION SOCIALE

Section 2. Le difficile accès au juge

Derrière le contentieux de la sécurité sociale, et par la même occasion, le traitement des litiges liés à la législation sur les accidents du travail, se cache une apparence de facilité d’accès au juge pour les contestataires, impliquant des réalités ambivalentes.

505 M. HUET, « Réforme du contentieux de la sécurité sociale : ce qui change au 1er janvier 2019», www.huet-avocat.fr, publié le 13/04/2018, mis à jour le 14/04/2018.

Tout d’abord, se pose le problème de l’obligation du ministère d’avocat lors d’un recours contre une décision d’un organisme de protection sociale et donc de MSA. Si la présence d’un avocat n’est pas obligatoire devant les juridictions de première instance et d’appel, tels le TASS, le TCI ou la CNITAAT, il n’en est pas de même devant la Cour de cassation. Former un pourvoi devant la Haute Cour peut se révéler très onéreux pour des victimes déjà en situation de fragilité. Certes, il existe des dispositifs d’aide juridictionnelle qui peuvent couvrir les frais d’avocats et d’expertises, mais les conseils sont mal rémunérés et le professionnel peut accorder moins d’attention au dossier à défendre et manquer d’investissement. De plus, tous les avocats n’acceptent pas d’être rémunérés par le biais de l’aide juridictionnelle, laissant ainsi la victime dans la situation difficile de trouver un praticien qui veuille bien prendre son dossier en étant peu payé. Le risque serait d’avoir affaire à un avocat inexpérimenté ou incompétent dans le domaine et qui n’accepterait de percevoir l’aide de l’État en guise de rémunération seulement parce qu’il n’a pas de clientèle.

Les personnes les mieux défendues seraient donc celles qui possèdent les moyens financiers pour cela, soit en rémunérant un avocat, soit en ayant contracté une assurance de protection juridique, au préalable. En ce sens, l’accès au juge est problématique et tous les accidentés ne sont pas mis sur le même pied d’égalité. Il conviendrait probablement de rendre obligatoire la protection juridique des travailleurs, à l’instar des mutuelles de santé.

Ensuite, la présence du timbre fiscal à honorer avant tout recours a été longtemps un frein à l’accès au juge. Sujet de nombreux rebondissements, la dispense ou non du timbre lors d’une introduction d’instance devant les tribunaux a été l’objet de positions législatives contradictoires. Initialement, la loi du 30 décembre 1977506 avait supprimé cette fiscalisation du recours. La gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives a finalement été remise en cause par un décret du 28 septembre 2011507 instaurant une obligation de timbre de 35 euros à compter du 1er octobre 2011 pour financer l’aide juridictionnelle qui devait permettre aux personnes avec de faibles revenus d’accéder à la justice. Partant d’une noble intention, ce décret a été institué au détriment des victimes d’accidents du travail ou du trajet qui ne peuvent pas bénéficier de l’aide de l’État pour accéder à la justice, mais qui n’ont pas assez de ressources pour financer elles-mêmes les services de professionnels du droit.

506 Loi n°77-1468 du 30 décembre 1977, JO du 31 décembre 1977, instaurant la gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives.

507

De plus, ce décret a eu pour conséquence de modifier l’article 62 du Code de procédure civile508 qui rendait irrecevable la procédure en cas de non-acquittement de ladite taxe.

La confédération Force Ouvrière (FO) avait engagé différents recours contentieux en vue de supprimer cette contribution forfaitaire. Un recours en excès de pouvoir contre le décret et sa circulaire d’application, une question prioritaire de constitutionnalité509, a été déposé afin de déclarer inconstitutionnel l’article 54 de la loi de finances qui a établi cette taxe. Cependant, le Conseil des Sages n’a pas conclu à son incompatibilité avec la Constitution510 en décidant que le timbre fiscal ne constitue pas « une atteinte disproportionnée au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction ou aux droits de la défense ».

La Cour de cassation n’a pas souhaité transmettre une nouvelle QPC au Conseil constitutionnel en décidant, dans un arrêt du 10 mai 2012511, que la QPC était irrecevable car ce dernier avait déjà statué sur la question. Le Conseil d’État, quant à lui, a rejeté le recours en excès de pouvoir de FO par une décision du 28 décembre 2012512, déclarant que « les dispositions des articles 1635 bis P et 1635 bis Q du Code général des impôts, qui poursuivent chacun un but légitime sans porter d’atteinte excessive au droit d’accès au juge, ne méconnaissent ni les stipulations des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni celles de l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni, en tout état de cause, celles de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Les hautes instances avaient validé la loi sur la contribution forfaitaire de 35 euros, lui donnant une légitimité au regard de sa proportion et de son but. Cependant, la réalité du droit n’est pas la même que celle de l’économie. Manifestement, elle pesait sur la décision d’introduire un recours, devenant même un obstacle pour certaines personnes.

Dans plusieurs communiqués de presse513, Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux du moment, avait qualifié « ce timbre d’injuste » car il constituait une « entrave» à l’accès au juge pour les plus démunis. Pour prétendre à l’aide juridictionnelle, le plafond de ressources

508

L’article 62 du Code de procédure civile disposait : « À peine d’irrecevabilité, les demandes initiales sont assujetties au paiement de la contribution pour l’aide juridictionnelle prévue par l’article 1635 bis Q du Code général des impôts. »

509 QPC n°354363. 510 Décision du 13 avril 2012, n°2012-231/234. 511 N°12-40019. 512 Décision n°353337, 354475. 513

était très faible, s’élevant à 929514 euros par mois, donc inférieur au seuil de pauvreté qui se montait à 977515 euros par mois, pour l’année 2011. Les juristes qui avaient déclaré cette taxe conforme étaient manifestement loin des réalités économiques. Comme l’a souligné Madame Taubira, « on a remarqué une baisse du recours à la justice chez ces catégories de justiciable, il était tempsd’y mettre un terme ».

Fort heureusement, le législateur est venu remédier à cette inégalité entre les victimes par un décret du 29 décembre 2013516, supprimant la contribution de 35 euros lors d’une introduction d’instance en justice. Il s’appliquera pour les actions introduites devant les tribunaux à partir du 1er janvier 2014. À ce jour, le timbre fiscal n’a pas été remis en place. Pourtant, les législatures passées ont tantôt instauré, tantôt supprimé cette contribution. Il ne faudrait pas que, dans l’avenir, une loi vienne rétablir cette taxe qui est manifestement un obstacle à l’accès au juge pour des victimes déjà fragiles.

Enfin, la multiplicité des juridictions et leur enchevêtrement traduisent une complexité qui s’illustre par un accès au juge plus difficile. Le contentieux technique est celui qui a suscité le plus d’interrogations en matière de litiges relatifs aux accidents professionnels et sur l’adéquation entre son existence et le principe d’accès au juge. De nombreux travaux – rapports517, ouvrages518, colloques519 ou articles520 – se sont succédé pour démontrer les failles d’un système nécessitant d’être réformé afin de faciliter l’organisation judiciaire et garantir les droits des justiciables, et notamment ceux des agriculteurs victimes d’accidents du travail.

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