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Les carences des acteurs de proximité

LA PRÉVENTION : UNE PROTECTION SOCIALE EN AMONT

Paragraphe 4. Les carences des acteurs de proximité

Les principaux acteurs de proximité sont les médecins du travail et les membres du CHSCT250.

Le texte qui a posé le fondement de la médecine du travail est la loi du 11 octobre 1946251. Les dispositions de cette dernière ont été intégrées dans le Code du travail252 qui prévoit un suivi régulier de la santé des travailleurs. Celui-ci est assuré par le service de santé au travail253 ; ses prestations sont gratuites pour les salariés à l’instar de ceux du secteur de l’industrie et du commerce. La cotisation relative à la médecine du travail est financée par les employeurs. Son montant est calculé à partir de la rémunération réelle des salariés254 ; un plafond est toutefois prévu par les texte255. Au 1er janvier 2018, il est fixé à 3 311 euros mensuel.

Dans le régime général, l’organisation paraît simple. Les grandes entreprises possèdent toutes un service de santé au travail. Les petites structures ont un service en commun. Dans le secteur de l’agriculture, la prévention au travail répond aux mêmes principes. Le particularisme des assujettis au régime agricole et de leur activité a nécessité des adaptations.

La législation du 11 octobre 1946 va imposer aux employeurs la création et le financement de la médecine du travail afin « d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Pour le régime agricole, c’est la loi du 26 décembre 1966256 qui a mis en place la médecine du travail agricole. Cette même loi a subi plusieurs modifications successives et a voulu missionner les caisses de mutualité sociale pour organiser une médecine du travail

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Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

251 Loi n°46-2195 du 11 octobre 1946, JORF du 12 octobre 1946, p. 8638.

252 Art. L.4622-1 du Code du travail.

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T. TAURAN, « La médecine du travail en agriculture », JurisClasseur Rural, V° Droit social agricole, fasc. 60, 19 juin 2018.

254 C. rural. Art. D. 741-10.

255 C. rural. Art. D. 717-70.

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agricole, en créant soit une structure au sein même des caisses, soit une association dédiée à cet effet.

Le Code rural prévoit l’assujettissement des salariés agricoles à la médecine du travail mais également à celle des non-salariés agricoles. Cependant, le suivi médical des exploitants est plus aléatoire. Contrairement aux salariés agricoles qui doivent obligatoirement appartenir à un service de santé au travail, les exploitants agricoles possèdent une faculté, et non une obligation, d’appartenir à un tel service. Dans cette intention, ils doivent faire une demande auprès de la mutualité sociale agricole257. Si l’agriculteur non salarié ne se responsabilise pas en adhérant à un service de médecine du travail, il met plus facilement sa santé en danger, car la prévention est absente. L’adhésion devrait être impérative afin de promouvoir l’égalité de la protection au travail entre agriculteurs.

Le médecin du travail joue un rôle essentiel. Il est assimilé à un conseiller des employés et du chef d’entreprise258. Lui-même est salarié de la structure qui l’emploie. S’il est amené à travailler pour des services médicaux gérés par la MSA, son recrutement se fait par le conseil d’administration de la caisse. En cas de litige entre le médecin du travail et un employeur agricole, il appartient à l’inspection du travail de trancher le problème259. Si la décision de cette dernière ne convient pas aux parties, elles peuvent bénéficier d’un recours hiérarchique dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision contestée260. Par ce biais, les décisions concernant la protection des travailleurs trouvent des garanties.

L’exercice de la fonction doit répondre à des garanties de diplôme afin d’assurer de manière efficiente les missions de prévention. Les conditions de compétences en la matière sont posées par le Code de la santé publique et le Code du travail. Cette exigence de qualification spécialisée vient incontestablement du drame de l’amiante qui a donné lieu aux travaux du professeur Claude GOT261. Ces derniers ont révélé une inadéquation de la profession « éventuellement associé[e] à une insuffisance de transfert d’informations du domaine de la recherche vers le domaine de la pratique262 ». Depuis, les débats sociaux ont conduit au vote

257 C. rural, art. R.717-1 et R-717-2 ; et T. TAURAN, « Les services de santé au travail en agriculture», Revue de droit rural, n°383, mai 2010, étude 11.

258 Code rural, articles R.717-3 et suivants.

259 Code rural, articles R.717 et suivants. L’inspecteur du travail ne peut prendre une décision qu’après avis du médecin inspecteur régional du travail.

260 T. TAURAN, op. cit.

261 Rapport établi par le professeur Claude GOT sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par le drame de l’amiante survenu en France, juillet 1998.

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de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002263. C’est cette même législation qui institue une nouvelle filière d’accès au métier de médecin du travail afin de l’adapter à la protection des travailleurs.

Au fil du temps et des discours politiques264, il est question de rapprocher le médecin du travail des autres services des caisses de régime de base et du service de prévention. Il existe une volonté de cohésion et de mise en commun des compétences et des informations. Cependant, le personnel de la médecine du travail est embauché par les caisses de MSA ; cette situation peut nous amener à nous interroger sur leur impartialité et leur indépendance, surtout quand il s’agit de statuer sur le cas d’une personne elle-même employée par la caisse de protection sociale. Madame Martine AUBRY265, dans son discours du 14 février 2000 devant le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, proposait déjà d’améliorer l’indépendance des médecins du travail. À ce jour, le constat est mitigé, et rien ne garantit une pleine liberté de leurs décisions. Par exemple, dans le cas d’un technicien employé par la MSA et d’un médecin du travail lui-même employé par la MSA, qu’est-ce qui certifie la liberté de décision du second à l’égard du premier ? L’employé, s’il est jugé indésirable dans l’entreprise, pourra être déclaré inapte médicalement, par exemple, sûrement par une pression de l’employeur commun. Le problème de la souveraineté des positions des médecins du travail reste en suspens. Leur autonomie d’action est discutable.

À l’heure actuelle, les médecins du travail des MSA agissent en binôme avec les infirmiers en santé au travail. Leur rôle est indirectement posé par l’article R. 717- 3 du Code rural et de la pêche maritime qui prévoit que le service de santé et de sécurité au travail a pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé et de la sécurité des travailleurs du fait de leur travail.

L’article L.4622-1du Code du travail donne au personnel médical des services du travail une fonction exclusivement préventive afin d’éviter toute atteinte à la santé des personnes en activité, et par conséquent, des agriculteurs. Les fonctions du médecin du travail sont souvent mal connues du public. Il doit agir sur deux plans : il a l’obligation de partager son temps

263 Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 sur la modernisation sociale, parution au JO n°15 du 18 janvier 2002.

264 Notamment, le discours du 14 février 2000 de Madame Martine AUBRY, ministre de l’Emploi et de la Solidarité de 1997 à 2000, devant le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels.

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entre les examens médicaux266 et les actions de prévention sur le terrain. L’objectif de ses interventions est d’anticiper la survenance du risque professionnel et l’altération de l’état de santé des acteurs au travail.

C’est la loi du 20 juillet 2011267 relative à l’organisation de la médecine du travail qui a refondu les services de santé au travail en clarifiant leurs missions. Cette même loi est complétée par deux décrets d’application spécifiques au régime agricole et qui sont entrés en vigueur à partir du 1er juillet 2012268. La réforme souhaite renforcer les compétences pluridisciplinaires des services de santé et de sécurité au travail afin d’optimiser la protection des agriculteurs en activité. Elle a également pour objectif de tenir compte des nouveaux enjeux en matière de santé et de sécurité au travail, qui évoluent avec l’emploi et son organisation.

À l’heure actuelle, il existe 35 sections de mutualité sociale agricole et une association spécialisée dans la surveillance médicale du travail. Leurs actions sont menées auprès de 1 116 000 salariés agricoles, eux-mêmes employés dans 180 000 structures agricoles. Elles couvrent l’emploi de 330 médecins du travail et 370 agents administratifs269. Ce nombre est manifestement insuffisant car il correspond à moins de dix médecins par structure agricole, et le suivi des agriculteurs ne peut être que lacunaire. De plus, la dernière législation en matière de prévention des atteintes à la santé des agriculteurs au travail visait un meilleur suivi, mais la périodicité des visites médicales des salariés agricoles est portée à 30 mois, soit deux ans et demi. Ce délai est manifestement trop long et ne permet pas d’optimiser le suivi des travailleurs.

Les agriculteurs des DROM ne sont pas affiliés à une caisse de MSA mais à une caisse de CPAM qui fait office d’organisme de protection sociale pour les deux régimes. Il découle de cette situation que les travailleurs du monde rural dans ces départements dépendent de la médecine du travail de l’industrie et du commerce. Dès lors, il conviendrait de se demander si cette organisation est efficiente en manière de prévention. Le suivi médical lié à la spécificité du monde agricole est probablement manquant.

266 En 2011, plus de 390 000 examens médicaux ont été réalisés par les médecins du travail en MSA. 93% des visites médicales effectuées ont donné lieu à une aptitude au poste de travail, et 1,2% des décisions ont abouti à une déclaration d’inaptitude définitive. Source : CCMA, « Santé-Sécurité au Travail », www.msa.fr.

267 Loi n°2011-867 du 20 juillet 2011.

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Décret CE n°2012-706 du mai 2012 concernant les services de santé au travail et la prévention des risques professionnels en agriculture, et décret n°2012-837 du 29 juin 2012 concernant l’organisation et le fonctionnement des services de santé au travail en agriculture.

269 Agriculture.gouv.fr-alim’agri, site du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, « Les services de santé au travail en agriculture».

La volonté des pouvoirs publics et des partenaires sociaux d’optimiser la protection des travailleurs, et notamment des agriculteurs, en tenant compte du particularisme de la profession, est incontestable. La mise en place de plusieurs dispositions législatives consacrant la protection de la santé au travail en témoigne. La création d’un nouveau diplôme donnant accès au métier de médecin spécialisé en prévention au travail, la pluridisciplinarité des domaines d’intervention, une nouvelle appellation donnant naissance au service de santé et de sécurité au travail, la volonté d’indépendance des médecins, la prise en compte de nouveaux risques pouvant constituer des accidents du travail, tels que la santé mentale, sont les points forts des réformes successives. Cependant, le 27 février 2008, le Conseil économique et social a adopté un avis par lequel la section travail souligne que les véritables objectifs de la médecine du travail n’ont pas été atteints, malgré son potentiel. Des réformes ont été prévues, mais à ce jour, force est de constater que les médecins du travail ne sont pas assez nombreux pour exercer leur mission. Si cela était le cas, leur intervention serait plus fréquente et moins ciblée. Les visites des travailleurs seraient moins espacées et ils pourraient se rendre de façon plus régulière au sein des entreprises et ne pas se déplacer pour des cas graves, tel un décès sur le lieu de travail. L’indépendance de la profession est également à améliorer, notamment en modifiant les modes de recrutement et l’autorité hiérarchique.

Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est un organe qui peut pallier les carences de la médecine du travail, mais il a lui-même ses propres lacunes.

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