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Les données personnelles de santé, des données sensibles et protégées381

LA RÉPARATION DE L’INCAPACITÉ TEMPORAIRE TOTALE

Paragraphe 2. Une procédure d’instruction compliquée et longue

B. Une instruction contradictoire

3) Les données personnelles de santé, des données sensibles et protégées381

Le principe du contradictoire ou de contradiction vise à protéger les parties en leur donnant les informations nécessaires liées à une prise de décision. Cependant, il pose la question des données personnelles de santé qui sont protégées par toute une série d’instruments législatifs qui forment leur socle juridique (a). Pourtant, son application, dans les faits, est teintée de réalisme (b).

a) Le fondement juridique

Tout d’abord, le fondement se trouve dans l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui énonce : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être

381 F. MULLER, « Accidents professionnels, secret médical et principe du contradictoire», La Semaine Juridique - Social, n°43, 21 octobre 2008, 1546.

économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Cet article n’indique pas expressément que les informations personnelles concernant la santé puissent lui être appliquées. Il précise seulement que les ingérences des autorités publiques dans la vie privée des individus peuvent être acceptées dans le cadre de la loi et en respectant un certain nombre de critères. Toutefois, afin de protéger les individus contre les atteintes des pouvoirs publics, la Haute Cour a interprété de manière extensive l’article 8 de la Convention en décrétant que les données personnelles de santé relevaient de la vie privée et qu’elles devaient être protégées.

Dans une décision du 27 août 1997382, la Cour européenne des droits de l’homme est venue poser les limites de cette protection. Le litige qui a donné naissance à cette décision concernait la transmission du dossier médical d’une personne par les services d’un hôpital aux caisses de sécurité sociale, à leur demande. Il était question, pour l’organisme de sécurité sociale, de vérifier si l’état de santé de la requérante pouvait justifier l’attribution d’une pension d’invalidité. La personne attaquait la transmission du dossier médical au motif qu’elle constituait une atteinte à la vie privée. Pour prendre sa décision, la CEDH va alors effectivement mettre en « balance » deux droits qui se heurtent : celui du contradictoire et du droit à l’information et celui du secret médical et des données personnelles de santé. Elle conclut que « le dossier médical en question [comporte] des données de nature hautement personnelle et sensible » et que sa transmission représente « une atteinte au droit au respect de sa vie privée garanti à l’intéressée par le paragraphe 1 de l’article 8 ». Cependant, la légitimité de cette atteinte peut être justifiée par le paragraphe 2 du même article. La Cour précise que « la communication des renseignements visait à permettre à la caisse de vérifier si se trouvaient réunies les conditions auxquelles Mme M.S pouvait bénéficier d’une indemnité pour invalidité professionnelle. Elle est potentiellement décisive pour l’allocation de fonds publics à des demandeurs remplissant les critères. Elle peut donc passer pour avoir tendu à protéger le bien-être économique du pays ».

Au vu de ces éléments, la requérante conteste la pertinence des données transmises et argue que les services du centre hospitalier auraient communiqué à la caisse de sécurité sociale des informations médicales non nécessaires à la vérification de l’éligibilité à l’obtention de la

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pension d’invalidité. La transmission des informations médicales devait, selon la requérante, être proportionnée et strictement nécessaire.

Dès lors, la Cour rappelle que « la protection des données à caractère personnel, et spécialement des données médicales, revêt une importance fondamentale pour l’exercice du respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention. Le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel d’un système juridique de toutes les parties contractantes à la convention. Il est capital non seulement de protéger la vie privée des malades, mais également de préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme aux garanties prévues à l’article 8 de la convention ». La Cour pose une limite au secret médical : l’intérêt économique peut justifier la levée de celui-ci par les autorités publiques, à la condition que des garanties entourent la communication des pièces383.

Les données de santé sous couvert du droit au respect de la vie privée sont également protégées par un fondement juridique national, bien que ce dernier s’appuie sur l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, le préambule de la Constitution de 1958 renvoie expressément à cet article384.

Dans une loi de financement385 de la sécurité sociale, il était prévu que les médecins prescrivant un arrêt de travail devaient préciser les éléments médicaux motivant leur décision. Cette obligation a fait naître un litige juridique quant à sa conformité au secret médical qui garantit le respect de la vie privée. Dès lors, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de cette loi et a rendu sa décision le 21 novembre 1999386. Ce dernier était confronté à deux impératifs fondamentaux : le secret médical garantissant le respect du droit à la vie privée (l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et un impératif de maîtrise des hausses des arrêts de travail qui pouvaient être éventuellement injustifiés et mettre en danger les finances de la sécurité sociale.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel pose le cadre juridique du droit au respect de la vie privée, incluant lui-même le secret médical. Cependant, il indique que ce dernier doit être

383 F. MULLER, « Accidents professionnels, secret médical et principe du contradictoire », op. cit.

384 Cons. Const., 12 déc. n°99-422, 21 déc. 1999 DC : JO du 30 déc. 1999, p. 19730

385 Art. 25 de la loi n°99-1140 du 29 décembre 1999 de FSS pour 2000, JO n°302 du 30 déc. 1999.

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concilié avec d’autres exigences constitutionnelles. Dans ce cas, l’exigence financière de la sécurité sociale est un impératif constitutionnel qui valide l’atteinte au secret médical. Il rappelle que cette violation doit être limitée à ce qui est indispensable. Dans ce cas de figure, l’équilibre financier est le seul motif justifiant cet écart387. De plus, la constitutionnalité de la loi qui lui est soumise est justifiée par le fait que les données médicales sont destinées aux services du contrôle médical des caisses de sécurité sociale, eux-mêmes tenus au secret médical.

Enfin, la troisième source du secret médical au travers du droit au respect de la vie privée est la loi du 4 mars 2002388. Celle-ci a introduit l’article L.1110-4 dans le Code de la santé publique389. Cette législation renforce le droit à la protection du secret médical qui devient une composante du droit au respect de la vie privée. Le texte législatif précité va également définir les personnes tenues au secret médical et donner les catégories d’informations couvertes par le secret médical. De plus, le Code de la sécurité sociale rappelle, dans son article L. 315-1, V, que les informations médicales mises à la connaissance des différents services des caisses de sécurité sociale, et donc des MSA également, sont couvertes par ce principe.

Ce non-respect est sanctionné pénalement afin de dissuader toute tentative de violation du secret médical. Les textes390 prévoient un an de prison et 15 000 euros d’amende en cas de violation de ce droit. Cependant, l’article 226-14 précise que ce principe n’est pas absolu et qu’il peut être violé « dans le cas où la loi impose la révélation du secret professionnel ».

Comme on peut le voir, l’application du contradictoire nécessite un réalisme dans son application.

b) Le réalisme de son application

Dans les litiges, les employeurs utilisent exclusivement le principe du contradictoire afin que les décisions des caisses concernant les accidents du travail et du trajet leur soient

387 F. MULLER, « Accidents professionnels, secret médical et principe du contradictoire », op. cit.

388 L. n°2002-303, 4 mars 2002 : Journal officiel du 5 mars 2002.

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« Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »

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inopposables. La violation du principe du contradictoire constitue, à l’heure actuelle, la base juridique essentielle des recours intentés par les employeurs contre les caisses. Cependant, ces recours sont formés malgré le principe du secret médical. À cet égard, le Code de la sécurité sociale ne s’est pas adapté aux évolutions législatives et jurisprudentielles391 car il n’a pas intégré la législation sur le secret médical. En effet, l’article R.441-13 du Code précité, qui énonce les pièces transmissibles à l’employeur, est visiblement contraire à la position du Conseil constitutionnel. Ce dernier ne valide pas la transmission des données personnelles de santé, hormis aux autorités publiques chargées de la gestion des prestations sociales et du contrôle de l’octroi de celles-ci pour des motifs strictement nécessaires et constitutionnels.

Ce même article va également à l’encontre de la jurisprudence de la CEDH qui prévoit qu’une ingérence au nom du principe du contradictoire, notamment, n’est tolérée que s’il existe une disposition légale qui le prévoit. L’idée de protéger le bien-être économique du pays392 possède une valeur supérieure.

La protection des données de santé, via le respect du droit à la vie privée, a une assise juridique certaine : droit européen, Conseil constitutionnel, articles du Code pénal et Code de la santé publique. Cependant, le principe du contradictoire englobant le droit à l’information n’est pas défendu totalement par le droit européen. En effet, il ne peut être protégé par l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, car cette disposition ne concerne que les procès et les décisions de justice. Le principe du contradictoire, en droit de la sécurité sociale, n’a donc qu’une source nationale. Toutefois, les tribunaux ne font pas prévaloir un droit sur l’autre, mais les mettent en opposition en faisant primer le secret médical si aucune ingérence juridique n’est prévue. Pour la sécurité des victimes, il conviendrait d’adapter le Code de la sécurité sociale aux lumières de la jurisprudence et de la législation afin que le principe du contradictoire et celui du secret médical aient des domaines et des applications clairement définis. Les agriculteurs victimes d’accidents du travail seraient ainsi moins dans l’incertitude juridique en ce qui concerne la conciliation de leurs droits sociaux et personnels. Cela concernerait également les victimes des autres régimes de sécurité sociale qui sont sous la gouvernance des mêmes règles.

Une fois la déclaration d’accident du travail instruite, et le sinistre professionnel reconnu par les caisses de mutualité sociale agricole, l’indemnisation de la victime va se mettre en place

391 F. MULLER, « Accidents professionnels, secret médical et principe du contradictoire », op. cit.

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au titre de la législation des accidents professionnels. L’un des modes de réparation est la réparation en nature.

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