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La prévention des risques par le salarié : le droit de retrait

LA PRÉVENTION : UNE PROTECTION SOCIALE EN AMONT

Paragraphe 6. La prévention par les parties du contrat de travail

B. La prévention des risques par le salarié : le droit de retrait

Le salarié est tenu d’exécuter les travaux qui lui sont confiés dans le cadre de ses fonctions. Parfois, quand il se sent en danger dans la réalisation de ses activités, il a la possibilité de cesser son travail. Cette procédure se nomme le droit de retrait et se différencie du droit de grève. Le salarié en grève refuse d’exécuter son contrat de travail et revendique des droits sociaux, alors que le salarié utilisant son droit de retrait refuse d’accomplir une tâche liée à son métier au nom de sa sécurité et de sa santé. Il pense de manière subjective que le danger est grave et imminent.

Le droit de retrait du salarié pose question. Sa reconnaissance n’est pas explicite puisque la loi ne prévoit pas clairement un droit de retrait mais une possibilité pour le salarié de signaler un éventuel danger : « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a le motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa santé ou sa sécurité ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection301. »

À travers ce texte, le droit de retrait est consacré en parallèle à l’obligation de signalement du danger afin de prévenir le risque d’accident du travail. Se pose alors le problème du formalisme de l’alerte : le règlement intérieur peut-il spécifier que cette dernière doit être donnée par écrit et non par voie orale ? Si cela était le cas, l’obligation d’une déclaration écrite pour signaler le danger à l’employeur risquerait de retarder la prévention et d’éviter la survenance du sinistre. La jurisprudence est venue éclairer le droit en précisant qu’aucun formalisme n’est nécessaire302. Cependant, demeure le problème de la preuve du signalement. Ensuite, cette obligation d’alerter avant d’exercer le droit de retrait mérite d’être analysée plus précisément.

Avant la refonte du Code du travail en 2008, la situation était ambiguë sur ce point, car il existait deux textes distincts : un sur le droit de retrait303 et l’autre sur le droit d’alerte304. Il était impossible de savoir si la cessation du travail impliquait au préalable une déclaration du danger à l’employeur305. Le législateur, en 2007, a pris acte de ces lacunes en regroupant les

301

C. trav., art. L.4131-1.

302 Soc., 28 mai 2008, n°07-2008, 1506, note A. BAREGE et B. BOSSU.

303 Code du travail, art. L.231-8-1 ancien.

304 Code du travail, art. L. 231-8 ancien.

305

deux prérogatives au sein d’un même article306. Celui-ci est composé de deux alinéas qui corroborent la thèse d’une alerte préalable du salarié avant tout retrait de son poste de travail307. Le Conseil d’État308 comme la Cour de cassation309 ont validé cette interprétation. Cette position revêt un intérêt pour le salarié comme pour l’employeur car elle limite la naissance des litiges en cas de retrait. Le signalement du danger avant toute interruption du travail aura pour avantage d’éviter le reproche d’une inexécution fautive du contrat de travail.

Cette obligation d’alerte ne doit pourtant pas empêcher le travailleur d’exercer son droit de retrait quand il juge que sa sécurité et sa santé risquent d’être affectées. Il convient de rappeler que le salarié est soumis à un impératif de prudence en vertu de l’article L.4122-1 du Code du travail et qu’il pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de manquement. Lorsqu’un danger se « révèle entre “imminence” et “actualité”, il doit être admis que le signalement soit opéré de façon concomitante au retrait, voire une fois le salarié mis ensécurité310». La possibilité de se retirer pour ne pas exécuter son travail en cas de danger demeure un droit et non une obligation311, car le salarié a la faculté de ne pas exercer cette prérogative qui est différente de l’alerte. Une circulaire du 25 mars 1993 rappelle que cette faculté n’est pas une obligation : « Il doit être clair que le droit institué n’est qu’une faculté et qu’en aucun cas, il ne saurait être reproché à un salarié victime d’un accident du travail de ne pas s’être retiré d’une situation de travail qui s’est révélée dangereuse312. »

L’alerte et le retrait demeurent une appréciation subjective313 du salarié. Le travailleur peut sous-estimer ou surestimer le risque. Dans l’hypothèse où le salarié a exercé son droit alors que le péril n’existait pas vraiment, les juges du fond apprécient souverainement le caractère raisonnable314 de l’appréciation du danger. Si le motif raisonnable est constaté par le juge, le salarié bénéficie alors d’une immunité contre toute sanction de l’employeur315. Dans l’hypothèse où, malgré un risque avéré, le travailleur aurait continué sa tâche, aucune sanction

306 Code du travail, art. L.4131-1, op. cit. : « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de production. Il peut se retirer d’une telle situation. »

307 D. EVERAERT-DUMONT, op. cit.

308 CE, 11 juillet 1990, n°85416 : JurisData n°1990-643415 ; JCP E 1991, 2123, note GONDARD ; RJS 1990, n°767.

309

Soc., 21 janvier 2009, n°07-41.935 : JurisData n°2009-043964 ; JCP S 2009, 1184, D. EVEREART-DUMONT, op. cit.

310 D. EVEREART-DUMONT, op. cit.

311

Soc., 9 déc. 2003, n°02-47.579 : JurisData n°2003-021403.

312 Circ. n°93-15 : BOMT n°10, 5 juin 1993.

313 Soc., 9 mai 2000 ; Bull. civ. 2000, V, n°175.

ne devrait être retenue. Cependant, il pourrait être reproché au salarié de ne pas avoir donné l’alerte qui est une contrainte, à l’inverse du retrait. Si la menace grave et imminente n’a pas été signalée alors que le travailleur en avait connaissance, il risque une sanction disciplinaire. Le Code pénal prévoit le délit pour non-assistance à personne en danger en le sanctionnant d’une peine de prison de cinq ans et d’une amende de 75 000 euros.

Logiquement, le droit de retrait du salarié est de toute évidence un des meilleurs moyens de prévenir le sinistre au travail, et il ne trouve aucune limite financière à son exercice, comme en cas de grève. En effet, pendant la période non travaillée, le salaire est maintenu. La situation financière de l’agriculteur n’est pas remise en cause, cependant, il peut se retrouver dans une situation délicate envers son employeur. La fragilité actuelle de l’emploi le conduit régulièrement à accepter ses conditions de travail malgré le droit qui lui est ouvert.

La mise en œuvre de la prévention par ce procédé est délicate, car l’agriculteur peut être victime de mesures disciplinaires. Dans un cas extrême, il est possible qu’il soit accusé d’insubordination et licencié. Ces menaces n’incitent pas la victime potentielle à se prémunir contre le danger en exerçant son droit de retrait. La peur de perdre son emploi ou d’être sanctionné constitue un frein alors que la loi protège les salariés contre les licenciements abusifs. Pour cela, le juge contrôle la sanction injustifiée de l’employeur et le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La reconnaissance du sinistre professionnel de l’agriculteur est un chemin long et difficile. La procédure est malaisée à comprendre par sa technicité. Pour que l’agriculteur soit pris en charge de manière adéquate par la législation protectrice des accidents du travail, plusieurs paramètres sont à prendre en compte. Tout d’abord, il convient de se demander si l’activité se rattache au régime agricole ou non. Ensuite, il faut déterminer le statut de l’agriculteur : est-il un travailleur indépendant, donc un exploitant, ou un subordonné ? Dans ce dernier cas de figure, la victime sera assimilée à un salarié agricole. Puis, la qualité de l’évènement dommageable doit être analysée. S’agit-il d’un accident de droit commun ou du travail ? Et, s’il est lié à l’activité professionnelle, a-t-on affaire à un accident du travail au sens strict ou à un accident du trajet ?

Toutes ces questions et leurs réponses démontrent un dysfonctionnement dans la reconnaissance de l’accident du travail et sa prévention. Sa réparation est tout autant litigieuse. Celle-ci fera l’objet du Titre II.

TITRE II

LA RÉPARATION

Une fois l’accident du travail reconnu, l’étape suivante est celle de la réparation. À l’instar de la procédure de reconnaissance, celle qui régit le dédommagement du sinistre professionnel est longue et fastidieuse.

Aujourd’hui, la réparation des accidents du travail des salariés agricoles est alignée sur celle du régime général du commerce et de l’industrie. La seule différence se trouve, à son grand dam, dans l’indemnisation des agriculteurs non salariés (NSA). Malgré une amélioration des conditions de dédommagement de ces derniers par leur régime de base, ils conservent une différence de traitement par rapport aux agriculteurs salariés. Les modalités de la réparation de leur préjudice professionnel sont à repenser.

Il est également nécessaire de revoir la manière dont les salariés agricoles sont indemnisés des conséquences de leur accident du travail. Le droit commun de la législation des sinistres professionnels ne répond manifestement pas au principe posé par la résolution du Conseil de l’Europe de 1975, relative au dédommagement des atteintes corporelles. Ce dernier précisait : « Compte tenu des règles concernant la responsabilité, la personne qui a subi un préjudice a droit à la réparation de celui-ci, en ce sens qu’elle doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit316. » Le rapport du professeur Roland MASSE317 a emboîté le pas à cette affirmation en proposant une réparation intégrale et non forfaitaire. Cette idée a fait son chemin mais aucune législation n’a remis positivement en cause les fondements de la reconnaissance et de l’indemnisation des sinistres au travail. La situation reste figée sur les acquis de 1898.

À l’heure actuelle, lorsque l’agriculteur est victime d’un accident professionnel, il peut se retrouver en incapacité temporaire totale de travail (Chapitre I) ou en incapacité partielle (Chapitre II). Dans les deux cas, la victime possède des droits et des obligations.

316

Conseil de l’Europe, Comité des ministres. Résolution 75, 7, concernant la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès. Adoptée par le Comité des ministres le 14 mars 1975, lors de la 243e réunion des délégués des ministres.

317 R. MASSE, rapport : « Réflexions et propositions relatives à la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles », juin 2001.

CHAPITRE I

LA RÉPARATION DE L’INCAPACITÉ TEMPORAIRE

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