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La plasticité de la notion d’accident du travail

LA DÉTERMINATION DE LA PRISE EN CHARGE DU SALARIÉ AGRICOLE EN CAS D’ACCIDENT DU TRAVAIL

Paragraphe 1. La plasticité de la notion d’accident du travail

D’après l’article L.751-6 du Code rural et de la pêche maritime, l’accident du travail doit répondre à plusieurs critères pour être qualifié comme tel. En vertu d’une jurisprudence constante, celui-ci est caractérisé par trois éléments cumulatifs.

Non seulement l’événement doit avoir un caractère soudain (A), mais la lésion doit exister (B) et avoir un caractère professionnel (C). La jurisprudence a fait évoluer ces trois critères pour finalement les dépouiller. L’agriculteur, comme tout autre accidenté, a pu bénéficier de ces assouplissements jurisprudentiels.

A. Le caractère soudain

Pour qu’un événement soit qualifié d’accident du travail, il faut qu’il ait un caractère soudain (une coupure, une chute…) ou que la lésion qui apparaît ait un caractère soudain (une douleur lombaire au moment d’un travail de manutention, par exemple). Ce critère permet de distinguer l’accident de la maladie qui s’installe de façon progressive et lente et qui se développe au fil du temps. Ainsi, T. Tauran133 explique la soudaineté de l’accident du travail en donnant l’exemple d’une barre de coupe qui blesse brusquement l’agriculteur. Le dommage affectant le corps humain est donc violent et soudain, et l’élément extérieur au corps donne le caractère d’accident à l’événement. Cependant, un agriculteur ou un viticulteur qui a été exposé pendant plusieurs années au contact de produits dangereux tels que le sulfate ou le soufre, et qui se trouve atteint d’une maladie respiratoire, n’est pas dans une situation d’accident du travail car le caractère de soudaineté manque ; la maladie s’est installée au cours du temps et non brusquement. Dès lors, distinguer la maladie de l’accident est primordial, car les enjeux et la législation sont différents, comme il sera vu plus tard.

133 T. TAURAN., « La prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles en agriculture »,

Cependant, étant donné l’importance des litiges tenant à la qualification de l’évènement, il est de droit de constater les difficultés d’application pratique. En effet, l’accident qui a une origine traumatique évidente telle, par exemple, une piqûre de guêpe sur le lieu de travail, s’est produit à une date précise et certaine et ne pose pas de difficulté de qualification. Il en est de même pour la maladie caractérisée par une évolution lente et qui ne peut être qualifiée d’accident. Néanmoins, la frontière peut être ténue. Y. Saint-Jours y voit « une zone floueoù s’enchevêtrent plus ou moins étroitement les notions de soudaineté et d’évolution lente », ce qui pose problème quant à la qualification d’accident ou de maladie. Ainsi, ne constitue pas un accident du travail un décès brutal, conséquence d’une atteinte cardiaque ancienne ou d’un état pathologique préexistant134. Par contre, une insolation subie par un travailleur135 pendant son temps de travail peut constituer un accident du travail. Donc, la qualification de l’évènement est fondamentale pour l’agriculteur afin de déterminer la législation applicable. Mais, la définition de l’accident du travail a peu à peu été « dépouillée » de ces critères de qualification, notamment par la jurisprudence sur la vaccination. Le caractère soudain a été délaissé dans le cadre de l’apparition des conséquences tardives d’une vaccination alors qu’il a été longtemps considéré comme essentiel.

Ainsi, il a été décidé que le fait d’imposer à un travailleur la vaccination contre l’hépatite B, conformément à l’article L.311-4 du Code de la santé publique, déclenchant chez lui l’apparition d’une sclérose en plaques, constitue un accident du travail136. Le caractère soudain est abandonné par la chambre sociale. La Cour de cassation revient sur sa jurisprudence passée dans laquelle elle exigeait que la lésion corporelle soit apparue immédiatement ou dans un temps voisin. Elle décide que le caractère professionnel peut être avéré quelle que soit la date d’apparition des lésions. Cette jurisprudence semble constante aujourd’hui. Il est vrai que l’assouplissement de l’exigence du caractère certain protège le travailleur et donc l’agriculteur des conséquences de l’accident du travail.

Hormis le domaine de la vaccination, l’abandon du caractère certain de l’accident du travail a également été délaissé dans certains cas de suicide137. Ainsi, la Haute Cour a décidé que le

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Soc., 12 octobre 1983, Bull. civ. n°489.

135 Soc., 5 octobre 1961, Bull. civ. n° 834.

136 Soc., 2 avril 2003, n°00-21768, Bull., n°132, p.130, cas d’apparition d’une sclérose en plaques suite à une vaccination contre l’hépatite B.

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suicide d’un salarié peut constituer un accident du travail, si ce suicide est la conséquence d’un sinistre professionnel qui s’est produit même plusieurs années auparavant138.

L’agriculteur, comme tout salarié, peut subir un choc émotionnel sur son lieu de travail. Il a été décidé que toute personne, donc l’agriculteur également, qui subit des agressions pendant son temps et sur son lieu de travail et qui, à la suite de cela, développe un état pathologique post-traumatique, est couverte par la législation des accidents du travail. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation retient qu’une dépression nerveuse soudaine, par le fait ou à l’occasion du travail, constitue un accident du travail. La jurisprudence de la Haute Cour a ouvert ainsi la voie à la qualification d’accident du travail des états graves de souffrance psychique résultant du travail, et ce, indépendamment de toute notion de lésion corporelle. Elle retient tout de même le caractère soudain de l’atteinte psychique139. Sur ce point, la Cour semble retenir le caractère soudain afin de ne pas « vider » la notion d’accident du travail de sa substance car elle ne prend pas en compte l’élément corporel. Cependant, dans une toute autre décision, la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le caractère certain de l’accident du travail et exige le caractère corporel140. Il semble que dans ses décisions, la Haute Cour juge « en opportunité », toujours avec la volonté de protéger le travailleur et donc l’agriculteur par la même occasion.

Le deuxième critère à prendre en considération est la présence d’une lésion.

B. L’existence d’une lésion

Si le travailleur est atteint d’une affection à la suite d’une progression lente et qui est le résultat d’évènements qui ne se sont pas produits de façon soudaine, celle-ci sera alors qualifiée de maladie et non d’accident. Toutefois, l’affection peut avoir le caractère d’un accident du travail si sa date et son origine sont certaines. Finalement, la jurisprudence admet comme étant un accident du travail toute lésion qui est apparue soudainement au travail. Il doit s’agir d’une lésion de l’organisme humain. Son importance peut être appréciée à divers degrés, et une lésion même légère peut être retenue ; la notion est donc entendue largement et se présente comme étant très favorable à l’accidenté du travail. En effet, l’étendue de la lésion importe peu ; elle peut être même superficielle, interne ou externe. Ainsi, il a été retenu

138 Civ. 2e, 22 janvier 2015, pourvoi n°13-28.368, Bull. civ. 2015, II, n°253, à propos d’un accident du trajet : la Cour de cassation sous-entend que le salarié victime d’un accident du trajet dix ans plus tôt et qui se suicide aurait pu avoir son geste fatal reconnu en accident professionnel si la preuve d’une relation certaine et directe entre le suicide et l’accident avait été apportée par sa veuve.

139 Civ. 2e, 14 mars 2007, n°05-21.090

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comme lésion l’apparition de troubles psychiques à la suite d’un entretien d’évaluation d’un salarié141.

Des questionnements se sont également posés concernant les appareils de prothèse, d’orthopédie ou les lunettes. Cependant, le Code de la sécurité sociale semble avoir résolu le problème en disposant de la prise en charge de ces appareillages au titre de la législation sur les accidents du travail si c’est ce dernier qui les a rendus indispensables.

Cependant, que se passe-t-il si ces prothèses ont été abîmées, au moment du travail et sur le lieu du travail ? L’évènement peut-il constituer un accident du travail ? La Cour de cassation n’est pas protectrice à ce sujet et pose certaines conditions à la prise en charge des produits cassés. La législation sur les accidents du travail ne peut jouer que si la destruction ou la détérioration des appareillages se double d’une lésion corporelle et que le port de l’appareillage n’est pas du fait d’un accident du travail antérieur142.

Enfin, le dernier critère requis est que l’accident du travail doit revêtir un caractère professionnel.

C. Le caractère professionnel

Le caractère professionnel est le troisième critère nécessaire à la qualification d’un évènement en accident du travail. Ce dernier doit survenir à l’occasion du travail ou par le fait du travail. Ainsi, le lien de subordination entre la victime et l’employeur doit exister juridiquement. La protection de la législation des accidents du travail joue tant qu’il y a un lien de subordination entre l’employeur et son salarié. Dès lors, la législation sur les risques professionnels exclut le candidat qui se présente à une offre d’emploi et à qui il arrive un fait dommageable.

La victime doit avoir subi l’accident soit au cours de la réalisation de son travail, soit à l’occasion de celui-ci. Ce dernier point fait référence à l’accident qui survient lors d’un déplacement de travail ou d’une mission effectuée pour le compte d’un ou plusieurs employeurs. Tel peut être le cas de blessures à la suite d’une rixe en dehors du temps de travail et du lieu de travail, mais dont les motifs sont liés à l’activité professionnelle.

141 Soc., 2 avril 2003, 00-21768.

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La question s’est posée concernant l’accident d’un représentant du personnel qui s’est produit lors de son mandat. Il a été décidé que l’accident était un accident du travail143. Et ce, contrairement aux accidents qui se produisent pendant la suspension du contrat de travail, à l’occasion des grèves144, des congés145, des mises à pied146.

Il en va de même quand le salarié se soustrait à l’autorité de l’employeur, afin de procéder à l’accomplissement d’un travail personnel147.

Quant à savoir si l’évènement accidentel est survenu par le fait ou à l’occasion du travail, l’appréciation se fait souverainement par les juges du fond. Ce principe a été affirmé par la chambre sociale qui a rendu plusieurs arrêts en ce sens le 20 décembre 2001148. Depuis, cette solution n’a pas été remise en cause par la deuxième chambre civile en charge du contentieux de la sécurité sociale, qui continue à l’appliquer149.

Par ailleurs, il existe une protection spécifique qui est prévue concernant les accidents se produisant lors des trajets domicile/travail.

Paragraphe 2. Les accidents du trajet, une protection large du risque lié à

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