• Aucun résultat trouvé

L'effet rayonnant et l'obligation de protection des droits fondamentaux d éveloppés par la jurisprudence constitutionnelle allemande

b. Au niveau international

SECTION 1 : La r éappropriation de la doctrine et de la jurisprudence allemande

A. Le caract ère précurseur de la jurisprudence et de la doctrine allemande

2. L'effet rayonnant et l'obligation de protection des droits fondamentaux d éveloppés par la jurisprudence constitutionnelle allemande

88. Dans son arrêt Lüth248, la Cour constitutionnelle allemande a repris les termes de

Dürig selon lesquels « les clauses générales constituent les portes d'entrée des droits fondamentaux

dans le droit privé »249, et qui caractérisent sa théorie de l'effet horizontal direct250. Certains auteurs

ont cependant défendu qu'elle aurait adopté une approche alternative251. Elle irait plus loin que la

théorie de Dürig en affirmant que les droits fondamentaux, en tant que norme objective ou « système de valeurs », ont vocation à influer « évidemment sur le droit civil ; aucune norme de

droit civil ne doit se trouver en contradiction avec lui, chacune doit être interprétée dans son

esprit ». Cet effet fut par la suite qualifié par la Cour d'« effet rayonnant »252. Or une telle conséquence était absolument rejetée par les partisans de l'effet horizontal indirect qui refusaient toute application des droits fondamentaux au droit privé, en dehors de l'activité d'interprétation du juge des « clauses générales ». La conception de la Cour constitutionnelle a pu en ce sens être qualifiée de « plus proche dans ses conséquences pratiques de celle de Nipperday que de celle de

Dürig »253, ou encore être décrite comme emportant « renforcement » et « dépassement »254 de l'effet

horizontal indirect.

89. En vertu de l'effet rayonnant des droits fondamentaux, ces derniers ont vocation à

248 CCFA, 15 janvier 1958, Lüth, préc.

249 D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., § 378.

250 Elle a ensuite explicitement rejeté l'effet horizontal direct (CCFA, 8E B?AK 93E8?( & 0 -+=+%  0        -   $$L"EF

251

F. RIGAUX, La protection de la vie privée et des autres biens de la personnalité, LGDJ, 1990, p. 676 et s. ; R. BRINKTRINE, « The Horizontal Effect of Human Rights in German Constitutional Law : the British Debate on Horizontality and the Possible Rôle Model of the German Doctrine of 'Mittelbare Drittwirkung der Grundrechte' »,

op. cit., p. 425-426.

252 « Ausstrahlungswirkung der Grundrechte », (CCFA, 14 février 1973, Princesse Soraya, BVerfGE, 34, 269, p. 280 ;

RDP, 1975, p. 139, chron. M. Fromont ; RIDC, 1981, p. 457, H. G. Rupp).

253

D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., § 385.

254 D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux, Recherche en droit comparé sur les effets des droits

s'appliquer dans « tous les domaines du droit »255. Y sont soumis le législateur, l'administration et le juge. Toutes les normes juridiques doivent être interprétées à leur lumière. Cette jurisprudence a ainsi permis une première incursion des droits fondamentaux dans les relations entre personnes privées dans la mesure où tout contrat, et, plus largement, toute norme de droit privé, devait

désormais être en conformité avec ceux-ci256. Cependant, à ce stade, aucune obligation n'existait à la

charge du législateur ou du juge de « réaliser dans les faits une liberté constitutionnellement

protégée »257. En effet, la conformité de la norme de droit privée à la Constitution ne prenait pas en

compte « la situation de fait résultant de l'application de la loi »258.

90. Ce pas a été franchi avec la consécration par la Cour constitutionnelle allemande

d'une obligation de protection des droits fondamentaux à la charge des autorités étatiques (Schutzpflicht). En 1975, dans sa décision Interruption volontaire de grossesse 1, qui fait figure

d'arrêt de principe à cet égard259, elle a estimé que « l'obligation pour l'État de protéger chaque vie

humaine découle directement de l'article 2§2 LF » qui dispose que « chacun a droit à la vie et à

l'intégrité corporelle » et « au delà, elle résulte des dispositions claires de l'article 1er §1 LF » selon lequel « tous les pouvoirs publics ont l'obligation » de « respecter » et de « protéger », « la dignité

de l'être humain ». Elle y a également précisé que cette protection devait s'exercer « contre les

ingérences illicites provenant d'autres individus »260. La Cour est ainsi parvenue à la conclusion

controversée261 que la dépénalisation de l'avortement effectué pendant les douze premières semaines

de grossesse allait à l'encontre de l'obligation de protection à la charge du législateur.

255 CCFA, 15 janvier 1958, Lüth, préc.

256

La notion d'effet rayonnant fut reprise dans de nombreuses décisions de la Cour constitutionnelle allemande mais est restée « utilisée exclusivement dans le cadre de l'interprétation du droit privé » (D. CAPITANT, Les effets

juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., § 405).

257 Ibid., § 406.

258

Pour le professeur D. Capitant, il s'agit « non pas d'un nouvel effet des droits fondamentaux mais de l'application

classique des droits fondamentaux dans leur aspect défensif au législateur, par le biais du mécanisme de

l'interprétation conforme des normes qu'il a édictées » (Ibid., § 414).

259 Il est cependant possible d'en déceler des prémices dans des décisions antérieures (D. CAPITANT, Les effets

juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., §435 ; D. RIBES, L'État protecteur des droits

fondamentaux, Recherche en droit comparé sur les effets des droits fondamentaux entre personnes privées, op. cit., § 419).

260

CCFA, 25 février 1975, Interruption volontaire de grossesse I, BverfGE 39, 1, p. 41 et s. ; Documents d'étude, n° 1. 15-1. 16 p. 41, Ch. Eisenmann, traduction ; RDP, 1977, p. 344, chron. M. Fromont ; RIDC, 1981, p. 461, H. G. Rupp ; Pouvoirs, 1982, n° 22, p. 142, J.-C. Beguin ; AIJC, II-1986, p. 83, M. Fromont ; p. 89, G. Ress. Traduction D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux, Recherche en droit comparé sur les effets des droits

fondamentaux entre personnes privées, op. cit., § 420.

91. Cette obligation s'est essentiellement déployée par la suite dans le domaine de la

protection de la vie et du droit à l'intégrité physique garanti par l'article 2§2 LF262. Cependant, la

jurisprudence constitutionnelle compte plusieurs exemples d'application de l'obligation de

protection à d'autres dispositions263. Cette obligation de protection est indifférente aux moyens mis

en œuvre, qui peuvent être de toute nature, et s'impose aussi bien au législateur qu'à l'administration ou au juge. Par ailleurs, elle a été étendue à des hypothèses dans lesquelles la menace ne proviendrait pas nécessairement de tiers264. La Cour applique donc les droits fondamentaux aux rapports entre personnes privées par le biais de cette obligation de protection à la charge des autorités publiques. Cette application « horizontale » ne se conçoit donc que par l'intermédiaire de

l'État qui est tenu de prendre les mesures nécessaires pour protéger le droit en cause265.

92. La Cour constitutionnelle n'a donc pas fait une application stricte des théories de

la Drittwirkung mais a développé ses propres techniques de l'effet rayonnant et de l'obligation de protection afin d'assurer une application des droits fondamentaux aux relations entre personnes privées.

Devant la Cour européenne des droits de l'homme, en vertu des articles 34 et 35 de la

Convention266, l'État peut être mis en cause mais en aucun cas une personne privée. Une application

directe des droits aux relations individuelles au sens de la doctrine de l'unmittelbare Drittwirkung de Nipperday ne peut être opérée devant les organes de contrôle de la Convention. En effet, cette

262 Obligation de réglementer le trafic aérien pour limiter le bruit (CCFA, 14 janvier 1981, Bruits d'avion, BVerfGE 56, 54), obligation de mettre en place une procédure préalable à l'ouverture d'une centrale nucléaire (CCFA, 8 août 1978, Centrale nucléaire de Kalkar, BVerfGE 49, 89 ; RDP, 1979, p. 1650, chron. M. Fromont).

263 Sur l'obligation de protection de la liberté de profession (article 12 LF) CCFA, 7 février 1990, Représentant de commerce, BVerfGE 81, 242 ; AIJC, VI-1990, p. 458, M. Fromont. Elle s'appliquerait également en matière de liberté de la science et de liberté de réunion (R. ARNOLD, « Les développements des principes de base des droits fondamentaux par la Cour constitutionnelle allemande », in Mélanges Jacques Robert, Libertés, Montchrestion, 1998, p. 473 et s.).

264

D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., § 437 et 438.

265 Cette conception, influencée par les écrits du professeur J. Schwabe (D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits

fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 254 et s. ; D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux, Recherche

en droit comparé sur les effets des droits fondamentaux entre personnes privées, op. cit., p. 247 et s.), a provoqué de nombreux débats quant aux relations entre effet horizontal et obligation de protection. Pour le professeur D. Ribes, les deux notions sont distinctes (D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux, Recherche en droit comparé

sur les effets des droits fondamentaux entre personnes privées, op. cit., §388), pour le professeur D. Capitant, l'imputabilité des actes individuels à l'État ne permet plus de parler d'« effet horizontal ». La doctrine allemande préfère ainsi l'utilisation du terme « Drittwirkung » (D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux

en Allemagne, op. cit., § 366).

doctrine considère qu'un manquement aux droits de l'homme peut être directement reproché à un

individu. Toutefois, une telle hypothèse est envisageable devant les tribunaux internes267.

Ainsi, devant la Cour de Strasbourg, seule une relation « triangulaire » impliquant l'État dans la relation privée en tant que « médiateur »268 peut être concevable. Or une telle relation triangulaire caractérise également l'obligation de protection dégagée par la Cour constitutionnelle allemande. L'étude de la jurisprudence européenne montre en outre que l'utilisation de la technique des obligations positives, en premier lieu par la Commission, afin d'appliquer la Convention aux relations privées, s'est développée parallèlement à l'obligation de protection allemande et comporte

de nombreux points communs avec cette dernière269.

B. La reconnaissance de l'effet horizontal indirect de la Convention par le biais

Outline

Documents relatifs