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Des effets positifs d éduits du caractère objectif des droits fondamentaux en Allemagne

b. Au niveau international

SECTION 1 : La r éappropriation de la doctrine et de la jurisprudence allemande

A. Des effets positifs d éduits du caractère objectif des droits fondamentaux en Allemagne

68. Dans sa décision Imposition des époux du 17 janvier 1957184, la Cour

constitutionnelle allemande a estimé que l'article 6 al.1 de la Loi Fondamentale selon lequel « le

mariage et la famille sont placés sous la protection particulière de l'État » impliquait tout d'abord, « de manière positive », « l'obligation pour l'État de protéger le mariage et la famille contre

d'éventuelles atteintes pouvant émaner de tiers et également de promouvoir mariage et famille » et,

ensuite, « de manière négative », « l'interdiction pour l'État lui-même de porter atteinte à ces

institutions »185. L'affirmation n'avait rien de révolutionnaire dans la mesure où le texte même de l'article, de par l'utilisation du terme « protection », prévoyait une telle obligation positive à la charge de l'État. Cet arrêt est cependant intéressant du fait de la terminologie employée et de la claire distinction opérée par la Cour de Karlsruhe entre obligations positives et obligations négatives, devenues chères par la suite à la Cour européenne.

69. Cette distinction n'a néanmoins pas été reprise dans ses arrêts suivants, la Cour

allemande préférant distinguer entre aspects subjectif et objectif des droits fondamentaux et déduisant des obligations d'action étatiques de ce dernier aspect. La Cour allemande a ainsi justifié le développement de nombreuses obligations d'intervention de l'État non prévues initialement dans le texte constitutionnel en se fondant sur le caractère objectif des droits.

L'affaire Lüth de 1958, fait figure d'arrêt fondateur en matière de reconnaissance du caractère objectif des droits. La Cour allemande y a estimé que « sans doute, les droits

fondamentaux ont-ils d'abord pour but de garantir la sphère de liberté de l'individu contre les

ingérences de la puissance publique ; ils sont des droits défensifs du citoyen contre l'État (…). Mais

il est tout aussi vrai que la Loi Fondamentale, qui n'entend pas être un ordre axiologiquement

neutre, a également mis en place dans son titre relatif aux droits fondamentaux un ordre objectif de

184 CCFA, 17 janvier 1957, Imposition des époux, BVerfGE 6, 55.

185

CCFA, Imposition des époux, préc., p. 72 et 76. Cité par D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits

valeurs186 et que là justement s'exprime un renforcement de principe de la force juridique des droits

fondamentaux. Ce système de valeurs, qui trouve son point central dans la personnalité humaine qui

se développe librement dans la communauté sociale et dans sa dignité, doit valoir, en tant que choix

constitutionnel fondamental, pour tous les domaines du droit ; la législation, l'administration et la

jurisprudence en reçoivent directives et impulsion »187.

70. Ainsi, là où dans une tradition libérale classique, les droits fondamentaux visaient

uniquement à limiter l'État, en l'empêchant d'intervenir dans l'exercice des libertés individuelles, ils

venaient désormais déterminer la « conception de l'État »188 et du fait de leur caractère fondamental

étaient voués à irriguer et à s'imposer à tous les pouvoirs publics. Ils étaient alors élevés au rang de directives d'action de la puissance publique. La Cour de Karlsruhe établissait ainsi les « bases

théoriques qui allaient permettre de dégager de nouveaux effets des droits fondamentaux »189. Du

caractère objectif des droits fondamentaux proclamé dans cette décision, le juge constitutionnel allemand a déduit au fil de sa jurisprudence de nouvelles fonctions des droits fondamentaux.

71. Bien que non qualifiées comme telles par la Cour constitutionnelle allemande, ces

fonctions peuvent être analysées comme des obligations d'actions étatiques. Dans l'affaire Lüth, elle a établi « l'effet rayonnant » des droits fondamentaux (Ausstrahlungswirkung). Par la suite les nouveaux effets objectifs ou positifs des droits furent surtout développés au cours des années

1970190 : les garanties institutionnelles (Einrichtungsgarantien), l'obligation d'aménagement

(Ausgestaltungspflicht), les obligations de protection (Schutzpflichten), les droits à prestation originaires et dérivés (originäre et derivative Leistungsrechte ou Teilhaberechte), les garanties en matière d'organisation et de procédure (Organisations-und Verfahrensgarantien). Le professeur D. Capitant souligne que ces nouveaux effets ou fonctions des droits n'ont que rarement fait l'objet

186 Du fait de nombreuses critiques dont elle fut l'objet, la Cour préféra dans ses décisions suivantes faire référence aux « principes objectifs » plutôt qu'aux « valeurs » ou à la notion d' « ordre axiologique ». (D. CAPITANT, Les effets

juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., §264 ; L. SASSO, Les obligations positives en matière de

droits fondamentaux, Étude comparée de droit allemand, européen et français, Th. Caen, 1999, dact., p. 125 ; D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux, Recherche en droit comparé sur les effets des droits

fondamentaux entre personnes privées, Th. Aix Marseille III, 2005, dact., §212).

187 CCFA, 15 janvier 1958, Lüth, BVerfGE 7, 198, p. 205 ; RIDC, 1981, p. 501, H. G. Rupp ; Pouvoirs, 1982, n° 22, p. 140, J.-C. Beguin ; Ch. AUTEXIER, Introduction au droit public allemand, PUF, coll. « Droit fondamental », 1997, p. 119 et s. ; P. BON, D. MAUS, Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes, Dalloz, 2008, n° 24.

188 K. SCHLAICH, « Procédures et techniques de protection des droits fondamentaux, tribunal constitutionnel fédéral allemand », RIDC 1981, p. 335-394.

189

D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 177.

d'une classification de la part de la doctrine et que la Cour les ayant développés au fil de ses arrêts,

elle n'a pas véritablement établi de typologie de ces derniers191.

72. Une grande partie de la doctrine a cependant établi une systématisation de la jurisprudence allemande consistant à opposer l'aspect subjectif des droits, qui impliquerait une abstention de l'État, à leur aspect objectif dont découlerait des obligations positives192. Cette classification a donné lieu à une vive controverse doctrinale.

Ainsi, certains auteurs dénoncent l’ambiguïté terminologique de cette assimilation des effets positifs à l'aspect objectif des droits. Comme l'a démontré le professeur D. Capitant, la distinction opérée n’entraîne aucune des « conséquences procédurales classiquement attachées à

ces termes »193. Le fait de qualifier les effets positifs des droits d'effet objectif n'empêche pas un individu de s'en prévaloir devant un juge. Il existe donc bien en droit allemand des droits

« subjectifs » permettant d'exiger de la puissance publique une prestation positive194. Ces mêmes

auteurs soulignent le caractère flou195 voire rhétorique de la notion de caractère objectif des droits,

dont l'utilisation viserait essentiellement « à légitimer le développement par la Cour

constitutionnelle de nouveaux effets positifs à partir des dispositions de la Loi Fondamentale,

191 Ibid., p. 202-203.

192

Outre la majorité de la doctrine allemande (voir en langue française : Ch. STARCK, « La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale concernant les droits fondamentaux », RDP, 1988, p. 1279 et R. ARNOLD, « Les développements des principes de base des droits fondamentaux par la Cour constitutionnelle allemande », in

Mélanges Jacques Robert, Libertés, Montchrestion, 1998, p. 465. Ce dernier distingue la « fonction de droits

défensifs contre les interventions de l'État » de « l'obligation objective de protection pour le législateur, consistant à

protéger activement les droits fondamentaux ») la doctrine française l'a également systématisée en ce sens (M. FROMONT, A. RIEG, Introduction au droit allemand, éd. Cujas, t. 2, 1988, p. 24 et s. ; C. GREWE, « Subjectivité et objectivité dans le contentieux de la Cour de Karlsruhe », Droits, n° 9, 1989, p. 131 et s. ; C. GREWE, H. RUIZ-FABRI, Droit Constitutionnel européen, PUF, 1995, p. 169 et s. ; Ch. AUTEXIER, Introduction au droit public

allemand, PUF, coll. « Droit fondamental », 1997, p. 117 et s. ; O. JOUANJAN, « La théorie allemande des droits fondamentaux », AJDA 1998, n°spécial, p. 44-51 ; L. SASSO, Les obligations positives en matière de droits

fondamentaux, Étude comparée de droit allemand, européen et français, Th. Caen, 1999, dact., 384 p.). Pour des références en langue allemande se reporter aux articles et ouvrages précités et également à D. CAPITANT, Les effets

juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit. et à D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux,

Recherche en droit comparé sur les effets des droits fondamentaux entre personnes privées, op.cit.

193 D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 182.

194

Le professeur D. Capitant a avancé que le choix du terme « subjectif » pour qualifier les effets défensifs des droits trouverait sa raison d'être dans le « fondement philosophique du droit en cause ». En tant que droits libéraux et du fait qu'ils « tirent leur origine du sujet », ils sont des droits préexistants à l'État et il revient à ce dernier de ne pas interférer dans leur libre exercice. En revanche, les droits exigeant une intervention de l'État ne peuvent s'envisager comme antérieurs à ce dernier puisqu'ils nécessitent son existence. A ce titre il ne pourraient être considérés comme « trouvant leur source dans le seul sujet individuel » et en ce sens ne pourraient être « subjectifs » (D. CAPITANT,

Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 185). Contra O. JOUANJAN, « La théorie allemande des droits fondamentaux », AJDA 1998, n°spécial, p. 45.

195 Le professeur D. Capitant note que J. Schwabe a qualifié dès 1977 « la notion d'aspect objectif de 8  

comprises jusqu'alors comme essentiellement négatives »196. Ils relèvent également le caractère erroné d'une telle classification, dans la mesure où les effets négatifs des droits peuvent être également considérés comme issus du caractère objectif des droits fondamentaux, au même titre que les nouveaux effets positifs197. Pour d'autres auteurs en revanche, le maintien des références au

caractère objectif en matière d'obligations positives resterait à certains égards pertinent198.

Cependant, une partie de la doctrine allemande tend à préférer désormais la distinction entre effets positifs et effets négatifs des droits et l'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'obligations positives devrait renforcer ce

processus199. Cette dernière a en effet adopté une terminologie plus simple que la Cour allemande,

s'affranchissant de la référence au caractère objectif des droits200.

196 D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 190. Le rôle « rhétorique » de la formule a pu être en outre jugée inutile étant donné que les effets positifs résulteraient déjà « du caractère

principiel des normes de droit fondamental » (D. RIBES, L'État protecteur des droits fondamentaux, Recherche en

droit comparé sur les effets des droits fondamentaux entre personnes privées, op. cit., p. 152).

197

D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., §267. La classification établie par Th. Meindl va également dans ce sens. Ce dernier distingue le « caractère objectif principal » du « caractère

objectif complémentaire » des droits fondamentaux. Le premier découle du fait que « chaque droit fondamental est

constitué d'un ensemble de mots inscrits dans un texte général et abstrait, dont le respect s'impose juridiquement à

l'État, pris ici dans un sens général, c'est-à-dire sans distinction des différents pouvoirs, constituants, législatifs,

administratifs... », en effet, « les droits fondamentaux étant une norme, ils ont donc un caractère objectif principal, élément inhérent à la norme ». Le second, « complète » la « dimension subjective » et se trouve déduite, tout comme cette dernière du « caractère objectif principal » et désigne les effets positifs des droits (Th. MEINDL, La notion de

droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines constitutionnelles françaises et allemandes, LGDJ, 2003, p. 233 et s.).

198

Th. Meindl a défendu que « le terme objectif n'est pas totalement inapproprié pour désigner les nouvelles

fonctions des droits fondamentaux car il renvoie à une dimension supra-subjective et non exclusivement

défensive », par exemple lorsque les effets objectifs permettent de protéger le liberté audiovisuelle « dans une

dimension plus collective qu'individuelle », provoquant ainsi l'effacement de la « dimension individuelle (…) devant

la dimension collective » (Th. MEINDL, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines

constitutionnelles françaises et allemandes, op. cit., p. 258). Dans le même sens voir O. JOUANJAN, « La théorie allemande des droits fondamentaux », AJDA 1998, n°spécial, p. 49.

199 D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 195.

200

La reconnaissance de l'aspect objectif des droits n'est cependant pas absente de la jurisprudence de la Cour, cette dernière ne l'a cependant pas exploité explicitement en matière d'obligations positives (contra L. SASSO, Les

obligations positives en matière de droits fondamentaux, Étude comparée de droit allemand, européen et français,

op. cit., p. 128.). Le rattachement des obligations positives à l'article 1 peut cependant constituer ce lien entre obligations positives et aspect objectif des droits (v. infra Partie 1, Chapitre 1, Section 3, §2, spéc. n°226) et la reconnaissance du caractère objectif des droits constitue le fondement théorique des obligations positives (v. infra Partie 1, Chapitre 2, Section 2, §1, n°318 et s.).

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