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Les deux cat égories d'obligations procédurales européennes

b. Au niveau international

SECTION 1 : La r éappropriation de la doctrine et de la jurisprudence allemande

A. Les deux cat égories d'obligations procédurales européennes

Les obligations procédurales européennes ont certains points communs (1), permettant de les opposer aux obligations substantielles. Elles comportent également certaines différences qui autorisent à les classer en deux catégories distinctes (2).

1. Des points communs

109. La jurisprudence de la Cour en matière d'obligations positives procédurales s'est

développée tardivement. Il est cependant possible de déceler des traces de celles-ci dès l'arrêt Airey de 1979. Dans cette affaire, la requérante souhaitait obtenir une décision judiciaire de séparation de corps, le divorce n'étant pas autorisé en Irlande. Cependant, la procédure qui se déroulait devant la

Hight Court ne prévoyait aucune possibilité d'aide juridictionnelle. Faute de moyen pour financer les services d'un avocat, elle n'avait donc pu saisir les tribunaux. La Commission avait conclu à la violation de l'article 6§1 CEDH du fait de l'absence d'accès effectif de la requérante à un tribunal pour lui permettre d’obtenir une séparation de corps. La Cour était allée plus loin. Après avoir confirmé la violation de l'article 6§1 prononcée par la Commission, elle s'était également engagée sur le terrain de l'article 8. Elle avait commencé par rappeler son dictum de l'arrêt Marckx selon lequel « si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences

arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas d’astreindre l’État à s’abstenir de pareilles

procédurales, ce qui accentue le « brouillage » entre les deux types de droits. La Cour exige par exemple au titre de l'article 6 que soient exécutées les décisions de justice.

ingérences: à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à

un respect effectif de la vie privée ou familiale »324. Puis, au terme d'une motivation particulièrement succincte, elle avait affirmé que le droit irlandais établissant une possibilité de demander un jugement de séparation de corps, « il reconnaît que la protection de leur vie privée ou familiale

exige parfois de les relever du devoir du mariage » et qu'« un respect effectif de la vie privée ou

familiale impose à l’Irlande de rendre ce moyen effectivement accessible, quand il y a lieu, à

quiconque désire l’employer ». Enfin, estimant que tel n'avait pas été le cas, étant donné que la requérante n'avait pu saisir la High Court et obtenir « la consécration juridique de sa séparation de

fait d’avec son mari »325, elle avait conclu à la violation de l'article 8.

110. À aucun moment n'était cité le terme d'obligation ou de garantie procédurale. Était

cependant établi, grâce à la technique des obligations positives, qu'une disposition substantielle impliquait pour l'État l'obligation d'assurer la protection juridique d'un droit au moyen de procédures

effectives326. Le juge D. Evrigenis, dissident dans l'affaire Airey, avait bien observé le glissement du

substantiel au procédural opéré dans cette affaire. Il s'était en effet élevé contre le constat de violation de l'article 8 en relevant que les faits invoqués révélaient « une violation qui se manifeste

non dans le fond mais sur le terrain de la superstructure procédurale d’un droit, donc une violation

couverte et absorbée par l’article 6§1 »327. Or telle est bien la substance des obligations procédurales qui furent dégagées par la suite.

111. Pour définir ces dernières, peut être reprise la formule adoptée par la Cour dans

son arrêt de Grande Chambre A., B. et C. Les obligations procédurales consistent en « la mise en

place d'une procédure effective et accessible en vue de protéger » les droits conventionnels « et

notamment la création d'un cadre réglementaire instaurant un mécanisme judiciaire et exécutoire

destiné à protéger les droits des individus et la mise en œuvre, le cas échéant, de mesures

324 Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, préc., § 32 ; - 30& E   . (A . 

LE

325

Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, préc., § 33.

326 Jellinek estimait que seul pouvait être considérés comme « parfaits » les droits subjectifs bénéficiant d'une protection juridictionnelle, ceux n'en bénéficiant pas devaient donc être considérés comme « imparfaits » (G. JELLINEK,

System der subjektiven öffentlichen Rechts, Mohr, 1892, 2e éd., 1905, p. 70. Cité par N. FOULQUIER, « De la protection des droits...à l'insécurité juridique. Ou la remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme des fins de non-recevoir et des exceptions d'irrecevabilité consacrées par la procédure juridictionnelle française »,

RTDH 2003, p. 1206).

327

spécifiques »328. Elles sont donc des obligations de mettre en place les garanties procédurales nécessaires à l'effectivité d'un droit substantiel. L'effectivité des droits est donc au fondement de ces obligations procédurales. La Cour l'a elle même affirmé en ces termes : « des obligations

procédurales peuvent être dégagées, dans divers contextes, des dispositions substantielles de la

Convention lorsque cela [est] perçu comme nécessaire pour garantir que les droits consacrés par

cet instrument ne soient pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs »329.

112. Ces obligations procédurales ont été considérablement développées et diversifiées,

particulièrement depuis la fin des années 1990, et participent ainsi de ce qui a pu être qualifié de « mouvement procéduraliste »330 ou de « mouvement de procéduralisation des droits et libertés

substantiels »331. Elles procèdent en effet à une certaine « absorption »332 des articles 6 et 13 CEDH par les dispositions substantielles de la Convention. La Cour a ainsi pris l'habitude de distinguer au sein d'une même disposition, d'une part, les obligations positives substantielles, appelées également matérielles333, et d'autre part les obligations positives procédurales.

113. Cette classification opérée par la Cour entre obligations procédurales et

obligations substantielles l'amène donc à dédoubler les obligations déduites d'un même droit. Le volet dit substantiel du droit peut être une obligation négative, par exemple, l'obligation pour les agents de l'État de ne pas commettre d'atteintes au droit à la vie. Il peut également être une obligation positive, celle de prendre les mesures entre particuliers pour que des individus ne subissent pas des traitements inhumains et dégradants, ou encore celle d'adopter une réglementation en matière d'environnement. Or le constat de non violation de l'aspect substantiel du droit

328 Cour EDH, GC, 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, Rec. 2010-..., §245 ; JCP G 2011, act. 58, obs. M. Levinet ;

JCP G 2011, 94, chron. F. Sudre ; HRLR 2011, 11-3, 556, note E. Wicks ; RTDciv. 2011, 303, note J.-P. Margénaud ; D 2011, 1360, note S. Hennette-Vauchez ; JCP G 2011, 1449, chron. Ch. Byk ; JDI 2011, 1342, obs. E. Birden.

329 Cour EDH, 20 juillet 2000, Caloc c. France, Rec. 2000-IX, JDI 2001, 199, obs. C. Renaut ; JCP G 2001, I, 291, n° 9, obs. F. Sudre, § 88.

330

S. VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de

l'homme, prendre l'idée simple au sérieux, Bruylant, Presses Universitaires de Saint Louis, 2001, p. 319.

331

F. TULKENS, « Le droit à la vie et le champ des obligations des États dans la jurisprudence récente de la Cour EDH », in Mélanges en l’honneur du Doyen Gérard Cohen Jonathan, Bruylant, 2004, p. 1626. Le professeur E. Dubout définit par ailleurs la procéduralisation comme « le processus d'adjonction jurisprudentielle d'une

obligation procédurale à la charge des autorités nationales destinées à renforcer la protection interne d'un droit

substantiel garanti par la Convention » (E. DUBOUT, « La procéduralisation des obligations relatives aux droits fondamentaux substantiels par la Cour européenne des droits de l'homme », RTDH, 2007, p. 398).

332 F. SUDRE, « Chronique de droit de la Convention européenne des droits de l'homme », JCP G, 2003, I, 160, §11.

333 Le terme de matériel est par exemple employé dans l'affaire Cour EDH, 10 novembre 2004, Taşkın et al. c. Turquie,

n'empêche pas la Cour de considérer comme enfreint le volet procédural du droit334. Ce dernier

aspect peut donc être « une exigence autonome »335.

114. Cependant, cette création prétorienne, qui s'est développée et multipliée ces dernières années, pâtit de certaines incohérences.

Tout d'abord, se pose la question du choix du fondement juridique des ces obligations procédurales. La Cour, selon les cas, se fonde sur le droit substantiel uniquement, sur l'article 13, sur l'article 6§1, ou encore à la fois sur une disposition substantielle et une disposition procédurale.

Pour le professeur E. Dubout « le désordre règne en maître sur cette question »336. De même, le

professeur J.-F. Akandji Kombé, à propos de l'obligation d'enquête issue de l'article 3 CEDH, a souligné le manque de « lisibilité » de la jurisprudence et le « va et vient permanent » opéré par la

Cour entre cet article et l'article 13337, et conclu à ce que le choix de la Cour s'avérait être « avant

tout une décision d'opportunité qui ne s'embarrasse guère d'explications juridiques rationnelles »338. Le critère de la Cour pour choisir le fondement juridique de l'obligation procédurale pourrait résider dans son appréciation de la gravité de l'atteinte au droit substantiel. La violation de ce dernier apparaît en effet comme symboliquement plus grave que sur le fondement d'une « simple » disposition procédurale. Selon qu'elle souhaite ou non obtenir un constat de violation de la disposition substantielle elle peut choisir de se fonder soit sur une disposition substantielle soit sur

334

Les premiers arrêts de la Cour en matière d'obligations procédurales en sont des exemples. Dans ces affaires, la Cour n'examine pas le bien fondé de la mesure de confiscation d'un bien (Cour EDH, 24 octobre 1986, AGOSI c. Royaume-Uni, A 108) ou de placement d'un enfant (Cour EDH, Plén., 8 juillet 1987, W. c. Royaume-Uni, A 121.), mais uniquement si les garanties procédurales ont bien été assurées. En matière d'obligations procédurales d'enquête, la Cour a conclu pour la première fois à la violation du seul aspect procédural dans l'arrêt Labita. Il concernait des allégations de mauvais traitements commis par des gardiens de prison sur la personne d'un détenu, la Cour a conclu à l'absence de violation de l'article 3 sous son aspect substantiel du fait de l'insuffisance de preuves, mais a retenu la violation de l'article 3 sous son aspect procédural en raison de l'absence d'enquête effective menée par les autorités (Cour EDH, GC, 6 avril 2000, Labita c. Italie, Rec. 2000-IV ; RTDH 2001, 117, obs. M.-A. Beernaert ; JDI 2001, 198, obs. E. Delaplace ; JCP G 2001, I, 291, chron. F. Sudre).

335 J. F. AKANDJI-KOMBÉ, « L’obligation positive d’enquête sur le terrain de l’article 3 CEDH », préc., 2006, p. 128. La CIJ a également souligné le caractère complémentaire et autonome des deux catégories d'obligations dans une affaire où elles étaient consacrées textuellement (CIJ, Arrêt, 20 avril 2010, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, Argentine c. Uruguay, Rec. à paraître, §79-79 ; RGDIP, 2011/1, p. 39, obs. Y. Kerbrat ; AFDI 2010, 249, obs. L. Trigeaud).

336 E. DUBOUT, « La procéduralisation des obligations relatives aux droits fondamentaux substantiels par la Cour européenne des droits de l'homme », RTDH, 2007, p. 416.

337

J. F. AKANDJI-KOMBÉ, « L’obligation positive d’enquête sur le terrain de l’article 3 CEDH », in C.-A. CHASSIN (dir.), La portée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 140.

une disposition procédurale339.

Ensuite, ce mouvement de procéduralisation des droits pose l'épineuse question de l'établissement d'une définition de la distinction entre ce qui est procédural et ce qui est substantiel. Plus largement, un brouillage s'opère entre les deux catégories. Certains auteurs ont ainsi relevé un processus de « substantialisation » des obligations procédurales, aussi bien relativement aux

« garanties procédurales de l'article 6§1 »340, qu'aux obligations positives procédurales issues d'un

droit matériel341.

115. Les obligations procédurales construites par la Cour en grande partie grâce à la

technique des obligations positives constituent un spectaculaire facteur d'extension des obligations étatiques. En outre, de par leur diversité et leur souplesse, elles offrent au juge européen un large panel de choix lui permettant de moduler le degré de contrôle exercé sur les décisions nationales en

fonction des affaires342. Elles sont systématiquement déduites d'un droit conventionnel substantiel et

occasionnellement rattachées à l'article 1 CEDH343. Il faut en outre noter une tendance récente de la

Cour à faire référence au principe de prééminence du droit en matière d'obligations procédurales ;

ce principe peut en effet être considéré comme le fondement théorique de ce type d'obligation344.

Malgré ces points communs, il est possible d'identifier deux catégories distinctes au sein de ces garanties procédurales.

339 En ce sens, selon A. Mowbray 6         9)     - :9; 

    ;; 2    <   =  7H+ > ;2A>+5 ,  .    ( >     *  2 3  )< *  2   3  )  ,  8DD"88F

340

L. MILANO, Le droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, collection « Nouvelle bibliothèque de Thèses », Dalloz, 2006, p. 19.

341 Le défaut d'enquête peut ainsi entraîner un constat de violation du volet substantiel du droit (J. F. AKANDJI-KOMBÉ, « L’obligation positive d’enquête sur le terrain de l’article 3 CEDH », in C.-A. CHASSIN (dir.), La portée

de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 128 ; P. WACHSMANN, « Convention européenne des droits de l’homme. Droits garantis. Libertés de la personne physique », Jurisclasseur Europe traité, fascicule 6520, 10 juin 2009, §22) .

342 V. infra Partie 3, Chapitre 1, Section 2, §1, B, 2, n° 736 et s. C. MADELAINE, « Les obligations positives procédurales, instrument du pluralisme ? », in M. LEVINET (dir.), Pluralisme et juges européens des droits de

l'homme, Bruylant, 2010, p. 106-123.

343

V. infra, Partie 1, Chapitre 1, Section 3, §2 , C, n° 231 et s.

2. Des différences

116. Il existe deux catégories d'obligations au sein des obligations procédurales. Elles

se distinguent tant par leur objet que par leur origine. Une première, les obligations procédurales de conciliation, est inspirée du droit allemand (a), une seconde, les obligations procédurales de réparation, du droit international général (b).

a. Une catégorie inspirée des garanties en matière d'organisation et de procédure

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