• Aucun résultat trouvé

a. Une cat égorie inspirée des garanties en matière d'organisation et de procédure d éveloppées par la jurisprudence allemande

117. Une première catégorie permet la « régulation des droits en cours »345, répond à

une logique de « conciliation »346 et a pour objet d'« éviter la réalisation d'une violation

potentielle »347. Elle sera donc dénommée dans ces lignes obligation procédurale de conciliation. Elle correspond aux premières obligations procédurales mise au jour par la Cour et trouve de nombreux points communs avec les garanties procédurales dégagées par la Cour constitutionnelle allemande.

118. Cette dernière a en effet développé dès les années 1970 des garanties de procédure

et d'organisation, à partir de dispositions constitutionnelles matérielles348. La Cour de Karlsruhe a

considéré dans une affaire Numerus Clausus de 1972 que « les règles juridiques à contenu vague et

variable qui restreignent les droits fondamentaux, sont d'autant plus tolérables qu'une procédure

formalisée, judiciairement contrôlable, veille à ce que les éléments essentiels de décision soient

examinés et que les buts de la loi soient réalisés »349.

345

K. PANAGOULIAS, La procéduralisation des droits substantiels garantis par la Convention européenne des droits

de l'homme, Bruylant, 2011, p. 28 et s.

346 X. SOUVIGNET, La prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, coll. « Droit de la Convention européenne des droits de l'homme », 2012, p. 180.

347

E. DUBOUT, « La procéduralisation des obligations relatives aux droits fondamentaux substantiels par la Cour européenne des droits de l'homme », RTDH, 2007, p. 408.

348

D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 294 ; -+<31=3>

Introduction au droit public allemand, $$

349

CCFA, 18 juillet 1972, Numerus clausus, BVerfGE, 33, 303, p. 341 ; Pouvoirs, 1982, n° 22, p. 141, J.-C. Beguin ; et CCFA, 20 décembre 1979, Mülheim-Kärlich, BverfGE 53, 30, p. 59 ; RDP, 1981, p. 367, chron. M. Fromont. Cité par Ch. STARCK, « La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale concernant les droits fondamentaux »,

Selon le Professeur Ch. Starck, « le droit procédural relatif aux droits fondamentaux »

peut être conçu « à titre de moyen pour appliquer une limitation d'un droit fondamental »350. La

Cour constitutionnelle allemande a ainsi imposé, sur le fondement de l'article 14 LF (protection de la propriété), une « obligation de prévoir une protection juridique (Rechtsschutz) en cas d'ingérence

dans le droit de propriété »351.

119. Des garanties procédurales très similaires ont été dégagées par la Cour EDH à

partir de l'arrêt Klass de 1978. Le juge européen a établi dans cette affaire que l'ingérence dans le droit à la vie privée et familiale, consistant en des écoutes téléphoniques secrètes, ne pouvait être justifiée qu'en présence de « garanties adéquates et effectives contre les abus »352. Ce type de contrôle de l'ingérence, selon lequel cette dernière serait justifiée dans le cas où elle serait entourée de garanties procédurales suffisantes, est semblable au contrôle exercé par la Cour constitutionnelle

allemande. Cette dernière a ainsi encadré la procédure de ventes aux enchères forcées353 et entouré

la collecte et la mémorisation des données personnelles d'un certain nombre de garanties

procédurales354. Il n'est à cet égard pas anodin que les premières garanties procédurales européennes

soient apparues justement dans l'affaire Klass, affaire allemande.

120. Postérieurement à la Cour constitutionnelle allemande, la Cour EDH a reconnu

dans les années 1980 de telles garanties procédurales dans le domaine de la protection de la

propriété355 ou encore des données personnelles. Pour ce qui est de ce dernier domaine, dans son

affaire Leander de 1987, le requérant avait été licencié du fait de son inscription au registre de la

Sûreté en tant que « dangereux pour la sécurité »356. La Cour avait exigé « l’existence de garanties

adéquates et suffisantes contre les abus car un système de surveillance secrète destiné à protéger la

sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la

RDP, 1988, p. 1281-1282.

350 Ch. STARCK, « La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale concernant les droits fondamentaux », op.

cit., p. 1291-1282.

351

D. CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, op. cit., p. 300.

352

Cour EDH, Plén., 6 septembre 1978, Klass et al. c. Allemagne, A 82, §50 ; JDI, 1980, 463, obs. P. Rolland.

353 CCFA, 24 mars 1976, BVerfGE 42, 64 ; CCFA, 7 décembre 1977, BVerfGE 46, 325 ; CCFA, 27 septembre 1978, BVerfGE 49, 220.

354

CCFA, 15 décembre1983, Recensement, BVerfGE, 65, 1 ; RDP, 1984, p. 1563, chron. M. Fromont.

355

Cour EDH, 24 octobre 1986, AGOSI c. Royaume-Uni, A 108, § 55.

356

défendre »357.

121. Par ailleurs, dans sa décision Mülheim-Kärlich de 1979358, la Cour

constitutionnelle allemande a estimé que devait être organisée, préalablement à l'ouverture d'une centrale nucléaire, une consultation des populations résidant à proximité. Elle a déduit une telle

garantie de l'obligation de protection du droit à la vie et à l'intégrité physique (article 2§2 LF)359.

Elle a estimé qu'en l'espèce le législateur avait satisfait à cette obligation en « exigeant que toute

construction de centrale nucléaire soit autorisée par l'État et que cette autorisation ne soit accordée

que dans les cas où toutes les précautions ont été prises et seulement après avoir donné à tous les

intéressés la possibilité d'intervenir lors de l'instruction du dossier »360. Ces règles édictées par la

loi sur l'utilisation de l'énergie nucléaire ont ainsi été élevées « au rang de règles protectrices d'un

droit fondamental »361. La Cour EDH a dégagé plus tard des obligations au contenu identique en matière environnementale. Elle a par exemple imposé lorsque des « décisions de l'État » ont « une

incidence sur des questions d'environnement », l'obligation positive procédurale de prendre en compte les intérêts des individus concernés par cette décision au cours du processus décisionnel, par exemple, ceux des riverains de l'aéroport d'Heathrow pour l'établissement de la réglementation des vols de nuit362.

Les obligations procédurales de conciliation se sont ensuite multipliées et diversifiées

357 Cour EDH, 26 mars 1987, Leander, préc., §60. La Cour a ensuite étendu ces garanties aux données à caractère personnel relatives à la santé « La législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher

toute communication ou divulgation de données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas

conforme aux garanties prévues à l'article 8 de la Convention » Cour EDH, 25 février 1997, Z c. Finlande, Rec. 1997-I, §95 ; JDI 1998, 178, obs. O. de Frouville ; JCP G 1998, I, 107, n 6, chron. F. Sudre.

358 CCFA, 20 décembre 1979, Mülheim-Kärlich, préc.

359 Cette décision a été critiquée en ce qu'elle reviendrait à exercer un contrôle objectif de la norme ().(BE?B (   4 % F Cette jurisprudence était en effet très audacieuse. Le recours avait été accueilli, la Cour constitutionnelle estimant que le requérant était lésé dans son droit à la vie, alors même que la centrale n'était pas encore construite. La Cour européenne quant à elle n'a jamais admis l'applicabilité du droit à la vie dans un tel cas. Elle protège en revanche le droit à l'environnement par le biais du droit à la vie privée et familiale dans ces hypothèses.

360 RDP, 1981, p. 368, chron. M. Fromont.

361 Ibid. p. 369. Deux juges dissidents estimaient au contraire que droit à la vie avait été violé en l'espèce; en notant que la décision aurait dû être prise après consultation des intéressés, consultation d'autant plus nécessaire que « la loi

définit de façon relativement vague les conditions de fond auxquelles est subordonnée l'obtention de l'autorisation ».

362 Cour EDH, GC, 8 juillet 2003, Hatton et al. c. Royaume-Uni, Rec. 2003-VIII, §99 ; JCP G, 2004, I 107, chron. F. Sudre ; RTDciv., 2003, 762, obs. J.-P. Marguénaud. Pour le professeur J.-F. Flauss « ces garanties s'apparentent, à

s'y méprendre, à celles figurant dans la convention d'Aarhus (…) entrée en vigueur le 30 octobre 2001 » (J. F. FLAUSS, « La procéduralisation des droits substantiels de la Convention européenne des droits de l'homme au service de la lutte contre les pollutions et nuisances », in Mélanges en l’honneur de M. PRIEUR, Pour un droit

dans la jurisprudence européenne. Elles ont en commun de viser à assurer qu'une atteinte à un droit conventionnel, qu'elle soit constituée par une action ou une omission étatique, soit la moins contraignante possible étant donnés les autres intérêts subjectifs ou objectifs en jeu. Ces obligations procédurales visent donc à assurer la meilleure conciliation possible entre les différents intérêts en

jeu dans une société démocratique363.

122. Des garanties procédurales similaires peuvent également être identifiées lorsque

sont en jeu des droits indérogeables. Pour ces derniers, la Cour n'examine naturellement pas si une ingérence peut être justifiée, mais l'examen des garanties procédurales peut intervenir pour déterminer si le droit est violé. Ainsi, tel est le cas lorsqu'est exigé que soient respectées les

garanties du procès équitable en cas de condamnation à la peine de mort364. De même, la Cour

impose que soient respectées certaines garanties procédurales au cours du processus décisionnel menant à expulser un étranger, afin de s'assurer qu'il ne subisse pas de traitement contraire à l'article 3 dans le pays de renvoi365.

123. Ainsi, de manière générale, cette catégorie d'obligations procédurales agit bien en

tant que conciliatrice des droits. Elle encadre le processus décisionnel et intervient en amont de la décision étatique afin que cette dernière soit la moins attentatoire possible aux droits conventionnels. Elle se différencie donc d'une autre catégorie d'obligations procédurales qui vise quant à elle à réparer des atteintes à un droit conventionnel et qui sont inspirées du droit

363 Cette caractéristique a amené S. Van Drooghenbroeck à les différencier sur ce fondement des obligations procédurales d'enquête. Il les qualifie de « garanties procédurales dérivées de la proportionnalité : la

procéduralisation des limitations aux droits garantis par la Convention » alors que les obligations d'enquête sont qualifiées de « garanties procédurales indépendantes de la proportionnalité » (S. VAN DROOGHENBROECK, La

proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme, prendre l'idée simple au sérieux, Bruylant, Presses Universitaires de Saint Louis, 2001, p. 315 et 313). Il semble cependant que les obligations procédurales d'enquête sont également soumises à la proportionnalité, bien que cette dernière joue à un niveau différent. En effet, elles impliquent que les autorités ne portent pas démesurément atteinte aux droits des tiers (v.

infra Partie 2, Chapitre 2, Section 3, §2, B, 2, a, i, n° 615).

364 Cour EDH, GC, 12 mai 2005, Öcalan c. Turquie, Rec. 2005-IV, §166. Le Comité DH (Comité DH, Const., 8 septembre 1977, Daniel Mbenge c. Zaïre, comm. n° 16/1977 ; Comité DH, Const., 20 juillet 1990, Reid c. Jamaïque, comm. n° 250/1987 ; Comité DH, Const., 27 juillet 1992, Wright c. Jamaïque, comm. n° 349/1989) et la Cour IADH l'avaient précédemment consacré (Cour IADH, Avis n° 16, 1er octobre 1999, Le droit à l'information sur l'assistance consulaire dans le cadre des garanties du procès équitable, A 16, §134-136 ; Cour IADH, Fond et réparations, 21 juin 2002, Hilaire, Constantine et Benjamin et al. c. Trinidad et Tobago, C 94., §148).V. infra Partie 1, Chapitre 2, Section 1, §1, 1, b, n° 282.

365 Implicite dans : Cour EDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, Rec. 2000-VIII, §40. Explicite dans Cour EDH, Déc. % 8DDD34(> %<  ."EB""PBH6%        2    6   

          <                  6-     ?% @ 7Fet Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, req. 53566/99, §72.

international général.

Outline

Documents relatifs