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Le choix de circonscrire l' étude aux obligations positives prétoriennes

b. Au niveau international

B. Le choix de circonscrire l' étude aux obligations positives prétoriennes

36. Si les droits civils et politiques ont été définis comme des droits négatifs, certains

d'entre eux, de par leur formulation même, impliquent une posture active de l’État. Ainsi, quelques droits conventionnels, même s'ils ne le mentionnent pas explicitement comme tel, prescrivent pourtant des actions étatiques. Pour le professeur F. Sudre il s'agit d'« obligations positives stricto

sensu conventionnelles »92. Pour ce même auteur ces obligations sont consacrées par les « articles

5§5, 6§3 al c et e, et 3 du Premier Protocole qui engagent l’État respectivement, à indemniser la

victime d'une arrestation ou d'une détention arbitraire, à fournir à l'accusé l'assistance gratuite

d'un avocat d'office ou d'un interprète, et à organiser des élections libres »93. Il est possible d'y

91

Selon N. Bobbio, une norme peut prescrire des « impératifs positifs et négatifs ». Ainsi « la première « grande

dichotomie » paraît passer, dans la sphère des normes, entre les normes positives – ou commendements – et les

normes négatives – ou interdictions ; les premières et les secondes sont habituellement exprimées par des énoncés

contenant la modalité du devoir être - Sollen ». (N. BOBBIO, Essais de théorie du droit, trad. M. Guéret, Ch. Agostini, préface R. Guastini, Bruylant, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1998, p. 117-118).

92 F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », RTDH, 1995, p. 364. Voir aussi G. MALINVERNI, « Les fonctions des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits de l'homme », in W. HALLER, A. KÖLZ, G. MÜLLER (dir.), Dienst an der

Gemeinschaft. Festschrift für Dietrich SCHINDLER zum 65. Geburtstag. 1989, p. 546 et s.

93 Ibid. La Cour a ainsi estimé dans une affaire relative au droit à des élections libres que « la "coloration inter-étatique" du libellé de l’article 3 (P1-3) ne reflète aucune différence de fond avec les autres clauses normatives de

la Convention et des Protocoles. Elle semble s’expliquer plutôt par la volonté de donner plus de solennité à

l’engagement assumé et par la circonstance que dans le domaine considéré se trouve au premier plan non une

obligation d’abstention ou de non-ingérence, comme pour la majorité des droits civils et politiques, mais celle, à la

charge de l’État, d’adopter des mesures positives pour "organiser" des élections démocratiques » Cour EDH, Plén., 2 mars 1987, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, A 113, §50 ; CDE, 1988, 487, chron. G. Cohen-Jonathan ;

ajouter d'autres droits. L'article 2§1 prévoit que « le droit de toute personne à la vie » doit être « protégé par la loi » et prescrit ainsi à l’État d'adopter des mesures législatives ; l'article 5§3 dispose que toute personne détenue doit être « aussitôt traduite devant un juge ou un autre

magistrat ». En outre, selon les mots du juge J.-P. Costa, « le droit au procès équitable (...) implique

toute une organisation judiciaire et procédurale qui incombe à la puissance publique ; l’article 13

de notre Convention, (...), consacre le droit à un recours effectif, donc une obligation pour les États

d’instituer chez eux des voies de recours »94.

37. Ces obligations positives textuelles ne constituent pas l'objet de cette recherche.

Ce dernier concerne uniquement les « obligations positives prétoriennes »95. Les organes de contrôle de la Convention ont en effet imposé des obligations d'action aux États en dehors de toute prescription textuelle. Dans le rapport dans l'affaire linguistique Belge, la Commission a estimé que

« la première phrase de l'article 2 n'impose aux Parties contractantes aucune obligation positive »96.

Dans cette même affaire, la Cour a émis pour la première fois la possibilité qu'une obligation positive puisse être déduite d'une disposition de la Convention pourtant formulée en terme

d'abstention, en l'espèce, l'article 2 du Protocole 197. Puis dans son arrêt Marckx, selon une formule

devenue récurrente dans la jurisprudence de la Cour, elle a estimé que l'article 8 « ne se contente

(…) pas d’astreindre l’État à s’abstenir de pareilles ingérences: à cet engagement plutôt négatif

peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un "respect" effectif de la vie familiale »98. Dans son affaire Airey elle a jugé de manière plus générale que « l’exécution d’un engagement

assumé en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives de l’État; en pareil cas,

celui-ci ne saurait se borner à demeurer passif et "il n’y a (...) pas lieu de distinguer entre actes et

94

Discours de J.-P. Costa, Président de la Cour européenne des droits de l’homme, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire, 28 janvier 2011, Rapport annuel 2011 de la Cour européenne des droits de

l’homme, Conseil de l’Europe, 2012, p. 43. Selon le Professeur Ph. Terneyre « le droit au juge est aussi un  droit

social de l'homme qui nécessite de la part des autorités publiques des prestations positives au bénéfice des

plaideurs potentiels » (Ph. TERNEYRE, « Le droit au juge », Les Petites Affiches, 4 déc. 1991, p. 8).

95 F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », op. cit., p. 364.

96 ComEDH, Rapp., 24 juin 1965, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », préc., §375, p. 340.

97 « On ne saurait pourtant en déduire que l’État n’ait aucune obligation positive d’assurer le respect de ce droit, tel

que le protège l’article 2 du Protocole 1 » Cour EDH, Plén., 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », préc., §3.

98

Cour EDH, Plén., 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, A 31, §31 ; GACEDH, n° 51 ; JT, 1979, 513, obs. F. Rigaux ;

omissions" »99. Depuis lors la référence aux obligations positives a permis aux organes de contrôle de la Convention de déduire des obligations d'action de la quasi-totalité des droits conventionnels. Outre la nécessité de réduire un champ de recherche déjà très large, la spécificité et l'intérêt des obligations positives prétoriennes justifient de leur consacrer une étude spécifique.

38. Manifestation du pouvoir créateur de droit du juge, elles impliquent de s'interroger

sur l'évolution de la place de celui-ci dans une démocratie libérale. Elles s'inscrivent également dans l'évolution du droit international et dans le processus de remise en cause croissante de la souveraineté de l’État sous l’influence du développement des droits de l'homme. En outre, elles invitent à repenser la classification traditionnelle entre droits civils et politiques et droits économiques et sociaux et à réévaluer la place de l’État dans la garantie des droits. Au-delà d'une recherche purement juridique elle renvoie donc également à des question beaucoup plus vastes touchant à l'histoire des droits de l'homme ainsi qu'à la philosophie politique.

39. L'intérêt de ce sujet n'a pas échappé à la doctrine juridique et aux praticiens qui,

parallèlement à l'utilisation exponentielle par la Cour de la notion d'obligation positive, ont produit des études de plus en plus nombreuses pour l'analyser. Cependant, aucune thèse, ni aucune monographie n'ont été menées à ce jour sur la question spécifique des obligations positives prétoriennes. Ce sujet a fait l'objet d'articles : en 1989 par le professeur G. Malinverni devenu ensuite juge à la Cour100, puis en 1995 par le professeur F. Sudre101, en 1998 par D. Spielmann aujourd'hui président de la Cour102 et par le juge P. Van Dijk103, et en 2001 par K. Strarmer104.

Depuis, quelques articles ont été consacrés à la question105. D'autres études ont adopté une vision

99

Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, A 32, §25 ; GACEDH, n° 2 ; JDI, 1982, 187, chron. P. Rolland ; AFDI, 1980, 323, chron. R. Pelloux.

100 G. MALINVERNI, « Les fonctions des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits de l'homme », préc., p. 539-560.

101

F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », op. cit., p. 363-384. Étude reprise et mise à jour : F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », in Mélanges en l'honneur de R. RYSSDAL, Protection des droits de l’homme : la perspective

européenne, Carl Heymanns Verlag KG, 2000, p. 1359-1376.

102 D. SPIELMANN, « "Obligations positives" et "effet horizontal" des dispositions de la Convention », in F. SUDRE (dir.), L'interprétation de la CEDH, Bruylant, coll. « Droit et justice », 1998, p. 133-174.

103 P. VAN DIJK, « "Positive Obligations" Implied in the European Convention on Human Rights : Are the States Still the "Masters" of the Convention ? », in Essays in Honour of P. BAEHR, The rôle of the nation State in the 21th

century, international organisation and foreign policy, Kluwer Law International, 1998, p. 17-33.

104

K. STARMER, « Positive Obligations under the Convention », in J. COOPER (ed.), Understanding Human Rights

principles, Hart, 2001, p. 139-159.

plus globale en étudiant les obligations positives prétoriennes en droit international des droits de l'homme, c'est-à-dire non seulement issues de la jurisprudence de la convention mais également de celles d'autres organes internationaux ou régionaux de protection des droits de l'homme106, ou encore dans une perspective comparative en analysant les jurisprudences européenne, suisse,

américaine et allemande107. D'autres ont eu une approche plus restrictive en focalisant leur étude sur

les obligations positives issues de l'article 2 CEDH analysées au regard du droit international de la responsabilité108. L'importance croissante des obligations positives dans la jurisprudence des organes de protection des droits de l'homme a justifié également de consacrer deux numéros entiers

de revues à cette seule question, en 2006 au Interights Bulletin109 et en 2010 à la Northern Ireland

Legal Quarterly110.

40. Des monographies ont en outre proposé une recension des obligations positives

aussi bien prétoriennes que textuelles111. Quelques thèses de doctorat ont en outre été consacrées à la

Netherlands Quarterly of Human Rights, 2008, 26, 3, p. 449-454 ; K. HAJIYEV, « The Evolution of Positive Obligations under the European Convention on Human Rights – by the European Court of Human Rights », in Mélanges en l'honneur de Ch. L. ROZAKIS, La Convention européenne des droits de l'homme, un instrument vivant, Bruylant, 2011, p. 207-218 ; M. KLATT, « Positive obligations under the European Convention on Human Rights »,

ZaöRV 2011, 71, p. 691-718.

106 H. DUMONT, I. HACHEZ, « Les obligations positives déduites du droit international des droits de l'homme, dans quelles limites ? », in Y. CARTUYVELS, H. DUMONT, F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, S. VAN DROOGHENBROECK (dir.), Les droits de l'homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, Bruylant, Presses Universitaires de Saint Louis, Bruxelles, 2007, p. 45-73 ; R. PISILLO MAZZESCHI, « Responsabilité de l'État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l'homme », RCADI, 2008, t. 333, p. 176-506.

107

S. BESSON, « Les obligations positives de protection des droits fondamentaux : un essai de dogmatique comparative », Revue de droit suisse, 122 (2003), p. 49-96.

108

B. CONFORTI, « Exploring the Strasbourg Case-Law : Reflections on State Responsibility for the Breach of Positive Obligations », in M. FITZMAURICE, D. SAROOSHI (éd.), Issues of State Responsibility before

International Judicial Institution, Hart, 2004, p. 129-137.

109 S. BORELLI, « Positive Obligations of States and the Protection oh Human Rights », Interights Bulletin, 2006, 15-3, p. 101-103 ; H. DUFFY, « Towards Global Responsibility for Human Rights Protection : A Sketch of International Legal Developments », Interights Bulletin, 2006, 15-3, p. 104-107 ; A.-D. OLINGA, « The African Charter on Human and Peoples' Rights and Positive Obligations », Interights Bulletin, 2006, 15-3, p. 117-119 ; T. J. MELISH, A. ALIVERTI, « Positive Obligations in the Inter-American Human Rights System », Interights Bulletin, 2006, 15-3, p. 120-122 ; Ph. LEACH, « Positive Obligations from Strasbourg – Where do the Boundaries Lie ? », Interights

Bulletin, 2006, 15-3, p. 123-126.

110 Northern Ireland Legal Quarterly (2010, vol. 61, no. 3). B. DICKSON, « Positive Obligations and the European Court of Human Rights », NILQ,, 2010, 61-3, p. 203-208 ; C. DONNELLY, « Positive Obligations and Privatisation », NILQ, 2010, 61-3, p. 209-223 ; E. PALMER, « Beyond Arbitrary Interference: the rights to a home? Developing socio-economic duties in the European Convention on Human Rights », NILQ, 2010, 61-3, p. 225-243 ; U. KILKELLY, « Protecting Children's Rights under the ECHR: The Role of Positive Obligations », NILQ, 2010, 61-3, p. 245-261 ; R. O'CONNELL, « Realising Political Equality: The European Court of Human Rights and Positive Obligations in a Democracy », NILQ, 2010, 61-3, p. 263-280 ; D. RUSSELL, « Supplementing the European Convention on Human Rights: Legislating for Positive Obligations », NILQ, 2010, 61-3, p. 281-294.

question. Elles portent sur une analyse comparée en droit européen allemand et français112, une étude de la jurisprudence constitutionnelle allemande dans ce domaine113, l'effet horizontal de la

Convention EDH114. Plus récemment une thèse anglophone a abordé la question mais en adoptant

une conception, non partagée ici et démentie par la jurisprudence européenne, selon laquelle les

obligations positives touchent principalement les relations interindividuelles115. Enfin une thèse a été

soutenue en 2011 sur « les obligations de vigilance des États parties à la CEDH" – Essai sur la

transposition en droit européen des droits de l’homme d’un concept de droit international

général »116.

41. Les études doctrinales relatives aux obligations positives prétoriennes et plus largement à la notion d'obligation positive se sont donc multipliées ces dernières années. Cependant certaines questions n'ont pas encore été explorées et l'ampleur du sujet mérite de lui consacrer une étude spécifique. Le développement et la diversification spectaculaire des obligations positives prétoriennes, accéléré au cours de ces dix dernières années, nécessite d'opérer une systématisation de la jurisprudence. En outre, cette étude aura pour objectif de replacer cette jurisprudence dans une réflexion plus globale sur l'évolution de l’État démocratique et libéral.

C. La construction de l'objet de l'étude : la notion d'obligation positive comme

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