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La mise en œuvre d'une interpr étation systématique

b. Les obligations de pr évention et de réparation dégagées grâce à la technique des obligations positives

SECTION 3 : Le rattachement automatique aux dispositions Conventionnelles

C. La mise en œuvre d'une interpr étation systématique

198. L'interprétation systématique est définie à l'article 31 de la Convention de Vienne

comme le fait de lire une disposition « dans son contexte ». La Cour estime ainsi que la Convention doit « se lire comme un tout et s'interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et

l'harmonie entre ses diverses dispositions »592.

Les interprètes de la Convention y ont eu recours pour justifier l'existence d'obligations positives sur le fondement de certains articles de la Convention. La Commission, faisant référence à l'arrêt Marckx, a ainsi considéré que l'article 2 pouvait « à l'instar des autres articles de la

Convention (...), imposer à l'État des obligations positives »593. Quant à la Cour, elle a jugé que « tout comme l’article 8 », l'article 11 « appelle parfois des mesures positives, au besoin jusque

Grèce, Rec. 2004-XI, §50 et 55 ; RDP 2005, 768, obs. M. Levinet).

591

Cour EDH, GC, 19 février 1998, Guerra et al., préc., §53.

592

Cour EDH, GC, déc., 6 juillet 2005, Stec et al. c. Royaume-Uni, Rec., 2005-X, §47-48 ; JCP G, 2006, I 109, chron. F. Sudre. Voir également, Cour EDH, Plén., 6 septembre 1978, Klass et al. c. Allemagne, A 82 § 68 ; JDI, 1980, 463, obs. P. Rolland.

593

dans les relations interindividuelles »594. Ou encore, pour mettre au jour « l'obligation positive de

protéger la liberté de ses ressortissants » en vertu de l'article 5§1, elle a estimé entre autres, que

« conclure que tel n'est pas le cas serait (…) en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, en

particulier sous l'angle des articles 2, 3 et 8 de la Convention »595. De même elle a affirmé que « tout comme les articles 2 et 3, l'article 4 comporte également des obligations procédurales

d'enquête sur des situations de potentielle traite d'êtres humains »596.

Faisant référence à leur propre jurisprudence, les organes de contrôle de la Convention estiment donc que les dispositions conventionnelles ne doivent pas être interprétées isolément ou en contradiction avec le reste du texte. L'argumentation est alors fondée sur l'analogie. À partir du moment où a été émise la possibilité qu'un droit puisse avoir des effets positifs, cette affirmation doit être vraie pour d'autres droits conventionnels.

199. Cette interprétation systématique n'agit cependant pas toujours dans le sens de l'effectivité des droits, en particulier, dans certaines affaires dans lesquelles elle est combinée à une

interprétation téléologique597. Dans la jurisprudence de la Cour, comme le note le professeur F. Ost,

cette méthode s'articule souvent avec la méthode téléologique, « les articles sont reliés les uns aux

autres selon une logique qu'éclairent l'objet et le but de la Convention »598. Il s'agit dès lors d'une interprétation téléosystématique, c'est à dire l'« opération par laquelle l'interprète tient compte de

l'objet et du but d'une norme pour dégager la signification d'une autre norme appartenant au même

système juridique »599. Dans les exemples qui suivent, cette interprétation sert de limite à l'interprétation dynamique et constructive du texte des articles pour refuser de dégager une obligation positive.

La Commission, considérant que l'article 2 du Protocole 1 devait « être interprété comme

594 Cour EDH, 21 juin 1988, Plattform « Ärtze für das Leben », préc. §32.

595

Cour EDH, 16 juin 2005, Storck, préc., §102.

596 Notre traduction de « Like Articles 2 and 3, Article 4 also entails a procedural obligation to investigate situations of

potential trafficking. » (Cour EDH, 7 janvier 2010, Rantsev c. Chypre et Russie, req. 25965/04, sélectionné pour publication, §288 ; JCP G, act. 132, F. Sudre ; HRLR, 10-3 (2010), 546, note J. Allain) Dans le même arrêt la Cour énonce « As with Articles 2 and 3 of the Convention, Article 4 may, in certain circumstances, require a State to take

operational measures to protect victims, or potential victims, of trafficking » (ibid. §286).

597 E. DUBOUT, « Interprétation téléologique et politique jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l'homme », RTDH, 2008, p. 391.

598

F. OST, « Originalité des méthodes d'interprétation de la Cour européenne des droits de l'homme », in M. DELMAS-MARTY, Raisonner la raison d'Etat, PUF, Paris, 1989, p. 419.

599 E. DUBOUT, « Interprétation téléologique et politique jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l'homme », op. cit., p. 395.

un tout », a estimé que nulle obligation positive ne devait être imposée aux États « à teneur de la

deuxième phrase de l'article 2, de subventionner une forme particulière d'enseignement pour

respecter les convictions religieuses et philosophiques des parents »600, étant donné que  -  )   O -            && % #  )( ((%% *,   les États « à organiser à leurs frais, ou à subventionner, un enseignement d'une

forme ou à un échelon déterminés »?D. L'absence d'obligation positive de ce type issue de la première phrase de cet article justifie le même refus sur le fondement de la deuxième phrase.

200. La Cour a justifié de même d'autres interprétations restrictives. Estimant que « la

Convention doit se lire comme un tout »602, elle a par exemple refusé de « déduire de l’article 8,

texte de but et de portée plus généraux, un droit au divorce exclu (...) de l’article 12 ». Ou encore, dans un souci de préserver « la cohérence » que le traité « doit avoir en tant que système de

protection des droits de l'homme », a été jugé dans l'arrêt Pretty, que « l'article 3 doit être interprété

en harmonie avec l'article 2, qui lui a toujours jusqu'ici été associé comme reflétant des valeurs

fondamentales respectées par les sociétés démocratiques ». Dans la mesure où « l'article 2 de la

Convention consacre d'abord et avant tout une prohibition du recours à la force ou de tout autre

comportement susceptible de provoquer le décès d'un être humain, (...) il ne confère nullement à

l'individu un droit à exiger de l'État qu'il permette ou facilite son décès » et en conséquence

« pareille obligation ne peut être déduite de l'article 3 de la Convention »603.

Il s'agit dès lors de ne pas dépasser les limites posées aux obligations issues de dispositions particulières, dans les exemples précités, les articles 12 et 2, en déduisant des obligations positives spécifiques à partir d'autres dispositions, ici les articles 8 et 3.

201. L'argument de la cohérence visée par l'interprétation contextuelle a par ailleurs ses

limites. Dans ces cas, l'interprétation téléologique visant l'effectivité des droits prend le dessus sur cette dernière. Dans l'affaire Airey, la Cour a volontairement cloisonné l'interprétation des articles 6§1 et 6§3 c). Alors que cette dernière disposition ne prévoit d'aide juridictionnelle qu'en matière pénale et que l'Irlande avait émis une réserve à cet article pour réduire ses obligations dans ce

600

ComEDH, Déc., 2 mai 1978, X. c. Royaume-Uni, req. 7782/77, D.R. 14, p. 183-184.

601 Cour EDH, Plén., 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », préc., §3.

602

Cour EDH, Plén., 18 décembre 1986, Johnston et al., préc., §57.

603

Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Rec. 2002-III, §54-55 ; 7-2*.3 M""G42(78DD8= (  4: ) G)4(A8DD8BP,39  )G. 8DD8E, G),.8DD8 BB,@  &  )G),.38DDE ;0:(  

domaine, la Cour a pourtant estimé qu'incombait à l'Irlande en vertu de l'article 6§1 l'obligation de fournir un avocat à Mme Airey pour l'assister lors de sa procédure de séparation de corps. La Cour a jugé en ce sens, « malgré l’absence d’un texte analogue » à l'article 6§1 c) « pour les procès

civils », et a estimé que « la réserve irlandaise à l’article 6 par. 3 c) » ne saurait être interprétée « de telle sorte qu’elle influerait sur les engagements résultant de l’article 6 par. 1 »604.

202. L'analyse des techniques employées par le juge européen pour rattacher des obligations positives à des droits conventionnels marquent bien la marge de manœuvre que se réserve le juge pour déterminer l'existence de celles-ci.

Si les obligations positives sont systématiquement rattachées à des dispositions conventionnelles, elles peuvent être également fondées sur l'article 1 de la Convention. En effet, les organes de contrôle de la Convention procèdent parfois à une combinaison entre l'article 1 et une autre disposition conventionnelle afin de dégager une obligation positive.

§2. Un recours sélectif à l'article 1 de la Convention

203. L'article 1 de la Convention EDH dispose que « les Hautes Parties contractantes

reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de

la présente Convention ». Un titre, « Obligation de respecter les droits de l'homme », lui fut adjoint par le Protocole 11605.

Au sein du texte de la Convention, cette disposition est placée en dehors des différents titres606 et se trouve directement à la suite du Préambule. Elle sert ainsi d'article introductif, de directive générale définissant la responsabilité des États au titre de la Convention. La question centrale est alors de savoir si le terme « reconnaissent » met à la charge de l'État uniquement des obligations négatives ou également des obligations positives. En effet, à la différence d'autres instruments de protection internationale et régionale des droits de l'homme, plus explicites à cet

604 - 30(,  1$§26.

605

Article 2§4a) du protocole 11 « les articles sont présentés avec les intitulés énumérés à l'annexe du présent

Protocole », entré en vigueur le 1er

novembre 1998.

égard607, l'article 1 de la Convention EDH « se limite (…) à la simple reconnaissance des droits sans

faire allusion aux obligations exactes qui pèsent sur les États pour atteindre cet objectif »608.

204. De l'article 1 CEDH ont été déduites à la fois une obligation positive générale et,

pour reprendre les termes de B. Moutel, des « obligations positives spéciales »609. Une obligation

positive spéciale est une obligation d'action à la charge des États déduite d'une disposition de la Convention non initialement prévue comme devant générer de telles obligations étatiques. Son fondement juridique est l'un des droits conventionnels, combiné éventuellement avec l'article liminaire. L'obligation positive générale impose aux États une obligation d'assurer l'effectivité des droits conventionnels. Elle n'est en réalité que l'obligation contractée par les États en signant et

ratifiant la convention EDH. Elle est une obligation de moyen610, qui oblige les États à s'efforcer de

mettre en œuvre les moyens nécessaires pour assurer l'effectivité des droits. L'ajout du terme « positif » n'a alors qu'un caractère rhétorique. Il sert à marquer le caractère obligatoire des engagements étatiques et la nécessité pour l'État d'agir en tant que promoteur de l'effectivité des droits.

Dans ces développements sera utilisé le terme d'obligation positive pour désigner les obligations positives spéciales. L'obligation positive générale déduite de l'article 1 pourra également être nommée obligation générale ou devoir général, le terme de « technique des obligations positives » désignant le procédé utilisé par les juges européens pour développer ces deux types d'obligations positives.

Ainsi, l'article 1 est le fondement d'une obligation positive générale de garantir l’exercice effectif des droits (A) dont il s'agira de souligner le potentiel normatif (B). Cette disposition est

607 L'article 2§1 du PIDCP prévoit que « les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous

les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent

Pacte ». L'article 1 de la CIADH dispose que « les États parties s'engagent à respecter les droits et libertés reconnus

dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur compétence

sans aucune distinction » et l'article 1 de la Charte africaine « les États membres de l'Organisation de l'Unité

Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et

s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ».

608

I. PANOUSSIS, « L'obligation générale de protection des droits de l'homme dans la jurisprudence des organes internationaux », RTDH, 2007, p. 427. De même voir P. VAN DIJK, « "Positive Obligations" implied in the European Convention on Human Rights : are the States still the "Masters" of the Convention ? », Essays in Honour of P. BAEHR, The rôle of the nation State in the 21th century, international organisation and foreign policy, Kluwer Law International, 1998, p. 18.

609

B. MOUTEL, L’« effet horizontal » de la Convention européenne des droits de l’homme en droit privé français.

Essai sur la diffusion de la CEDH dans les rapports entre personnes privées, Th. Limoges, 2006, dact., § 83.

parallèlement devenue le fondement d'obligations positives spéciales (C).

A. L 'article 1, fondement d'une « obligation générale de garantir l’exercice

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