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L'interpr étation constructive du texte des articles

b. Les obligations de pr évention et de réparation dégagées grâce à la technique des obligations positives

SECTION 3 : Le rattachement automatique aux dispositions Conventionnelles

B. L'interpr étation constructive du texte des articles

192. Dans le cas de certaines dispositions, les termes même de ceux-ci supposent à

priori des « obligations positives stricto sensu conventionnelles »576. C'est ainsi le cas concernant

l'article 3 du Protocole 1 en vertu duquel les « Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser

(…) des élections libres ». Partant, la Cour a pu estimer « que dans le domaine considéré se trouve

au premier plan non une obligation d’abstention ou de non-ingérence, comme pour la majorité des

droits civils et politiques, mais celle, à la charge de l’État, d’adopter des mesures positives pour

"organiser" des élections démocratiques »577. De la même manière, la Cour a considéré que « combiné avec le paragraphe 3, le paragraphe 1 de l’article 6 (...) oblige en outre les États

contractants à des mesures positives »578.

193. La démarche a été nécessairement tout autre concernant des articles dont la

575 CPJI, Arrêt, 7 septembre 1927, Affaire du Lotus, A 10, p. 18.

576

F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », RTDH, 1995, p. 364.

577

Cour EDH, Plén., 2 mars 1987, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, A 113, §50. La Cour peut cependant utiliser la technique des obligations positives et la rhétorique de l'effectivité afin d'étendre les obligations issues de l'article 3 du Protocole 1 (Cour EDH, 8 juillet 2010, Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce, req. 42202/07, §39 et s. ; AJDA 2010, 2362, chron. J.-F. Flauss).

578 Cour EDH, Plén., 6 décembre 1988, Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, A146, § 78. Du fait de la formulation de l'article 6, la Cour fait peu usage de la technique des obligations positives dans ce domaine.

formulation ne laissait pas présager de telles obligations. La Cour a alors du effectuer une interprétation constructive des termes de ceux-ci afin d'en déduire des obligations positives. Tout d'abord, les organes de contrôle de la Convention ont procédé à la « transformation d'une

formulation négative d'un droit en une obligation positive »579. Comme le note le professeur F. Sudre, cette démarche a été suivie par la Cour dans l'Affaire l'inguistique Belge et par la Commission dans son rapport dans l'affaire Hurtado.

Dans la première affaire, la Commission a estimé que « pareille obligation ne découle

pas du texte. Celui-ci emploie une formule négative : "Nul ne peut se voir refuser le droit à

l'instruction" »580. La structure « négative » du droit a donc justifié pour la Commission l'absence d'obligation positive découlant de cet article. En revanche, la Cour, à partir du même argument, est parvenue à la conclusion opposée. Elle a estimé que l'on ne saurait déduire de la « formulation

négative » de l'article 2 du Protocole 2, « que l’État n’ait aucune obligation positive d’assurer le

respect de ce droit »581.

Dans la seconde affaire, la Commission a découvert au sein de l'article 3 CEDH, une « obligation positive spécifique », en vertu de laquelle « les autorités de l'État doivent adopter des

mesures visant à garantir l'intégrité physique de la personne qui se trouve sous la responsabilité des

autorités policières, judiciaires ou pénitentiaires »582.

194. Ensuite, l'imprécision de certains termes, tels que celui de « respect », présent à la

fois dans les articles 8§1 et 1 et 2 du Protocole 1, a favorisé une certaine « construction

jurisprudentielle »583 de la part des juges européens. Dans l'arrêt Campbell et Cosans, la Cour a noté que « ''Respecter", ainsi que le confirme la substitution de ce mot à "tiendra compte" pendant la

genèse de l’article 2 (P1-2) (...)584

, signifie plus que "reconnaîtra" ou "prendra en considération";

579

F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », RTDH, 1995, p. 366.

580 ComEDH, Rapp., 24 juin 1965, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique, B 3 et 4, p. 341. Ce raisonnement était contesté par l'un des membres de la Commission, M. Balta (Ibid., p. 349).

581 Cour EDH, Plén., 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », préc., §3. Voir la démarche identique du Comité des droits de l'homme : Comité DH, Observation générale n° 23, 8 avril 1994, Droit des minorités (article 27),-->P-P8P>P+))L?

582 ComEDH, Rapp., 8 juillet 1993, Hurtado c. Suisse, .17549/90§79. Cette affaire n'a pas donné lieu à un arrêt de la Cour sur le fond, du fait qu'elle a été rayée du rôle à la suite de la conclusion d'un règlement amiable.

583

F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », RTDH, 1995, p. 367.

en sus d’un engagement plutôt négatif, ce verbe implique à la charge de l’État une certaine

obligation positive585. Cette ambiguïté du terme « respecter » présent dans l'article 8§1 a également conféré une grande liberté d'interprétation aux organes de contrôle de la Convention afin de déterminer le contenu de ce droit. Comme le note la Cour, surtout quand des obligations positives sont en cause, « la notion de "respect" manque (...) de netteté, (…) ; ses exigences varient beaucoup

d’un cas à l’autre vu la diversité des pratiques suivies et des conditions existant dans les États

contractants »586. Ainsi, il n'est pas anodin que le terrain privilégié de la technique de l'inhérence au droit ait principalement été l'article 8587 « qui utilise la notion assez vague de "respect" de la vie

familiale » et « pourrait sembler se prêter mieux que l’article 12 à une interprétation évolutive »588. 195. En outre, la connotation active que comporte le terme « protéger », a pu être exploitée. La Commission a estimé « que la première phrase de l'article 2 impose à l'État une

obligation plus large que celle que contient la deuxième phrase. L'idée que "le droit de toute

personne à la vie est protégé par la loi" enjoint à l'État non seulement de s'abstenir de donner la

mort "intentionnellement", mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la

vie »589. La Cour a repris cette démarche de manière moins explicite et sans plus de justification,

dans son arrêt L.C.B. afin de déduire de la première phrase de l'article 2§1 l'obligation pour l'État non seulement de « s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière » mais également celle de « prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes

relevant de sa juridiction »590. consacrer des obligations positives.

585 Cour EDH, 25 février 1982, Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, A 48, §37 ; 4.5B,  

586 Cour EDH, Plén., 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali, préc., §67.

587 F. SUDRE, « Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », RTDH, 1995, p. 367. Sur la technique de l'inhérence voir supra Partie 1, Chapitre 1, Section 3, §1, A, n° 182 et s.

588

Cour EDH, Plén., 18 décembre 1986, Johnston et al., préc. §57.

589 ComEDH, Déc., 12 juillet 1978, Association of parents c. Royaume-Uni, req. 7154/75, D.R. 14, p. 35. L'association requérante, invoquant l'article 2 CEDH, estimait que le décès de nombreux enfants était dû à une campagne de vaccination. La Commission après avoir estimé ne pouvoir admettre « que les campagnes de vaccination sont mal

organisées et que les mesures adéquates ne sont pas prises pour éviter que les risques ne se réalisent » (p. 37) a conclu que « le système de contrôle et de surveillance instauré par l'État est suffisant pour permettre de dire que

celui-ci a satisfait à l'obligation de protéger la vie, que lui impose l'article 2 de la Convention » (p. 38) et rejeté ce grief comme manifestement mal fondé.

590

Cour EDH, 9 juin 1998, L.C.B. c. Royaume-Uni, Rec. 1998-III, §36 ; JCP G, 1999, I 105, chron. F. Sudre. La requérante se plaignait de ce que l'État défendeur n’avait pas informé et conseillé ses parents ni surveillé sa santé avant qu’une leucémie ne lui soit diagnostiqué en octobre 1970, alors que son père avait servi dans les unités de ravitaillement sur l’île Christmas à l’époque où le Royaume-Uni y avait effectué ses essais nucléaires. Si le terme d'obligation positive était absent dans ses premiers arrêts en la matière, la Cour a ensuite utilisé le terme d' « obligation positive de protéger par la loi le droit à la vie » (Cour EDH, GC, 20 décembre 2004, Makaratzis c.

196. Enfin, la Cour a également refusé de procéder à une interprétation constructive du texte d'un article conventionnel afin de refuser de dégager une obligation positive. Tel est le cas dans l'arrêt Guerra. La Cour a estimé que « la liberté de recevoir des informations » garantie à l'article 10§2, « ne saurait se comprendre comme imposant à un État, dans des circonstances telles que

celles de l'espèce, des obligations positives de collecte et de diffusion, motu proprio, des

informations »591.

197. Le choix d'exercer une interprétation constructive du texte conventionnel afin de

dégager des obligations positives demeure entièrement entre les mains du juge européen. La décision de mobiliser ce type d'interprétation est déterminée par la volonté ou non de dégager une obligation positive, en fonction de ce qui est estimé nécessaire à l'effectivité des droits. L'interprétation contextuelle ou systématique constitue une autre voie employée par la Cour afin de rattacher des obligations positives à une disposition de la Convention.

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